Le FSB, héritier du KGB soviétique, s’apprête à reprendre le contrôle de sept centres de détention provisoire. La Douma d’Etat a adopté le 8 juillet 2025 un projet de loi en ce sens. L’approbation du Conseil de la Fédération et la signature de Vladimir Poutine ne sont plus qu’une formalité.
Ces établissements devraient ainsi repasser, au 1er janvier, sous l’autorité des services secrets russes, annulant de fait une réforme pourtant clé dans le processus d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe dans les années 1990, après l’effondrement de l’URSS.
Si certains observateurs qualifient déjà ces futures prisons du FSB de «Goulag», en référence aux camps de travail soviétiques, les députés russes, eux, invoquent la guerre en Ukraine pour justifier cette mesure. Mais pourquoi le Kremlin décide-t-il de confier à nouveau au FSB la gestion des prisons, et pourquoi maintenant?
Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe en 1996, la Russie de Boris Eltsine s’est engagée à réviser «la loi sur les services fédéraux de sécurité afin de la rendre conforme, dans l’année suivant l’adhésion, aux principes et standards du Conseil de l’Europe». L’un des points essentiels était de retirer au FSB le droit de gérer ses propres centres de détention.
Mais il a fallu attendre neuf ans pour que la mesure soit officiellement appliquée. En 2005, Vladimir Poutine, directeur du FSB entre 1998 et 1999, signait un décret transférant la gestion des prisons au ministère de la Justice.
Une réforme qui s’est révélée plus symbolique qu’autre chose. Les journalistes d’investigation Andreï Soldatov et Irina Borogan ont découvert que des agents du FSB avaient été «affectés temporairement» à l’administration pénitentiaire, tout en restant sous la tutelle des services de sécurité. Le FSB n’a pas confirmé ces informations, sans jamais les démentir non plus. Pour les deux journalistes, il s’agissait d’une «opération classique de désinformation».
La prison moscovite de Lefortovo, tristement célèbre à l’époque soviétique pour ses tortures, n’a jamais réellement échappé au contrôle du FSB. Le service de renseignement y a conservé ses bureaux, à deux pas de son siège. Parmi les détenus récents, l’Américain Evan Gershkovich, relâché en août 2024 lors d’un échange de prisonniers.
A cette prison s’ajoutera désormais la maison d’arrêt de Matrosskaïa Tichina, à Moscou également, ainsi que des établissements à Saint-Pétersbourg, Rostov-sur-le-Don, Krasnodar, Tcheliabinsk et Vladikavkaz, tous déjà sous contrôle du KGB à l’époque soviétique.
Pour les députés russes, cette reprise en main se justifie par l’«activité accrue des services de renseignement étrangers» et les «menaces terroristes grandissantes» liées à la guerre contre l’Ukraine, commencée le 24 février 2022.
Le député Vassili Piskarev, président de la commission de la sécurité et de la lutte contre la corruption, cité par le Moscow Times, a déclaré:
Toujours selon lui:
Mais cette première loi n’est qu’un début. Deux autres projets sont à l’étude. Le premier prévoit la création d’un système de transport propre au FSB pour transférer les détenus par route, train spécial, bateau ou avion. Le second donnerait aux agents des pouvoirs disciplinaires à l’intérieur des prisons, leur permettant d’enquêter et de sanctionner les détenus jugés perturbateurs.
Pour Irina Borogan et Andreï Soldatov, cela ressemble à une préparation à des répressions d’une ampleur inédite. Dans une analyse pour le Center for European Policy Analysis (CEPA), ils établissent un parallèle avec l’époque stalinienne, lorsque le NKVD, l'ancêtre du KGB, contrôlait à la fois les prisons et les moyens de transport, outil essentiel du système répressif. Le FSB, constatent-ils, ne montre «aucune réticence» à renouer avec ce passé.
Le défenseur des droits humains Alexandre Podrabinek partage cette inquiétude. Dans un texte pour l’ONG «Rights in Russia», il rappelle les heures sombres du stalinisme. Le niveau de répression n’a pas encore atteint celui de l’époque, estime-t-il, mais «le chemin est tout tracé». Il redoute un retour des camps politiques et la mise en place de procédures spéciales pour les affaires dites «politiques». Podrabinek ajoute:
Le militant note que le nombre de prisonniers politiques en Russie a fortement augmenté ces dernières années, rendant cruciales les questions «logistiques» pour les services chargés de la répression.
Historiquement, rappelle-t-il, les règles en vigueur dans les établissements contrôlés par les services de sécurité ont toujours différé de celles des prisons ordinaires. Comme l'explique Alexandre Podrabinek:
Et dans cette logique, l’organisation de la détention a toute son importance.
Adapté de l’allemand par Tanja Maeder