International
Russie

La Russie s'apprête à renouer avec son passé sous Staline

La Russie n'a «aucune réticence» à renouer avec son passé soviétique.
L'adoption d'une nouvelle loi en Russie laisse présager du pire quant aux droits humains.Image: Imago, montage watson

Pourquoi la Russie va confier ses prisons aux services secrets

Dès 2026, le FSB, service de sécurité intérieure russe, devrait reprendre la gestion de plusieurs établissements pénitentiaires. Une décision qui alimente les craintes de voir renaître un Goulag moderne.
19.07.2025, 08:1019.07.2025, 08:10
Simon Cleven / t-online
Plus de «International»
Un article de
t-online

Le FSB, héritier du KGB soviétique, s’apprête à reprendre le contrôle de sept centres de détention provisoire. La Douma d’Etat a adopté le 8 juillet 2025 un projet de loi en ce sens. L’approbation du Conseil de la Fédération et la signature de Vladimir Poutine ne sont plus qu’une formalité.

Retour probable des goulags

Ces établissements devraient ainsi repasser, au 1er janvier, sous l’autorité des services secrets russes, annulant de fait une réforme pourtant clé dans le processus d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe dans les années 1990, après l’effondrement de l’URSS.

Si certains observateurs qualifient déjà ces futures prisons du FSB de «Goulag», en référence aux camps de travail soviétiques, les députés russes, eux, invoquent la guerre en Ukraine pour justifier cette mesure. Mais pourquoi le Kremlin décide-t-il de confier à nouveau au FSB la gestion des prisons, et pourquoi maintenant?

Un retour en arrière sur la réforme de 1996

Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe en 1996, la Russie de Boris Eltsine s’est engagée à réviser «la loi sur les services fédéraux de sécurité afin de la rendre conforme, dans l’année suivant l’adhésion, aux principes et standards du Conseil de l’Europe». L’un des points essentiels était de retirer au FSB le droit de gérer ses propres centres de détention.

Mais il a fallu attendre neuf ans pour que la mesure soit officiellement appliquée. En 2005, Vladimir Poutine, directeur du FSB entre 1998 et 1999, signait un décret transférant la gestion des prisons au ministère de la Justice.

Une réforme qui s’est révélée plus symbolique qu’autre chose. Les journalistes d’investigation Andreï Soldatov et Irina Borogan ont découvert que des agents du FSB avaient été «affectés temporairement» à l’administration pénitentiaire, tout en restant sous la tutelle des services de sécurité. Le FSB n’a pas confirmé ces informations, sans jamais les démentir non plus. Pour les deux journalistes, il s’agissait d’une «opération classique de désinformation».

Lefortovo, la prison tristement célèbre

La prison moscovite de Lefortovo, tristement célèbre à l’époque soviétique pour ses tortures, n’a jamais réellement échappé au contrôle du FSB. Le service de renseignement y a conservé ses bureaux, à deux pas de son siège. Parmi les détenus récents, l’Américain Evan Gershkovich, relâché en août 2024 lors d’un échange de prisonniers.

A cette prison s’ajoutera désormais la maison d’arrêt de Matrosskaïa Tichina, à Moscou également, ainsi que des établissements à Saint-Pétersbourg, Rostov-sur-le-Don, Krasnodar, Tcheliabinsk et Vladikavkaz, tous déjà sous contrôle du KGB à l’époque soviétique.

Pour les députés russes, cette reprise en main se justifie par l’«activité accrue des services de renseignement étrangers» et les «menaces terroristes grandissantes» liées à la guerre contre l’Ukraine, commencée le 24 février 2022.

Vers des pouvoirs élargis pour le FSB

Le député Vassili Piskarev, président de la commission de la sécurité et de la lutte contre la corruption, cité par le Moscow Times, a déclaré:

«La loi vise à empêcher que des suspects dans des affaires de sécurité nationale n’entrent en contact avec d’autres détenus.»

Toujours selon lui:

«En isolant ces personnes, les autorités pourront empêcher les tentatives des services secrets étrangers ou des groupes terroristes de les contacter ou de les impliquer dans des activités déstabilisatrices.»

Mais cette première loi n’est qu’un début. Deux autres projets sont à l’étude. Le premier prévoit la création d’un système de transport propre au FSB pour transférer les détenus par route, train spécial, bateau ou avion. Le second donnerait aux agents des pouvoirs disciplinaires à l’intérieur des prisons, leur permettant d’enquêter et de sanctionner les détenus jugés perturbateurs.

Une ère de répression violente en préparation

Pour Irina Borogan et Andreï Soldatov, cela ressemble à une préparation à des répressions d’une ampleur inédite. Dans une analyse pour le Center for European Policy Analysis (CEPA), ils établissent un parallèle avec l’époque stalinienne, lorsque le NKVD, l'ancêtre du KGB, contrôlait à la fois les prisons et les moyens de transport, outil essentiel du système répressif. Le FSB, constatent-ils, ne montre «aucune réticence» à renouer avec ce passé.

Le défenseur des droits humains Alexandre Podrabinek partage cette inquiétude. Dans un texte pour l’ONG «Rights in Russia», il rappelle les heures sombres du stalinisme. Le niveau de répression n’a pas encore atteint celui de l’époque, estime-t-il, mais «le chemin est tout tracé». Il redoute un retour des camps politiques et la mise en place de procédures spéciales pour les affaires dites «politiques». Podrabinek ajoute:

«Peut-être n’irons-nous pas jusqu’aux commissions spéciales du NKVD et aux condamnations sur simple liste, mais les procès à huis clos ou par visioconférence sont déjà une réalité. Tout comme les détentions provisoires et les peines de prison infligées aux avocats qui défendent des prisonniers politiques.»

Toujours plus de prisonniers politiques

Le militant note que le nombre de prisonniers politiques en Russie a fortement augmenté ces dernières années, rendant cruciales les questions «logistiques» pour les services chargés de la répression.

Historiquement, rappelle-t-il, les règles en vigueur dans les établissements contrôlés par les services de sécurité ont toujours différé de celles des prisons ordinaires. Comme l'explique Alexandre Podrabinek:

«Dans un procès pénal classique, il fallait au moins rassembler un minimum de preuves. Les services de sécurité, eux, avaient pour mission supplémentaire de briser la volonté des prisonniers politiques, de les démoraliser, voire de les pousser à des aveux forcés ou à exprimer des “regrets” publics.»

Et dans cette logique, l’organisation de la détention a toute son importance.

«La nouvelle loi offrira au FSB de nouveaux moyens d’action»

Adapté de l’allemand par Tanja Maeder

Alligator Alcatraz, la nouvelle prison hardcore de Trump en Floride
1 / 12
Alligator Alcatraz, la nouvelle prison hardcore de Trump en Floride

Donald Trump a inauguré ce nouveau centre de détention pour migrants sans papiers le 1er juillet, en présence du gouverneur de Floride Ron DeSantis.

source: reuters / evelyn hockstein
partager sur Facebookpartager sur X
Ce soldat russe risque sa vie pour être prisonnier
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
«Un fou qui bombarde tout»: Netanyahou énerve l'administration Trump
La Maison-Blanche s’impatiente face à son allié, Benyamin Netanyahou. Deux opérations israéliennes survenues la semaine dernière suscitent des critiques. Donald Trump va-t-il rompre ses liens avec l'homme fort d'Israël?
A la Maison-Blanche, on commence à perdre patience avec Benyamin Netanyahou. Le Premier ministre israélien se comporte «comme un fou», a déclaré la semaine dernière un proche conseiller du président américain après qu'Israël a tiré des roquettes sur Damas, la capitale syrienne.
L’article