Un an après la mort d'Alexeï Navalny, les jeunes Moscovites oscillent entre indifférence et appréhension à l'heure d'évoquer l'opposant à Vladimir Poutine, déclaré «extrémiste» par la Russie.
«La politique, ça n’est pas mon affaire», lâchent certains membres de la génération Z, celle née à la fin des années 1990 et au début des années 2000. D'autres hésitent, avant de finalement refuser de s'exprimer. «Nous avons aujourd’hui trois sujets tabous: la politique, la religion et le sexe», tranche Anastasia, étudiante de 19 ans, cheveux courts et piercing au nez, devant l'Ecole des Arts et Métiers, où elle étudie.
Ceux qui parlent affichent de leur côté une forme d'indifférence envers l'opposant et son message anticorruption et anti-Kremlin, qui était pourtant particulièrement destiné aux jeunes.
En Russie, Alexeï Navalny est toujours un sujet ultra-sensible, même après sa mort. Evoquer en public l'opposant ou son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), sans préciser qu'ils ont été déclarés «extrémistes» expose les contrevenants à de lourdes sanctions. Fin 2024, une Russe qui avait brandi un portrait de Navalny à côté d'un mémorial aux victimes du goulag à Saint-Pétersbourg a été condamnée par un tribunal administratif à des amendes.
Trois avocats d'Alexeï Navalny ont été condamnés en janvier à des peines de prison ferme pour des accusations d'«extrémisme». Rencontrée aux abords d'une université, Viktoria, une céramiste de 24 ans, dit toujours évoquer Navalny avec ses proches.
Fiodor, étudiant de 22 ans, admet que dans son milieu «on se souvient toujours» de Navalny, «même si la mémoire collective le refoule».
Futur acteur, Maxime, 21 ans, profite du soleil hivernal en attendant une amie. Son attitude envers Navalny est «neutre».
Anastasia Soloviova, 18 ans, attend quelqu’un sans décrocher les yeux de son portable. Future spécialiste de l'impression 3D, elle veut bien parler, mais «n'a rien à dire» sur Navalny. Dès cette année Anastasia a le droit de participer aux élections: «Pour qui je voterai? Comme mes parents, j'aime la stabilité.»
Les Russes de vingt ans «sont apolitiques, comme le reste de la population (...). Et la génération qui arrive ne sait tout simplement pas qui était Navalny», confirme Denis Volkov, le directeur de Levada, un institut de sondage indépendant déclaré «agent de l'étranger» par les autorités. L'an dernier, interrogés juste après la mort de l'opposant, quelque 37% des Russes âgés de 18 à 24 ans disaient «ne pas avoir entendu parler de Navalny», contre 30% pour l'ensemble de la population.
Les jeunes étaient pourtant le principal soutien de Navalny. Dynamique et charismatique, il a été le premier homme politique russe à s'adresser directement à eux via son blog vidéo. En 2013, les jeunes Moscovites lui ont assuré 27,2% des voix aux élections municipales, un score record qui ne lui a cependant pas permis de ravir la mairie de la capitale.
Aujourd'hui, avec l'offensive russe contre l'Ukraine, lancée il y a tout juste trois ans, et le fossé qui sépare les Russes de l’Occident, «la société a changé. C'est l’heure des héros durs, nationalistes et autoritaires», note-t-il. «De nouveaux opposants ne seront sollicités qu’avec la paix et la détente», résume le sociologue. (afp)