C'est une première: fin avril, Venise a lancé un billet d'entrée pour les visiteurs d'un jour, forcés de débourser 5 euros pour visiter la ville. Pour l'heure, la mesure ne s'applique qu'à une trentaine de jours de grande affluence touristique. Son but: rendre la Cité des Doges «plus vivable», selon les autorités.
D'autres localités pourraient suivre. Le comté du Kent, ainsi que la ville d'Edimbourg et le Pays de Galles, réfléchissent à introduire une taxe de séjour. Ailleurs, la fronde prend d'autres formes: aux îles Canaries, les habitants sont descendus dans la rue pour manifester leur mécontentement; au Japon, les autorités d'un petit village ont décidé d'installer un filet cachant la vue du mont Fuji, empêchant ainsi les vacanciers de le prendre en photo. Les motifs invoqués sont toujours les mêmes: lutter contre une prétendue «invasion» de touristes.
L'été passé déjà, ce type de réactions avaient fait couler beaucoup d'encre. Depuis, de nouvelles restrictions sont annoncées à un rythme frénétique - créant un effet d'accumulation qui peut donner l'impression d'un rejet généralisé. Est-ce vraiment le cas? «De plus en plus de localités qui, par le passé, avaient accueilli le tourisme à bras ouverts, réagissent aujourd'hui de manière plus critique», confirme Claudio Visentin, enseignant au «Master in International Tourism» à l'Université de la Suisse italienne.
Jusqu'aux années 1980, le tourisme était considéré comme «un moteur de progrès et de prospérité», poursuit le spécialiste; sa croissance était donc «un bien en soi». Depuis, cette tendance a commencé à s'inverser: «Aujourd'hui, nous sommes devenus plus sensibles, nous voyons et comprenons mieux les aspects négatifs du tourisme, également en raison de la crise climatique», explique-t-il.
Pourtant, cette nouvelle sensibilité n'est pas une nouveauté absolue. Des taxes de séjour sont déjà en vigueur dans plus de 60 destinations autour du monde, indique The Conversation. Et de rappeler que la première mesure de ce type a été introduite en France en 1910, bien que la plupart des taxes actuelles datent des deux dernières décennies.
Claudio Visentin situe également «le point de rupture» autour de 2010. «Barcelone a eu, par exemple, deux administrations publiques qui ont fortement oeuvré pour limiter le tourisme», développe-t-il.
Comment en est-on arrivé là? D'un côté, le nombre de touristes n'a cessé de croître et continue de le faire, explique l'enseignant. «Dans les années 1950, on en comptait quelque 25 millions par an, aujourd'hui nous approchons du milliard et demi, sans compter le tourisme intérieur», illustre-t-il. «Le chiffre est impressionnant».
Mais la croissance pure n'explique pas tout, poursuit-il, car «elle s'est accompagnée d'un changement de modèle organisationnel». Lequel a fini par donner naissance à quelque chose de nouveau. Claudio Visentin: «On ne parle même plus de tourisme de masse, mais de "overtourism" ("surtourisme" en français)».
Ce changement s'est opéré sous l'influence de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'irruption sur le marché touristique d'une série de nouveaux acteurs: «Il y a encore quelques années, il n'y avait pas de compagnies aériennes à bas prix, pas Airbnb, ni les immenses paquebots capables de transporter 5000 passagers», énumère le spécialiste. «Surtout, il n'y avait pas l'omniprésence du numérique». L'avènement du web a chamboulé le rythme du tourisme, lui donnant une vitesse qu'il n'avait pas auparavant, estime-t-il.
Autre élément décisif: les réseaux sociaux, et Instagram en particulier. «Le voyage était auparavant considéré comme une expérience personnelle (je vais là où j'ai envie d'aller); il est maintenant devenu une expérience sociale (je vais là où je pense que mon image sera la plus appréciée en ligne)», développe Claudio Visentin. Résultat: certains lieux se retrouvent engorgés.
Jusqu'au point où les autorités se retrouvent obligées d'intervenir, à l'image de ce qu'a commencé à faire la Cité des Doges:
On peut tout de même se demander si cette volonté de se détourner des touristes ne trahit pas une certaine hypocrisie, surtout de la part de villes qui ont gagné énormément d'argent grâce à eux, telles que Barcelone ou Amsterdam.
«Le tourisme, par essence, consiste à aller voir la vie dans un autre endroit. C'est pourquoi il ne peut jamais être sa première industrie», nuance Claudio Visentin, qui avance, encore une fois, l'exemple de Venise: «Elle compte aujourd'hui moins de 50 000 habitants, les Airbnb sont bien plus nombreux que les maisons; elle est devenue un gigantesque musée».
«Lorsque le tourisme devient la première industrie d'un lieu, il le tue. Il tue son identité», ajoute-t-il. «A mon avis, les habitants ont raison de se défendre. Ce n'est pas de l'ingratitude, mais un instinct de survie».
Encore faut-il savoir si ces mesures sont efficaces. Les résultats observés jusqu'à présent sont «contradictoires», note The Conversation. La plupart des fois, les taxes sur le tourisme n'ont eu aucun effet, dans d'autres, les répercussions ont été limitées. Parfois, l'argent récolté est même utilisé pour financer des infrastructures touristiques.
Pour Claudio Visentin, la solution pourrait se situer ailleurs: «Il est encore possible de voyager, de vivre de nouvelles expériences, de découvrir des pays, précisément parce que le tourisme international se réduit à quelques destinations surpeuplées», estime-t-il.
«Il est plus que jamais possible de voyager si nous ne réduisons pas le tourisme à une pratique sociale», ajoute le spécialiste, qui, pour promouvoir cette mission, a même créé une école, en 2005. Et de conclure: