Comment l'Ukraine peut-elle sortir aussi bien que possible de la guerre lancée par la Russie? Même si elle ne peut pas reconquérir les territoires perdus au profit de la Russie? Deux voix fortes se mêlent désormais au débat en cours sur les options de paix et de négociation possibles après plus de 900 jours de guerre.
Les deux expertes allemandes que sont Claudia Major et Jana Puglierin répondent précisément à cette question dans un article pour le magazine Internationale Politik. Elles font un pronostic très sombre pour l'Ukraine dans la suite de la guerre, mais il y a encore du temps et des moyens pour éviter le pire: la victoire militaire de Moscou et le démantèlement de l'Etat indépendant d'Ukraine auraient des conséquences imprévisibles pour le pays et des conséquences terribles pour l'Occident dans son ensemble.
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Pour l'Ukraine indépendante, le simple fait de résister à la suprématie russe constitue déjà un succès. Mais Claudia Major et Jana Puglierin sont de plus en plus sceptiques quant au rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Selon elles, la grande chance de reconquête après les succès ukrainiens de l'automne 2022 a été manquée en raison de livraisons d'armes trop tardives et insuffisantes.
De longs débats politiques internes et des conditions entravant les systèmes d'armement de grande portée ont conduit l'Ukraine à subir inutilement de grandes pertes en vies humaines et en équipement, qui font défaut dans la phase critique actuelle de la guerre. De plus, l'Occident n'a pas réussi à isoler la Russie sur la scène internationale. Les sanctions pleines de trous contribuent à l'incapacité d'exercer une pression suffisante sur Moscou pour contraindre le maître du Kremlin à des négociations sérieuses.
Le problème central reste donc que Moscou n'a pas encore eu à envoyer un seul signal de compromis qui pourrait permettre d'entamer des négociations prometteuses. Un accord de paix selon la lecture de Moscou implique toujours la capitulation de l'Ukraine, un renversement («dénazification») de son gouvernement élu et la cession de jusqu'à 20% du territoire national, écrivent les deux autrices.
A cela s'ajouterait la réduction de l'armée ukrainienne à un niveau qui rendrait impossible toute défense future («démilitarisation»). Un tel Etat vassal serait sans défense face aux futures revendications territoriales de la Russie et devrait en même temps vivre dans les territoires perdus avec une politique de russification brutale et un assujettissement à long terme de certaines parties de sa propre population.
Dans le sillage des frappes aériennes massives de lundi, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a réaffirmé qu'une quelconque négociation avec l'Ukraine sur un cessez-le-feu n'avait «plus d'importance». Moscou ne peut pas signaler plus clairement qu'elle est toujours fermement convaincue de posséder le souffle le plus long dans le conflit avec l'Occident et de pouvoir atteindre tous ses objectifs par des moyens militaires.
On ne sait pas encore si la stratégie annoncée par le président Volodymyr Zelensky, qui consiste à utiliser le territoire russe conquis à Koursk comme gage pour forcer un échange de terres, sera couronnée de succès. Jusqu'à présent, les spectaculaires gains de terrain ukrainiens sur le sol russe n'ont même pas permis de détourner les formations russes des endroits critiques du Donbass.
Si l'Occident continue à vouloir «se débrouiller» dans le cadre des aides financières et des livraisons d'armes actuelles, voire en diminution, comme l'écrivent Major et Puglierin, l'Ukraine devra alors accepter à moyen terme une paix dictée par Moscou - avec les conséquences importantes décrites ci-dessus pour le pays et des conséquences encore plus graves pour l'ordre étatique occidental libéral et les chaînes d'approvisionnement économiques mondiales.
Ces conséquences comprendraient une nouvelle vague massive de réfugiés ukrainiens, des coûts d'armement massifs au sein de l'Otan et de l'UE face au régime victorieux et militairement renforcé de Poutine, ainsi que de nouveaux foyers de crise dans le monde entier par des imitateurs de la stratégie de la «loi du plus fort». Dans le pire des cas, le chantage nucléaire reviendrait même à la mode.
Que faut-il donc faire maintenant? La meilleure solution serait encore que la Russie reconnaisse d'elle-même à quel point les efforts déployés pour sa guerre d'agression, illégale au regard du droit international, sont disproportionnés. Mais les deux auteurs ne voient actuellement aucun signe de l'intensification de l'aide financière et en armement à l'Ukraine qui serait nécessaire à cet effet, bien au contraire.
Par conséquent, l'Occident doit de toute urgence «s'assurer que l'Ukraine sortira renforcée de la guerre, même si elle ne parvient pas à libérer tous les territoires occupés». Telle est la thèse centrale des deux co-autrices. Jusqu'à présent, les Etats occidentaux qui soutiennent l'Ukraine n'ont en effet pas réussi, dans leurs garanties de sécurité, à proposer à Kiev un paquet qui rendrait un accord de cessez-le-feu sur le statu quo militaire envisageable pour l'Ukraine.
Selon elles, toute solution de cessez-le-feu ou de paix qui serait considérée par la population ukrainienne comme une défaite militaire entraînerait un bouleversement politique et le chaos. Aujourd'hui encore, une nette majorité de la population rejette les négociations aux conditions de la Russie. Volodymyr Zelensky lui-même a récemment souligné dans un discours que seul le peuple pouvait décider de cessions de territoires.
C'est là que l'Occident intervient de manière décisive pour offrir une perspective à long terme de «souveraineté et de prospérité». Pour cela, l'intégration de l'Ukraine dans l'Otan et l'UE est indispensable, elle doit avoir lieu immédiatement après le cessez-le-feu, mais elle doit déjà être garantie de manière crédible avant le début des négociations pour renforcer la position ukrainienne:
La préservation de l'indépendance et de la sécurité serait assurée par l'adhésion à l'Otan ou par des garanties de sécurité équivalentes fournies par l'alliance de défense. En s'inspirant du conflit gelé en Corée, le déploiement de troupes occidentales en Ukraine, de préférence issues des pays des puissances nucléaires, assurerait la dissuasion face à la Russie.
On est encore loin de tout cela en raison des hésitations craintives de l'Occident; certaines choses semblent même irréalistes à l'heure actuelle. Claudia Major et Jana Puglierin le savent bien. Mais un tel paquet serait «pour Kiev une possibilité de mettre fin à la guerre dans des conditions qui paraissaient jusqu'ici inacceptables».
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)