Depuis plus de trois ans et demi, le régime russe mène une guerre contre l'Ukraine. Selon Vladimir Poutine, le président russe, l'invasion du pays voisin a pour objectif sa soumission totale.
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Moscou semble maintenant un peu plus proche de cet objectif. Selon les autorités d’occupation, les troupes russes ont pris entièrement la région de Louhansk. Le gouverneur de la région, nommé par Moscou, Leonid Passetchnik, a annoncé cette victoire il y a deux jours à la télévision d’Etat russe.
Pour l’instant, aucune confirmation n’a été donnée par Kiev, et les informations ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante. Le ministère de la Défense russe n’a pas encore officiellement annoncé la prise complète. Toutefois, par le passé, les confirmations officielles de Moscou suivaient généralement de près les annonces des autorités locales d’occupation.
Pour Poutine, la prise de cette région serait un triomphe en matière de propagande, d'autant plus qu’il a déclaré Lougansk, ainsi que Donetsk, Zaporijjia et Kherson, comme faisant partie intégrante de la Russie en 2022, à l'instar de la Crimée, annexée illégalement en 2014.
Selon la propagande du Kremlin, ces régions ukrainiennes font partie d’un territoire appelé «Donbass et Novorossiya», une notion que Poutine a détaillée lundi lors d’une réunion sur le développement socio-économique de la région.
Le régime russe actuel revendique de vastes territoires du sud et de l’est de l'Ukraine, se fondant sur un concept historique appelé «Novorossiya». Poutine et ses propagandistes s'appuient sur un modèle impérial du 18e siècle.
A l’époque, la tsarine Catherine II avait étendu le contrôle russe sur l’Ukraine, soumettant et déplaçant la population locale, notamment les Cosaques de Zaporijjia, dans la continuité des ambitions de son prédécesseur Pierre Ier («le Grand») qui avait commencé à agrandir le territoire russe.
Ce terme de «Nouvelle Russie» a été créé par Pierre Ier pour légitimer l'occupation. Le tsar ne s'est toutefois pas contenté de cela: Pierre le Grand et ses historiens ont instrumentalisé le terme «Rus» à leurs propres fins, car la Rus désignait à l'origine un vaste royaume médiéval autour de la capitale ukrainienne (on parlait alors de la «Rus de Kiev»). Cette fédération de petites principautés a existé entre le 9e et le 13e siècle, et elle est à l'origine des identités actuelles de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie.
Poutine tire, lui, ses prétentions du récit de l'empire de la Grande Russie, dont l'origine vient probablement de la Rus. Moscou répète à l'envi que l'Ukraine a toujours fait partie intégrante de la Russie. Que ni une culture propre ni une revendication territoriale ne se justifie sur le plan historique.
Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a ainsi répondu lundi au maire de la ville portuaire ukrainienne d'Odessa que celle-ci était «indissociable de l'histoire nationale». L'Ukrainien avait auparavant déclaré qu'Odessa n'était pas russe et ne le deviendrait jamais.
Les historiens rejettent fermement cette lecture: selon eux, le récit russe non seulement ignore l’histoire propre de l’Ukraine, mais déforme également des concepts historiques comme «la Rus’ de Kiev», qui ne peut en aucun cas être vue comme l'origine d'un empire russe. L’Ukraine a au contraire été un espace culturel et politique indépendant, avec des développements politiques, linguistiques et sociaux distincts.
Le conseiller de Poutine, Vladimir Medinski, a lui aussi martelé lundi que Russes et Ukrainiens «ne forment qu'un seul peuple» qui se partage «un territoire fondé sur l'histoire». Medinski en a également précisé l'étendue: selon lui, la Russie revendique les terres situées de part et d'autre du fleuve Dnipro, soit une grande partie de l'Ukraine actuelle.
Entre-temps, les officiels du Kremlin, tels que Peskov, Medinski ou le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, parlent régulièrement en ces termes, pourtant contestés par les spécialistes. Poutine adopte lui aussi ce vocabulaire dans ses discours. Lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 9 juin, il a répété que:
Pour imposer ses prétentions, Poutine a multiplié les attaques depuis le début de l'année, avec plus de bombes et plus de drones. La terreur sur les grandes villes, y compris sur la capitale, s'accentue constamment.
On recense aussi davantage de victimes. Les cibles civiles, comme les habitations, mais aussi les infrastructures, comme les hôpitaux et les jardins d'enfants, sont de plus en plus fréquemment visées.
Dans le même temps, la Russie intensifie ses efforts sur plusieurs parties du front. Selon les médias d'Etat et les blogueurs de guerre, les troupes progressent de plus en plus dans l'est de l'Ukraine. Elles se sont ainsi emparées d'une première localité dans la région de Dnipropetrovsk, au centre-est du pays. Lundi, elles auraient également pris le contrôle du village de Dachnoïe. Aucune confirmation n'était disponible dans l'immédiat ni du côté ukrainien ni au ministère de la Défense à Moscou.
Au cours des deux derniers mois, les soldats russes ont au total gagné environ 950 kilomètres carrés. Selon le groupe d'observateurs ukrainiens Deep State, l'adversaire contrôle actuellement 113 588 kilomètres carrés de territoire ukrainien.
Celui-ci comprend la péninsule de Crimée, plus de 70% des régions de Donetsk, Zaporijjia et Kherson, ainsi que des parties des régions de Kharkiv, Soumy et Dnipropetrovsk. Il se pourrait, par ailleurs, désormais, que celle de Lougansk soit à 100% sous contrôle russe.
Les séparatistes soutenus par Moscou l'avaient déjà conquise en partie en 2014. Lorsque la guerre a éclaté, les Russes se sont emparés de la majeure partie de la région en quelques mois. Lors de leur contre-offensive à l'automne 2022, les Ukrainiens ont pu reconquérir quelques terres au nord de Lougansk. Mais à l'occasion d'une cérémonie en grande pompe au Kremlin, Poutine l'a unilatéralement et officiellement intégrée à la Fédération de Russie, idem avec Zaporijjia, Donetsk, Kherson et la Crimée.
Si cela se confirme, l'autocrate pourrait, du moins dans le cas de Lougansk, se rapprocher davantage encore de son rêve d'expansion. Il aurait alors remporté une victoire d'étape importante dans sa tentative de placer de vastes zones sous son contrôle.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)