Sa silhouette, sa frange coupante, sa moue dédaigneuse et ses éternelles lunettes fumées sont célèbres dans le monde. Anna Wintour. Une légende vivante dont on a tendance à oublier la véritable influence. Loin de se cantonner aux pages du magazine qu'elle dirige d'une main de fer depuis 1988 (!), Vogue US, l'impact de cette journaliste est mondial.
Pourquoi débourser des milliers de francs dans un sac à main au logo le plus visible possible? Ou 35 balles dans un rouge à lèvres? Comment la «marque» a-t-elle pris le pas sur son «créateur»? Pourquoi un magazine comme Vogue est-il bourré à n'en plus pouvoir de publicités? Pourquoi le groupe LVMH pèse-t-il des milliards? Pourquoi les grands groupes sont-ils partis à la conquête de la Chine? Et puis au fond... pourquoi la mode, c'est important? Quelques-unes des questions que posent les créateurs de Luxe: La Fabrique du rêve, Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, dans cette production HBO, disponible sur la RTS.
Nous voilà plongés à la toute fin des années 1980. Le monde du luxe traverse une période terne. Dior, Givenchy, Louis Vuitton et autres Yves Saint Laurent, autant de marques qui faisaient la renommée de la France à l'étranger, ont mal vieilli et prennent les mites. Comme une robe de mémé confinée au placard. C'est sans compter sur l'appétit d'un jeune loup de la finance, ambitieux et sans scrupules. Bernard Arnault, alias le «Terminator du luxe».
Une fois constitué un beau porte-feuille de marques, ce requin visionnaire entend placer de jeunes créateurs à la tête de ses maisons fétiches. En matière de mode, le financier a beaucoup à apprendre. C'est donc naturellement qu'il se tourne vers une femme de confiance: Anna Wintour, celle dont on dit qu'il faut avoir «la bénédiction» pour réussir dans cet univers impitoyable.
«Anna Wintour était très habile pour faire des suggestions aux magnats du monde de la mode», raconte Dana Thomas, rédactrice pour le British Vogue, au cours du documentaire. «Elle leur glissait à l'occasion d'un dîner mondain: 'Vous devriez surveiller ce créateur' ou 'Vous devriez peut-être aller voir ce défilé.' Elle leur chuchotait à l'oreille: 'Vous devriez garder un oeil sur Johh Galiano'.»
Justement, c'est cette habile entremetteuse qui glisse le nom du styliste britannique pour prendre les rênes de la maison Dior, en 1996. Puis celui de Tom Ford chez Yves Saint Laurent ou encore de Marc Jacobs chez Louis Vuitton. Des créateurs subversifs, brillants, novateurs - et fragiles. Ses petits protégés. «Dans cet univers, c'est elle qui tire les ficelles», glisse une ancienne collaboratrice.
Que vous soyez calé en histoire de la mode ou un parfait néophyte curieux, vous trouverez forcément votre compte dans cet élégant documentaire en quatre épisodes. Et puis, vous apprécierez cette plongée la tête la première dans le monde frappadingue qu'est la mode des années 1990.
C'est aussi un bel hommage à la folie de ces couturiers de génie, d'Alexander McQueen à Tom Ford, en passant par John Galliano et Marc Jacobs. Des hommes brillants, libres, fantasques, rivaux, rongés par la pression, les drames, leur volonté viscérale de créer et de réussir. Quitte à se détruire.
A découvrir dans Luxe: La fabrique du rêve, une mini-série en 4 épisodes, disponible depuis le 30 décembre sur Play RTS.