Société
mort

«Les premiers vampires ressemblaient plutôt à des zombies»

German actor Max Schreck (1879 - 1936), as the vampire Count Orlok, being destroyed by sunlight, in a still from F. W. Murnau's expressionist horror film, 'Nosferatu, Eine Symphonie Des Grau ...
L'une des représentations les plus célèbres du vampire: Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922). Image: Hulton Archive

«Les premiers vampires ressemblaient plutôt à des zombies»

Le mythe du vampire tire son origine d'un ensemble de croyances diffusées dans l'Est et le Sud de l'Europe avant le 18e siècle. Ces créatures, qui ne partagent que peu de caractéristiques avec le vampire moderne, traduisent une certaine vision du monde et étaient, parfois, bien réelles.
30.10.2024, 19:0130.10.2024, 19:02
Plus de «Société»

Si on vous demandait d'imaginer un vampire, vous allez probablement penser à un monsieur distingué, paré d'une cape et doté de canines pointues grâce auxquelles il se nourrit du sang de ses victimes. Ou alors, vous allez songer au comte Dracula, ou à Robert Pattinson dans Twilight. Dans tous les cas, ces images n'ont pas grand-chose à voir avec les vampires des origines.

Avant de s'implanter en Europe occidentale, le mythe du vampire est essentiellement répandu dans une zone qui s'étend entre la Pologne et la Grèce, passant par les Balkans et la Roumanie. Les caractéristiques de ces revenants changeaient en fonction de la région, mais étaient assez différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui. Francesco Paolo de Ceglia, historien auprès de l'Université de Bari, a retracé leur histoire dans un livre. Interview.

Comment pourrait-on décrire les vampires des origines?
Francesco Paolo de Ceglia: Les images que les hommes et les femmes du passé se faisaient du vampirisme changeaient d'un village à l'autre, d'une époque à l'autre. Si l'on voulait trouver une description commune, on pourrait dire que les vampires de la première heure ressemblaient beaucoup à nos zombies contemporains:

«Des morts, souvent enflés, dont les ongles et la peau se détachaient, et qui poursuivaient les vivants»

Ils ne devaient pas être particulièrement charmants, surtout lorsqu'on racontait qu'ils revenaient pour coucher avec leurs femmes, ou qu'ils avaient des enfants avec elles.

Y avait-il plusieurs variantes régionales?
Oui. Dans l'Europe de l'Est et du Sud, le vampire a connu de nombreuses déclinaisons. Le tympanaios grec, par exemple, était gonflé et noir, tandis que le vampire de la famille des vilcolaci avait des caractéristiques de loup. Le Nachzehrer, quant à lui, mâchait son linceul, que l'on disait retrouver dans sa bouche.

«L'important est que presque tous ces sujets se manifestaient pendant le sommeil, ou dans un état intermédiaire entre le sommeil et l'éveil, de ceux qui prétendaient les avoir vus»
Dracula interprété par Bela Lugosi. Il s'agit d'une image déjà contemporaine du vampire.
Dracula interprété par Bela Lugosi. Il s'agit d'une image déjà contemporaine du vampire.Image: Bettmann

Ces vampires ne devaient donc pas se rendre physiquement chez leurs victimes?
Non, ce n'était pas nécessaire. Attaquer physiquement ses victimes, ou leur planter ses dents dans le cou, ce sont des idées cartésiennes construites par nous, les Occidentaux, parce que nous ne concevons pas l'action à distance. Pour les populations de ces territoires, au contraire, l'action à distance était tout à fait normale. Ainsi, les vampires pouvaient effrayer les gens et commettre les crimes dont on les accusait, sans devoir quitter leur tombe.

Et qu'en est-il du sang?
Ce n'était pas un élément obligatoire. Certains vampires buvaient du sang, d'autres du lait ou de la pluie, et d'autres encore mordaient leur victime de l'intérieur pendant le sommeil, lui arrachant le cœur ou le foie. Ce que le vampire emporte fournit un indice de ce que la communauté touchée craignait le plus. Dans les sociétés qui avaient peur de la sécheresse, il était plutôt question de liquides, tandis que dans celles qui craignaient la famine, on parlait de graisse ou de viande.

Dans votre livre, vous racontez que ces figures mythiques étaient parfois bien réelles. Comment cela se passait-il?
Lorsqu'un village était frappé par une calamité, il fallait trouver un responsable. Le vampire. On ouvrait donc les tombes, à la recherche d'un corps mieux conservé, ou un peu plus gonflé que les autres.

«On finissait toujours par en trouver au moins un, et ce pour des raisons purement naturelles»

Qu'est-ce qu'on faisait alors?
Lorsque le coupable était identifié, on lui perçait le coeur et on le brûlait. Cela rassurait les gens, qui pensaient, ce faisant, avoir repris le contrôle de la situation. Le vampire était donc un bouc émissaire, car on ne peut pas penser et accepter que le mal nous frappe sans raison.

Des gens s'occupent d'un vampire présumé, Roumanie, vers 1893.
Des gens s'occupent d'un vampire présumé, en Roumanie, vers 1893.Universal Images Group Editorial

Pourquoi ce phénomène ne s'est-il pas produit en Occident?
Les gens commencent à ouvrir des tombes lorsqu'il y a un vide de pouvoir, tant au niveau civil que religieux. C'était le cas en Europe de l'Est et du Sud, où les monarchies nationales n'existaient pas et où les villages étaient isolés et dépeuplés. En Occident, le pouvoir était beaucoup plus présent sur le territoire et empêchait l'ouverture des tombes, ce qui était considéré comme un sacrilège et un crime.

Dans votre livre, vous parlez également de considérations religieuses...
Dans ces pays, le culte des saints n'existait pas, ou n'était pas très développé, ce qui fait que ces figures n'exerçaient pas une fonction d'intercession. Les populations ne pouvaient donc pas se tourner vers les saints dans les moments difficiles, comme les épidémies ou les famines.

«Il fallait alors trouver un coupable, qui, une fois brûlé, donnait aux gens l'impression d'avoir repris la main»

En Occident, la peur des morts a également été apprivoisée par le purgatoire. Mais là où cette croyance n'existait pas, ces morts posaient problème. Il fallait s'en occuper. Comme ces populations n'avaient pas de Dieu pour brûler spirituellement leurs morts, elles les brûlaient physiquement pour qu'ils ne reviennent pas. Il s'agit du même rituel de purification. D'une certaine manière, le purgatoire est la version théologique des rituels de lutte contre les vampires.

Certaines des caractéristiques évoquées font penser à la sorcière. Existe-t-il un lien entre ces deux figures?
Oui. La croyance en des morts malveillants, qui reviennent et apportent la maladie ou la sécheresse, est typiquement slave et se déplace essentiellement de l'Est vers l'Ouest. En revanche, la croyance en la sorcière, telle qu'elle a été conceptualisée par l'Eglise, se déplace dans la direction opposée. Vers la fin du 15e siècle, ces deux croyances se croisent et finissent par converger. Dans ces territoires récemment christianisés, on commence à dire que les vampires étaient en réalité des sorcières qui n'avaient pas été tuées de leur vivant et qui continuaient d'exercer cette magie à titre posthume, une fois enterrées.

«Avec une différence de taille: au lieu de ressusciter par eux-mêmes, comme c'était le cas avant, ces morts étaient désormais animés par le Diable, ce qui était conforme à la doctrine de l'Eglise.»

Cette convergence se remarque également au niveau sémantique. Lorsque la croyance en la sorcière se répand vers l'Est, les noms des vampires changent et se rapprochent du latin «striga», qui veut dire sorcière. En Pologne, le terme «wieszczy» laisse la place à «strzygas» dès la fin du 16e siècle. En Roumanie, on passe de «vârcolac» à «strigoi».

Vampire suçant le sang de sa victime, illustration du livre La vie mystérieuse, publié en 1910.
Vampire suçant le sang de sa victime, illustration du livre La vie mystérieuse, publié en 1910.Image: Gamma-Rapho

Les personnes accusées de sorcellerie étaient surtout des femmes. Les vampires présumés étaient-ils toujours des hommes?
Ça dépend. Sur le plan mythologique, le vampire est presque toujours un homme. C'est notamment le cas dans les pays où il existe une confusion, parfois également linguistique, entre le vampire et l'homme-loup, qui est toujours imaginé comme un mâle. Pourtant, au niveau judiciaire, ce sont souvent des femmes qui sont accusées de vampirisme.

«C'est ce que montre le premier cas documenté en Occident, qui s'est déroulé dans l'actuelle Serbie entre 1731 et 1732. Les vampires présumés étaient deux femmes»

Pourquoi accusait-on plus souvent des femmes?
A l'époque, les femmes ne jouissaient pas d'une bonne position au sein de la société balkanique, par ailleurs fortement militarisée. Lorsqu'elles mouraient, elles n'avaient souvent pas de famille pour empêcher que leurs tombes soient ouvertes, contrairement à ce qui arrivait avec les haïdouks, les combattants engagés dans la résistance contre l'Empire ottoman.

Comment est-on passé de cet ensemble de croyances diversifiées à l'image contemporaine du vampire?
L'Occident est entré en contact avec ces croyances vers 1730, à travers les rapports d'officiers allemands dépêchés dans l'actuelle Serbie pour enquêter sur ce phénomène.

«Dans cette région, le terme utilisé pour désigner ces êtres était probablement "vampir". C'est pourquoi nous utilisons aujourd'hui le terme vampire»

Nous sommes entrés dans une zone spécifique et nous avons vu son type de vampire, pour ainsi dire. Si le contact avait été effectué ailleurs, nous utiliserions probablement d'autres noms aujourd'hui, tels que moroi, upyr ou strigoi, auxquels seraient associées d'autres caractéristiques typologiques.

Est-ce que la découverte de ces pratiques a eu l'effet d'un choc culturel pour les Européens?
Il s'agit bien sûr d'une vision colonialiste. Lorsque les Occidentaux entrent en contact avec des peuples qu'ils considèrent comme des sauvages, il y a ce que l'on appelle la peur de la colonisation inversée. Les Européens, qui sont allés là-bas pour apporter la «civilisation», craignent de ramener chez eux des morts-vivants qui pourraient les dévaster. C'est précisément le problème soulevé dans la transposition de Bram Stoker:

«A un moment donné, Dracula en a assez de rester en Roumanie et arrive en Occident, où il sème la mort»

Quel rôle le roman Dracula a-t-il joué dans la diffusion du mythe du vampire en Europe de l'Ouest?
Bram Stoker a joué un rôle très important dans la définition du mythe du vampire en Occident. Lorsqu'il a commencé à concevoir son Dracula, l'écrivain est tombé sur un livre consacré aux traditions roumaines, dont il s'est servi pour réaliser un amalgame extrêmement fascinant. Sans jamais avoir mis les pieds hors d'Irlande, Bram Stoker a délocalisé le vampire en Roumanie et lui a attribué des caractéristiques très régionales, qui ont fini par prendre racine. Le cinéma et les séries télévisées ont fait le reste.

Francesco Paolo de Ceglia, «Vampyr», 2023, Einaudi, 416 pages.

Elle voit un fantôme dans l'avion
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Faut-il courir acheter le nouvel IPhone 16e? On a testé
Le nouvel iPhone d'entrée de gamme est arrivé. Apple fait ses adieux au bouton d'accueil. Le nouvel iPhone 16e est plus grand, plus rapide - et plus cher.

Pendant des années, l'iPhone SE a été l'underdog de l'univers Apple - petit, familier et étonnamment puissant. Alors que les produits phares coûteux devenaient de plus en plus grands, le SE restait la dernière option pour les fans du design classique de l'iPhone: un bouton d'accueil, un boîtier maniable et un prix qui rendait un téléphone Apple accessible au plus grand nombre.

L’article