Il est connu pour avoir été le propriétaire du grand magasin londonien Harrods pendant plus de 20 ans. Il était aussi à la tête de l'hôtel Ritz à Paris et du club de football de Fulham. Il s'est éteint l'an dernier, en août 2023, à l'âge de 94 ans.
Son existence a été couronnée de réussite. Sa fortune était estimée à deux milliards au moment de lâcher son dernier souffle. Si Al-Fayed brillait professionnellement à la face du monde, dans les coulisses, c'était un tout autre monsieur: un prédateur sexuel. Comme le narre l'enquête choc de la BBC, le patron était un homme calculateur qui instaurait la loi du silence au sein de la direction d'Harrods. La culture de la peur dominait.
En 2024, elles sont cinq femmes à briser le silence et confirmer avoir été violées par Al-Fayed. Elles sont plus de 20 femmes à avouer les agressions sexuelles dont elles ont été victimes dans ce documentaire de la chaîne anglaise. Le magasin de luxe londonien était, selon les dires d'une victime, «un réseau de corruption et d'abus sexuels».
Si bien que les journalistes de la BBC derrière ce documentaire confiaient que les victimes sollicitées pour témoigner avaient si peur qu'elles en devenaient paranoïaques – la peur des représailles des associés et des proches du milliardaire.
«Je me promène avec la peur de quelqu'un qui est mort», explique Gemma, l'une des victimes qui affirme avoir été violée par Mohamed Al-Fayed. Cette dernière a travaillé comme l'une des assistantes personnelles de l'homme d'affaires entre 2007 et 2009.
Une autre femme interrogée dans le documentaire lâchait cette phrase:
Mais une fois le rempart du silence effacé, la parole libérée, la déferlante s'est amorcée. Le Guardian évoque plus de 100 femmes, qui ont signalé avoir été harcelées sexuellement ou violées par Al-Fayed. Des avocats de la défense ont indiqué avoir reçu ces derniers jours «plus de 150 nouvelles demandes».
Un avocat représentant plusieurs victimes du milliardaire, Bruce Drummond, a décrit le climat dans le magasin de luxe:
A force d'être étouffée, la vérité devait bien éclater. Surtout que l'homme d'affaires a déjà été inquiété à de nombreuses reprises avant ce documentaire. Vanity Fair avait enquêté sur le bonhomme, avant d'entamer un bras de fer judiciaire avec le boss d'Harrods.
Les premiers articles du magazine évoquaient des agressions en 1995; du racisme, de la surveillance du personnel et l'inconduite sexuelle de Fayed contre le personnel de Harrods sont dénoncés – en août 1997, l'affaire est close par les deux parties.
Les attaques à l'encontre du milliardaire vont alors s'enchainer. En décembre 1997, «The Big Story» de la chaîne ITV révélait de graves allégations. Bien sûr, Al-Fayed a nié en bloc.
En 1998, c'est au tour d'un journaliste de la BBC, Tom Bower, de publier un livre: Fayed: The Unauthorised Biography. Ou encore 2017, lorsque la chaîne Channel 4 diffuse une émission dans laquelle trois femmes dénoncent des attouchements, des agressions et du harcèlement sexuel.
La classe et l'élégance de l'établissement se transforment en souffle glaçant et pervers. Le plus souvent, le patron opérait dans ses appartements de la rue Park Lane ou directement dans les bureaux du magasin, mais aussi lors de voyages d'affaires à Paris et à Abu Dhabi. Gemma confie avoir été violée à la Villa Windsor, dans les Bois de Boulogne. Une demeure qui appartenait à Al-Fayed à l'époque.
Chez Harrods, selon les témoins cités, il faisait ses emplettes et brisait des vies par la même occasion. Mais l'homme d'affaires égyptien ne pouvait pas faire comme il l'entendait dans le club de Fulham, qu'il a racheté en 1997. L'ancien manager de l'équipe féminine, Gante Haugenes, a déclaré que les joueuses étaient «protégées» du défunt propriétaire du club, après que le personnel avait «pris conscience» qu'il appréciait tout particulièrement les «jeunes filles blondes», relayait le BBC.
A la suite des révélations, le club a expliqué chercher si une quelconque personne a été affectée par les agissements du milliardaire.
Le cas Al-Fayed ravit ces différents dossiers qui éclaboussent la société, dépeignant des hommes aux habitudes ignobles. L'affaire de l'Abbé Pierre et à présent celle du rappeur Diddy sont des claques dans la figure d'une société qui a imposé le silence aux victimes durant de nombreuses années.
Le parquet britannique a, par ailleurs, admis avoir décidé en 2009 et 2015 de ne pas poursuivre Mohamed Al-Fayed, malgré l'existence d'enquêtes de police.
Du côté de la direction du magasin londonien, qui appartient à Qatar Investment Authority (l'Etat du Qatar), l'établissement s'est dit consterné par l'enquête et a déjà indemnisé plusieurs victimes. Une enquête a été ouverte en coopération avec les autorités pour faire la lumière sur cette affaire qui s'annonce colossale. Une de plus.