Louis Heyer ne veut pas être grincheux. Le Biennois de 44 ans affirme que beaucoup de choses sont excellentes dans l'athlétisme suisse. En premier lieu, les différents projets pour la relève comme l'UBS Kids Cup, le Visana Sprint ou le Mille Gruyère.
Il s'enthousiasme aussi devant l'effet positif de la stratégie «Créer des opportunités», avec des délégations helvétiques toujours plus importantes lors des compétitions internationales juniors. Cet accroissement est un facteur essentiel pour l'évolution de l'athlétisme dans notre pays.
Mais malgré ce succès apparemment sans frein, l'entraîneur en chef de la course chez Swiss Athletics est inquiet:
Presque tous les entraîneurs de la fédération doivent constamment bricoler, parce qu'ils sont au four et au moulin. Leur (trop) large cahier des charges leur prend beaucoup de temps et d'énergie. Il faut toujours faire des compromis quelque part. En fait, c'est un vrai gâchis», déplore Louis Heyer.
Grâce aux Championnats d'Europe 2014 à domicile, la volonté de miser à fond sur l'athlétisme est devenu la norme chez de nombreux athlètes suisses. «Nous constatons un haut degré de professionnalisation chez eux», observe Heyer. Mais l'encadrement de tous ces talents n'est pas à la hauteur de leurs aspirations légitimes. Conséquence?
Celui qui est aussi collaborateur scientifique de l'Office fédéral du sport cite plusieurs noms d'entraîneurs exemplaires, qui font un travail incroyable pour le développement de leurs sportifs. Il y a notamment Adi Rothenbühler (coach d'Angelica Moser), Karl Wyler (Simon Ehammer) ou encore Markus Hagmann (Dominic Lobalu). La liste est longue.
Mais tous sont confrontés aux mêmes défis et à la nécessité de faire d'incessants compromis. «Si l'un d'entre eux en avait assez et arrêtait, ce serait grave», prévient Louis Heyer. Ce père de famille aurait pu sans problème se citer lui-même comme exemple: en poste depuis 2009, il est employé par la fédération à 40% en tant qu'entraîneur en chef de la course et, en plus de ce mandat, à 30% comme entraîneur national du demi-fond. Son cahier des charges est vaste.
«Mais diriger soi-même des entraînements ne représente qu'une partie minime de ces tâches, peut-être 5%», explique le Biennois. Il pose ce constat:
Lui-même dirige à Bienne un groupe d'entraînement de demi-fond avec sept coureuses et un coureur de six nations différentes. Une activité qu'il considère comme un «loisir». Autrement dit: pour lui, elle est financièrement tout sauf intéressante. D'ailleurs, miser entièrement sur le métier d'entraîneur est un risque financier beaucoup trop important en Suisse.
Louis Heyer est conscient qu'un changement de système, urgent à ses yeux, coûte de l'argent. De l'argent qui n'est pas disponible ou pour lequel il faudrait supprimer d'autres dépenses chez Swiss Athletics. Mais le sujet est brûlant, «car nous ne nous donnons pas les moyens de nos ambitions», peste le chef de la course.
Il voit deux solutions:
Le Biennois veut réveiller les consciences avant que les coachs helvétiques, de plus en plus sollicités par des talents toujours plus nombreux, ne s'épuisent. Mais la réalité ne l'épargne pas non plus. Comme il n'a pas trouvé d'entraîneur pour les enfants de «son» club Biel/Bienne Athletics, le quarantenaire entraîne depuis deux ans, en plus de son job, les jeunes de moins de 8 ans. Même s'il doit souvent lutter pour garder la motivation le soir, après de longues journées de travail, il affirme: «Ce serait dommage de ne rien pouvoir proposer».
Apparemment, cette dévotion est présente dans l'ADN des entraîneurs d'athlétisme suisses.
Adaptation en français: Yoann Graber