«C'est moi seul qui suis un idiot.» Les yeux humides, Didier Cuche prononce cette phrase alors que tout est terminé. Le Neuchâtelois vient de rater le sacre au classement général du super-G pour... un seul point. A la place du Suisse, c'est l'Autrichien Hannes Reichelt qui reçoit le petit globe de cristal. «Les chances de le remporter étaient au mieux de cinq pour cent», s'étonne Reichelt après la course.
C'est un scénario incroyable qui aboutit à cette immense déception pour Didier Cuche. Tout d'abord, son compatriote, Didier Défago réalise le meilleur temps avec le dossard 13. Il ne tient pas longtemps: Hannes Reichelt est plus rapide que le Valaisan pour un clignement d'yeux: un centième d'avance! Autrement dit, 0,01 seconde...
Avant cette ultime épreuve, Reichelt a 99 points de retard sur Didier Cuche au classement général du super-G. Il doit donc gagner la course tout en espérant que le Neuchâtelois ne marque aucun point. La tactique de Cuche est claire: assurer et atteindre le top 15, qui permet de marquer des points. Mais il est trop prudent. Dans l'ère d'arrivée, le tableau d'affichage affiche un douzième rang. Les tressaillements commencent.
Ils dureront jusqu'au passage de l'avant-dernier skieur, le Haut-Valaisan Daniel Albrecht. Entre-temps, Cuche est descendu à la quinzième place. Si Albrecht bat le vétéran, il l'évince des points et offre le sacre au rival héréditaire, l'Autriche. «Les entraîneurs auront certainement averti Albrecht de l'enjeu», murmure-t-on à Bormio.
Ils l'ont fait, mais Albrecht n'en a cure, il ne respecte pas le plan. Il attaque et finit onzième. Cuche est bouté hors du top 15, et ne récolte donc aucun point. Reichelt, plus rapide que Défago pour ce maudit centième de seconde, remporte la course et le petit globe de cristal. «La stupidité a un nouveau nom», sourit un journaliste autrichien en jetant un coup d'œil à ses confrères suisses.
Martin Rufener, alors entraîneur en chef helvétique, est furieux:
Albrecht rejette les critiques. D'une part, il n'a reçu l'ordre de lever le pied (ou le ski, si vous préférez) que trois secondes avant son départ, par radio. De l'autre, Didier Cuche ne peut s'en prendre qu'à lui-même. «Mais bien sûr, je comprends sa déception», concède le «traitre».
Pour un seul point, Cuche a raté l'occasion de remplir sa vitrine avec un nouveau trophée. Il n'en veut pas à Albrecht, parce qu'on ne peut pas enlever à ce dernier le droit de skier vite. Le skieur des Bugnenets est beau joueur:
Martin Rufener revient peu après sur sa première déclaration. «J'ai dit des choses que je n'aurais pas dû dire», reconnaît l'entraîneur en chef suisse. Il s'excuse aussi directement auprès de Daniel Albrecht: «Tu n'as fait que ce que tout coureur doit faire.»
Pendant ce temps, les Autrichiens ne célèbrent pas seulement Hannes Reichelt, mais aussi Albrecht et son fair-play. «Les Suisses sont des sportifs fair-play. Les Autrichiens auraient sans doute à nouveau magouillé», s'avance Kurier, quotidien basé à Vienne.
Le Kleine Zeitung de Graz attire, lui, l'attention des supporters autrichiens sur l'Euro de football qui a lieu l'été suivant, co-organisé par la Suisse et l'Autriche:
A ce moment-là, le quotidien autrichien ne savait pas encore que la Nati ne ferait pas mieux que son voisin, tous deux éliminés dès la phase de groupes.
Adaptation en français: Yoann Graber