Fusant à des vitesses dépassant les 60 km/h en ligne droite, le buste savamment calé au-dessus de sa machine high-tech et les muscles gonflés comme des baudruches, Stefan Küng dégage une énorme puissance lorsqu'il est engagé en contre-la-montre, sa spécialité. Cette impression cache pourtant une grande vulnérabilité, et c'est justement pour parler des risques (et des conséquences) de sa spécialité que «King Küng» a pris la parole, mercredi à Zürich.
Le Thurgovien de 29 ans s'est présenté face à la presse pour revenir sur sa terrible chute lors du contre-la-montre des Européens. C'était il y a sept semaines aux Pays-Bas. Lancé à pleine vitesse, il avait violemment foncé dans une barrière lors d'un rétrécissement de la chaussée. Il s'était relevé et avait néanmoins fini la course, la tunique maculée de sang et le casque brisé. L'image avait fait le tour du monde.
Pour raconter sa chute, le Suisse s'est surtout étendu sur ce qui l'a provoquée, en tentant de répondre à la question que tout le monde s'était posé: comment un coureur aussi expérimenté que lui a-t-il pu perdre la maîtrise de son vélo sur une route parfaitement lisse, par temps clair et dans un léger virage qui ne présentait pas le moindre danger?
Stefan Küng a d'abord tenu à rappeler ce qu'il vit en contre-la-montre et ce que nous, pauvres cyclistes amateurs aux mollets velus, ne pouvons même pas imaginer:
Cette visibilité drastiquement réduite tient surtout à la position du double champion d'Europe de la spécialité (2020 et 2021). Stefan Küng est couché sur son vélo, à la recherche de la meilleure position aérodynamique possible. Il ne peut maintenir la vitesse qu'en gardant la tête baissée et en suivant son oreillette. «Je dépends à 100% des instructions du véhicule d'accompagnement», dit-il.
C'est alors son staff qui l'avertit en cas d'obstacles ou de virages serrés. C'est lui aussi qui lui dit quand il peut pousser à fond ou faire preuve de prudence dans certains passages. Le coureur place ainsi son destin (et sa sécurité) entre les mains de ses entraîneurs. Dans le cas concret des Européens cette année, le guidage n'a pas fonctionné. Le virage se refermait très légèrement à droite, et le responsable dans la voiture suiveuse n'a pas alerté le Thurgovien. Une faute humaine que Stefan Küng a décidé de laisser sur le bord de la route. «Je continue à avoir une confiance totale en mon staff», assure-t-il.
Ce jour-là, Küng a surtout été trompé par une ligne blanche sur le côté gauche de la route. Il l'a suivie et n'a pas vu qu'elle conduisait vers des barrières disposées comme un aiguillage, pour que les cyclistes continuent sur la droite de la chaussée. Il a eu le temps de repenser à ce qui l'a fait chuter et se dit aujourd'hui favorable à un marquage au sol avant les passages où le terrain est plus étroit, couplé à un changement du matériel de sécurité: «On pourrait peut-être transformer les barrières de sécurité en panneaux publicitaires ou en panneaux spéciaux, où le choc serait moins violent.»
S'il avait été à une allure modérée, Stefan Küng aurait eu le temps, bien sûr, de modifier sa trajectoire. Mais tout va très vite en contre-la-montre.
Pour briller aux Jeux olympiques de Paris puis aux Mondiaux de cyclisme l'an prochain, le Thurgovien sait qu'il ne devra pas seulement se concentrer sur ses qualités de coureur. Il lui faudra aussi affiner la procédure de guidage avec son staff. Mais quel staff? Lors des courses aux médailles, Stefan Küng n'est pas accompagné par du personnel de son équipe Groupama-FDJ, mais par les responsables de Swiss Cycling. Or la Fédération ne sait pas encore quels fonctionnaires recevront une accréditation pour Paris 2024. La médaille d'or se joue sur des détails que l'on peine parfois à imaginer.
Collaboration: Hans Leuenberger (ats)