Ces danseurs romands ont réalisé un exploit en cassant les préjugés
Quand on pense à la danse hip-hop, on imagine un milieu très décontracté, beaucoup moins formel que la danse classique. Un milieu qui privilégie l'improvisation et la liberté de mouvement à la perfection des gestes. Bref, une discipline cool, chill, comme disent les jeunes, qu'on pratique uniquement pour se faire plaisir. Sans pression. Et pourtant... «Quand je m'inscris à une compétition, c'est toujours dans l'idée d'aller jusqu'au bout», recadre d'emblée, mais avec le sourire, Alexia Granoli.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que les faits prouvent la détermination de cette trentenaire, prof de danse hip-hop et directrice de l'école STEP UP à La Tour-de-Peilz (VD).
Ce dimanche, elle a pris un car dans la ville de la Riviera vaudoise avec ses jeunes élèves et plusieurs parents (en tout, une quarantaine de personnes), direction Ljubljana. La capitale de la Slovénie accueille les Championnats du monde de danse hip-hop, du 25 au 28 octobre. Alexia Granoli et ses protégés n'y vont pas comme simples spectateurs, mais bien comme participants.
Et l'école STEP UP a réussi la prouesse de qualifier pour ces Mondiaux non pas une, mais deux de ses classes! Une dans la catégorie «kids» (enfants jusqu'à 12 ans), l'autre chez les «juniors» (ados jusqu'à 16 ans). «Oui, pour une petite école comme la nôtre, c'est un exploit», se félicite la prof vaudoise, qui a fondé STEP UP en 2013.
Pour valider leur ticket, les deux classes d'Alexia Granoli ont dû passer par des qualifications nationales. Les finales ont eu lieu en juin à Châtel-Saint-Denis (FR), regroupant neuf équipes dans chaque catégorie. Les «kids» et «juniors» de La Tour-de-Peilz ont terminé vice-champions suisses de leur classe d'âge respective. Suffisant pour voyager en Slovénie, puisque les trois premiers de chaque catégorie se qualifiaient.
Soin des détails et musique surprise
Si la danse hip-hop casse complètement le préjugé d'un milieu peu enclin à la compétition, un autre cliché, très tenace, semble, lui, se vérifier. «Les Alémaniques sont plus rigoureux, plus investis. Et leurs fans plus bruyants. Du coup, c'est vraiment difficile de les battre», rigole Alexia Granoli.
Mais les Romands ont réussi une très belle perf': quatre des six groupes de danseurs qui représentent la Suisse à Ljubljana, dans ces deux catégories, viennent de ce côté-ci de la Sarine (une classe de Vevey, une autre de Monthey et donc deux de La Tour-de-Peilz).
Sur place, peu importe la langue, tous les Helvètes seront solidaires. A l'image des Jeux olympiques, «il y a même un défilé par pays, avec des drapeaux et habits aux couleurs nationales», précise Alexia Granoli.
Les jeunes Vaudois sont arrivés dimanche soir dans la capitale slovène. Après un jour de visite lundi, place aux choses sérieuses mardi. Les deux groupes boélands (vous venez sûrement d'apprendre ici comment se nomment les habitants de La Tour-de-Peilz 😉) – composés chacun de sept membres – auront chacun environ deux minutes pour présenter leur chorégraphie au jury (de cinq personnes) et le convaincre. A chaque tour (avec un système de 16e, 8e, quart de finale, etc.), la moitié des équipes est éliminée.
Le suspense est d'autant plus intense que les groupes ne savent pas sur quelle musique ils vont danser. «On la découvre sur le moment. Il s'agit donc de calquer la chorégraphie qu'on a travaillée sur le tempo de la musique», détaille Alexia Granoli.
Le groupe «kids» de La Tour-de-Peilz en action 📺
Un exercice de coordination pas évident pour les «kids» boélands, âgés de 9 à 11 ans, ni pour les autres enfants. Mais la prof ne se fait aucun souci pour ses protégés: «Ils débordent d'envie de bien faire et d'énergie, ils sont très compétiteurs», applaudit-elle. Et puis, ses élèves sont prêts:
Décidément, malgré son apparence relax, la danse hip-hop n'a rien d'une activité en dilettante.
A Ljubljana, Alexia Granoli va pourtant exceptionnellement atténuer son caractère compétiteur. «A première vue, une place sur le podium semble hors de portée. La compétition est très relevée, notamment avec la présence des Etats-Unis, du Canada et du Japon».
Plusieurs équipes vont traverser l'Atlantique, même si l'événement est estampillé «The International Dance Organization» (IDO). Cette fédération, l'une des deux principales de la danse hip-hop, est moins prisée par les Américains – fondateurs de la discipline dans les années 1970, et chez qui elle est une religion – que sa concurrente «Hip Hop International» (HHI).
Auto-financement et garçons en minorité
Alors les jeunes Vaudois espèrent surtout profiter au maximum de leur séjour en Slovénie, peu importe le résultat. D'autant qu'ils ont tout fait pour rendre cette aventure possible. «On ne reçoit rien financièrement de la part des organisateurs», explique Alexia Granoli.
Le prix d'inscription à ces Mondiaux est de 80 francs par danseur. Un montant que la directrice de l'école STEP UP juge «énorme». «Il faut faire attention à ce que le hip-hop, qui est né dans la rue, au sein des classes populaires, reste accessible à tous», prévient Alexia Granoli. Elle déplore que «le monde de la compétition en danse hip-hop coûte si cher», y compris en Suisse, «et empêche des jeunes de le rejoindre parce que leurs parents n'arrivent pas à suivre financièrement».
La Vaudoise mène encore un autre combat. Contrairement à son groupe ados, entièrement composé de filles, celui des kids compte cinq filles et deux garçons. «C'est très difficile de convaincre les garçons de continuer la danse à l'adolescence», observe-t-elle.
Une aventure telle qu'une participation aux Championnats du monde, avec en plus un beau voyage à l'étranger, a en tout cas de quoi motiver tous les élèves d'Alexia Granoli et offrir du rêve aux autres jeunes danseurs romands de hip-hop, filles ou garçons. Qui ne pourront donc pas se tourner les pouces, mais devront faire attention même à leur petit doigt pour espérer imiter les Boélands.
