Retraité des terrains depuis 2021, Johan Djourou est aujourd'hui coach des juniors C au Lancy FC (GE), possède une société de marketing en ligne et deux autres entreprises (qui fabriquent du pop-corn et du maté). L'ex-international (76 sélections) se livre sur sa vision actuelle de l'équipe de Suisse.
Quelle est votre onze de base pour l'Euro?
JOHAN DJOUROU: Je jouerais en 4-3-3. Sommer au goal. Widmer, Akanji, Schär et Rodriguez en défense. Xhaka en numéro 6, mais je l'aime aussi en 8. A côté de lui, Freuler et Zakaria. Et en attaque: Embolo au centre, Ndoye et Okafor sur les ailes.
Ça veut dire que Shaqiri ne joue pas?
Si, mais je ne le vois pas forcément débuter. Le système doit lui convenir. Si nous jouons en 3-5-2, comme contre le Danemark, il serait certainement aligné en 10 chez moi. En 4-3-3, ce sera plus difficile pour lui. Peut-être que j'échangerais Okafor avec lui, car Okafor n'est pas souvent utilisé à Milan.
On vous sent hésitant... Votre dernier mot sur Shaqiri!
«Shaq» est tout simplement le meilleur. Sa créativité est incroyable, il veut jouer vers l'avant, prend des risques avec de longues passes. Nous avons besoin de ses idées. C'est un joueur avec tellement d'expérience et de qualité que nous n'en avons pas d'autre comme lui. Mais un joueur doit aussi être puissant et doit travailler défensivement, et je ne sais pas s'il pourra encore le faire pendant 90 minutes. On a besoin de rythme à l'Euro contre la Hongrie, l'Écosse et l'Allemagne, mais la Major League Soccer (MLS) n'est pas la Bundesliga, ni Milan, ni la Premier League.
Le sélectionneur, Murat Yakin, a été très critiqué. Comprenez-vous ces reproches?
En Suisse, nous avons de grandes attentes. Lors du dernier Euro, la Nati a atteint les quarts de finale. Yakin avait ensuite réalisé un bon début. Mais la Coupe du monde au Qatar n'était pas si bonne, il y avait quelque chose qui ne collait pas. Ensuite, tout s'est un peu dégradé, la dernière victoire a eu lieu contre Andorre. Andorre ! C'est comme ça que les critiques arrivent automatiquement, sur la tactique, l'ambiance, les entraînements. Et Xhaka a exprimé publiquement ces critiques.
Les journalistes romands ont vivement critiqué Yakin et même exigé sa démission. Tout comme les Alémaniques, d'ailleurs.
C'est aussi politiquement marqué. J'ai le sentiment que Yakin est considéré comme l'entraîneur des Suisses alémaniques.
Petkovic n'avait pas la mentalité germanique, les Suisses alémaniques ont donc été plus durs avec lui parce qu'il était plus loin pour eux. Peut-être que les Romands ont aussi le sentiment que Yakin ne fait pas les choses correctement.
Il y a même eu des débats entre la fédération et des journalistes romands.
Les Romands n'ont pas compris que Mbabu et Lotomba ne soient plus convoqués. Surtout Lotomba. Peut-être s'agissait-il d'une punition parce que le duo avait joué aux cartes trop longtemps un soir à l'hôtel de l'équipe à Genève. Mais, au dernier Mondial, il n'y avait qu'un seul latéral de chaque côté dans le cadre. Ce choix de Yakin n'a pas du tout été compris.
En juin 2011, vous étiez sur le terrain lors des débuts de Granit Xhaka avec la Nati, contre l'Angleterre. Comment était-il à ce moment? Et aujourd'hui, comment le voyez-vous?
C'était un jeune homme affamé, il avait déjà de la qualité et de la personnalité. Ce qu'il est devenu est aussi dû aux grands entraîneurs qui l'ont façonné. Wenger, Arteta, Emery. Ils ont aussi mis Granit au défi, ils voulaient voir quelle était sa personnalité.
L'année dernière, il y avait des dissonances entre Yakin et Xhaka. Pourquoi, selon vous?
Je comprendrais toujours qu'il puisse y avoir des difficultés avec un entraîneur. Yakin a son idée du football. Mais Xhaka a joué sous de grands entraîneurs, et c'est encore le cas aujourd'hui avec Xabi Alonso à Leverkusen. Alonso est un crack en matière de tactique. Il dissèque l'adversaire, chaque minute, cherche des solutions. «Fais ceci, fais ça, cours comme ça, joue ici». Xhaka n'a pas trouvé ce genre de choses avec Murat. C'est pour ça qu'il y a un peu de grabuge.
Quel type de football prône Murat Yakin?
C'est une bonne question. On ne le sait pas vraiment. Il veut jouer de manière offensive et dominante, mais je ne vois pas cela. Des équipes comme Manchester City, Leverkusen, Bologne jouent, elles, vraiment de manière offensive. Newcastle aussi. Chaque joueur est différent mais, dans ces clubs, ils partagent tous cette philosophie offensive. Ce sont des équipes avec des joueurs de folie. Mais un joueur seul ne peut pas faire grand-chose. Il s'agit de méthodologie, de connaissance et de transmission de la manière dont on veut jouer. Il suffit de regarder l'évolution de Granit Xhaka à Arsenal. Il était d'abord milieu axial, qui jouait de longs ballons. Arteta l'a transformé, Xhaka est devenu un joueur qui remonte le ballon au pied, va dans les seize mètres, marque des buts.
Yakin n'en est pas capable?
Pas encore. La Suisse n'a pas encore d'identité claire sous sa direction, pas d'ADN de jeu. Pour être un bon entraîneur, il faut avoir de l'expérience. Yakin l'a certes. Mais un bon entraîneur, ce n'est pas seulement ce qui se passe sur le terrain. Mais aussi à l'hôtel, dans les vestiaires. La relation en dehors du terrain. Avec Yakin, ça peut bien se passer à ce niveau, mais aussi échouer.
Et actuellement, ça se passe bien?
Je ne peux pas le dire. Granit a critiqué le fait que les Suisses jouent comme ils s'entraînent. J'ai aussi eu ce sentiment. Il ne s'est tout simplement rien passé sur le terrain en automne. On n'a pas vu de confiance. Parce que les détails n'étaient pas bien préparés.
Murat Yakin se laisse davantage guider par ses sentiments, son feeling.
Mais le football est différent aujourd'hui. Les sentiments, c'est bien, mais connaître les détails, c'est mieux. Je ne peux dire que ce que j'ai vu. Guardiola est un monstre, il travaille toujours. Arteta aussi, il est incroyable, m'a-t-on dit. Ces entraîneurs travaillent toujours. Mais c'est vrai que la Nati est différente. Les joueurs ne sont pas là tous les jours, c'est un autre endroit et une autre ambiance.
Aurait-on dû licencier Yakin après l'automne dernier, qui n'a pas été satisfaisant?
Non, ce n'est pas une question pour moi. Il est là. Point final.
De quoi est capable la Nati lors du prochain Euro?
On passera la phase de groupes.
Adaptation en français: Yoann Graber