C’est une coutume médiatique que d’annoncer des JO hors de prix, en retard et/ou mal organisés. Rien de tel à Pékin: il n’y a aucun doute à avoir sur la capacité du régime chinois à mobiliser autant d'énergies que nécessaire, dans des lieux forcément somptuaires, parfaitement équipés et subrepticement sécurisés, reliés entre eux par une organisation minutée et dévouée.
Rien de tel à Pékin, en effet. Rien de tel qu’un régime monolithique pour garantir le bon ordre et la magnificence d'un grand événement sportif, sans que les questions de main d’œuvre et de maîtrise des coûts ne soient absolument considérées dans toute leur pertinence démocratique.
Les images qui nous arrivent actuellement de Chine ont ce petit côté froid et aguicheur des retapes autocratiques. Elles montrent des stades aux courbes provocantes, fardés de peinture fraîche, dressés sur leurs ergots de métal. Certainement qu'elles nous sembleront bien belles, au milieu de la nuit, quand nous les amènerons dans notre lit (et tant pis pour cette impression de fricoter avec le mal).
Bien sûr, ces infrastructures imposantes servent moins à célébrer la quintessence du dépassement de soi que la grandeur du pouvoir en place, mais le résultat est là et le monde sportif aurait mauvais jeu de dire qu’il ne compte pas.
A contrario, ceux qui «vivront» les JO sur place en auront vraisemblablement une autre perception. Pour les Jeux 2008, soit bien avant le Covid et la peur du pangolin, Pékin avait déjà fait place nette, fermé les gourbis et les usines, chassé les prostituées, les mendiants et les vieillards en liquette, interdit le crachat et la viande de chiens.
Quatorze ans plus tard, les photographes de presse nous renvoient la même image d’une cité purgée et figée, où errent des spectres en combinaisons nucléaires.
A Zhangjiakou, région sans neige (huit centimètres par année au cours des quatre dernières décennies), les pelles mécaniques ont mordillé la terre agricole au plus profond de ses entrailles, jusqu'à lui arracher de pénibles aveux (on la découvre sèche, victime d’un stress hybride).
La Chine a encore dressé un décor de carton-pâte, un enthousiasme maniéré, une courtoisie martiale, une construction mentale où les plantons sont de marbre et les nerfs d’acier. Elle promet monts et paperasses à des athlètes isolés, dont certains ne savent trop s’ils sont enfermés ou confinés, du moins condamnés à se faire percer le nez à chaque fois qu'ils voudront le mettre dehors.
Quelque 60 000 athlètes, bénévoles et journalistes cohabitent dans ce huis clos, où les contaminations ne cessent pourtant d’augmenter (une centaine de cas au dernier recensement officiel). Les étrangers n’auront aucun contact avec la population indigène et subiront des tests quotidiens.
Selon les premiers témoignages, le village olympique a remplacé les traditionnelles boîtes de préservatifs par des stocks de masques et les brèves de dortoir par une ambiance de stalag. Tout n'est plus qu'un vaste dédale de barricades, dans des parcours fléchés qui semblent n’avoir ni direction ni sens.
Il est tout aussi difficile d’y entrer que d'en sortir, tellement difficile que certains athlètes renoncent à des entraînements facultatifs, plus encore à des joggings, pour ne pas perdre d’influx.
Cette bulle sanitaire, protégée de la chaleur humaine par des grillages et un ton glacial, nous plonge dans une sorte de modernité lugubre où toute trace de vie devient suspecte, dangereuse (le Covid est-il vraiment la menace?) et superflue. Il n'y a pas de cuisinier à la cantine où les repas sont mijotés par 70 appareils ménagers puis acheminés directement sur les tables par des rails. Au restaurant comme au bar, les robots prennent la commande. Démonstration:
Here is a robot mixing a cocktail at the Olympics pic.twitter.com/Pb9KJ4ZZBm
— Andrew Keh (@andrewkeh) February 1, 2022
Même la nature, visiblement, ne reprend pas ses droits. A Zhangjiakou, 200 canons quadrillent le terrain et auraient turbiné jour et nuit pendant deux mois. Il a fallu deux millions de mètres cubes d'eau, l'équivalent de 800 bassins olympiques, pour accoutrer la montagne d’un ruban ridicule, deux-trois bouts de ficelles sur un paquet d’herbe.
Pour la communication intra-muros, le Comité international olympique (CIO) a imposé l'application My 2022 à tous les accrédités, dont certains ont suivi les recommandations de leur pays à ne pas emporter de téléphone portable privé en Chine. Jonathan Scott, un étudiant américain qui se présente comme le meilleur hacker du monde, soutient fermement que My 2022 est un logiciel espion (lire sa démonstration ici):
Est-ce une simple riposte, dans le style assez classique de la rivalité sino-américaine? La Chine accuse maintenant les Etats-Unis de payer des athlètes pour infiltrer les sites olympiques et y propager des révélations explosives. Le Daily China qui, comme tous les médias du monde, cite des «sources proches du dossier», affirme que ces Américains sont aux Jeux dans le seul but de diffamer la nation hôte, sans autre ambition personnelle ou sportive.
Autre parano encore, parmi les athlètes, où l'enjeu consiste moins à arriver en forme le jour J qu'à le rester pendant les jours qui précèdent, en attendant le verdict, non du chronomètre, mais du test PCR. Parano, aussi, dans la ville, où un quartier de deux millions d'habitants a été bouclé après une flambée de fièvre. Latex et tripotage à tous les étages:
Le public ne sera pas davantage admis sur les sites de compétition, sinon réduit à quelques «happy few» plus ou moins happy d'être là, au milieu de nulle part, à applaudir des athlètes vaguement reconnaissants ou fort peu chinois. Faut-il s'étonner dès lors que dans ces JO sans brassage ni ouverture sur le monde, dans cette bulle qui sent le renfermé, les humeurs, souvent, macèrent?
Faut-il s'étonner encore que de nombreux pays aient renoncé à la cérémonie d'ouverture, certains au motif d'une dispense médicale, et que les sponsors historiques des JO, notamment Omega, très implanté en Chine, semblent particulièrement discrets, voire mal à l'aise?