Alisha Lehmann est sur toutes les langues, mais surtout sur beaucoup d’estomacs. Comme un bon gros chicken & waffle qui dégouline, on ne sait pas vraiment s’il faut se jeter dessus ou passer son chemin. Et ça divise. Dans les deux cas, si on zoome sur les chiffres, le bilan n’est pas terrible, mais le phénomène et l’expérience font un bien fou.
Alors que le ministre de la Santé, RFK Jr., a déclaré la guerre à la junk food made in America, on a l’étrange impression que le football féminin est en gavage calorique dès qu’il s’agit de digérer le cas Lehmann. Trop célèbre, trop sexy, trop visible, trop riche, trop influente, trop maquillée, trop bruyante, trop souriante, trop peu habillée, mais… pas assez talentueuse.
Too much, overdose, ça dégouline. Face à l’orgiaque Alisha, ses coéquipières sont à deux doigts d’être comparées à de vulgaires brocolis cuits à la vapeur: rien de bien umami, mais la promesse d’un maximum de nutriments pour la croissance et la santé de la Nati. Pensez donc, la Suissesse de 26 ans, malgré ses 17 millions d’abonnés sur Instagram, a l’outrecuidance de ne pas être la meilleure footballeuse du monde.
Ou l’inverse. (Mais ça revient au même.)
Pendant plusieurs semaines, son sort en vue de l’Euro 2025 a figé notre pays d’angoisse, avec une très mauvaise question:
En vérité, si sa sélection fait couler autant d’encre, c’est précisément grâce à (ou à cause de) sa formidable popularité. Et, au risque de souligner une évidence, la popularité, ça ne pousse pas à chaque coin de rue (contrairement aux opinions). Et seule la sélectionneuse a eu le difficile devoir de résoudre ce dilemme, dont la solution choisie va faire deux victimes toutes trouvées une fois la Nati éliminée en tout début de tournoi: Pia Sundhage et Alisha Lehmann.
On appelle ça des boucs émissaires.
Car, dans le fond, c’est quoi un bon élément? A l’heure où les RH du monde entier s’écharpent encore sur le sujet, la subversive attaquante fait office d’ovni dans le petit monde tamisé du football féminin, un sport qui aimante moins de regards et de pognon dans les poches des joueuses.
Pendant que les stars masculines alternent les entraînements et les coupettes de la Fashion Week en costard Dior et recoiffent leur petite mèche folle après une action manquée, les meufs crèvent la dalle (ou presque) et devraient jouer au foot sans dandiner sur les réseaux sociaux.
D'ailleurs, tout a déjà été largement disséqué dans l’existence d’Alisha Lehmann. De sa saison décharnée à la Juventus, à ses clichés tout en chair sur la bande passante, la Suissesse a droit au même traitement que Kim, Paris et consorts. Un doux mélange de ricanements condescendants et de jalousie mal déguisée, face à une réussite qui fait tousser.
Alors qu’elle incarne indéniablement un modèle pour des milliers de petites filles à travers le monde, on oublie souvent de rappeler que ses publications les plus populaires et influentes sont celles qu’elle balance ballon au pied, loin des plages suaves et des bikinis rikiki (l’étude est ici, si ça vous intéresse).
Oui, chers parents, c’est bien l’athlète qui parle à nos gamines. Et une athlète, ce n’est pas qu’un boulet de canon dans la lucarne à la 90e minute d’une finale. C’est un état d’esprit, sur le terrain et ses abords, dans les vestiaires, dans les tribunes et sur Instagram. Autrement dit, Alisha Lehmann est sans conteste un bon élément pour cette équipe suisse très loin d’être favorite.
Et l’écarter du banc des remplaçantes de la Nati aurait été la (première) grande erreur de cet Euro 2025 qui met la Suisse au cœur de l’attention mondiale.
Le véritable problème de la Bernoise, c’est d’être tombée amoureuse d’un sport féminin collectif qui ne tolère pas (encore) les têtes qui dépassent et les caractères bien trempés (coucou, Megan Rapinoe). Il lui faut être un élément. L’élément d’un tout. Qui plus est un bon élément. Pas simple pour une personnalité aussi libre, généreuse et débordante.
Dans un autre genre, on a cherché moins de noises au nerveux Benoît Paire, tennisman français très moyen, mais toujours motivé à montrer sa gueule de beau gosse sous les palmiers et ses collections de fringues sur Instagram.
A l’instar d’une Taylor Swift qui n’a jamais été la meilleure chanteuse au monde (encore moins une grande guitariste), Alisha Lehmann ne sera jamais la plus grande joueuse de foot de l’Histoire. Deal with it. L’attaquante bernoise et l’artiste américaine, douées, sympathiques, successful, plutôt inspirantes et ultra populaires, provoqueront toujours autant d’éruptions cutanées chez les culs serrés du sérail que d’étoiles dans les yeux de nos progénitures.
Pour la provoc’, on aurait pu aussi citer Nabilla, dans le registre de ces femmes devenues puissantes en retournant les moqueries à leur avantage, pour avancer à leur rythme et monter des empires avec leurs propres armes.
Et, jusqu’à ce que le reste du monde s’y fasse enfin, c’est très bien ainsi.