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Témoignage watson

Federer, Williams: «On ne réussit jamais vraiment sa sortie»

Roger Federer a pris congé sur une lettre.
Roger Federer a pris congé sur une lettre.
Témoignage watson

«Quand on arrête, on a peur. On se fiche de réussir notre sortie»

Roger Federer et Serena Williams ont choisi une curieuse façon d'annoncer leur retraite. Plusieurs champions compatissent: «Bien partir est une illusion».
24.09.2022, 08:1125.09.2022, 10:49
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Pour Roger Federer, un mot d'adieu envoyé au monde entier, par les canaux ordinaires, un jeudi après-midi. Pour Serena Williams, quelques lignes dans un magazine pour annoncer que peut-être, sûrement, cet US Open serait le dernier. Pour Simon Ammann, un départ différé à l'infini...

Existe-t-il une bonne façon de réussir sa sortie quand le monde entier la guette? «Réussir sa sortie... Cette seule phrase me laisse penser que les gens ne nous comprennent pas», soupire Dano Halsall, ancien champion du monde de natation. «Bien sûr, il y a une vie après la compétition», explique Marc Rosset. «Mais la retraite d'un sportif reste une petite mort. Et peu de gens ont envie d'envisager leur propre mort. Peu imaginent qu'elle sera réussie...»

Switzerland's Marc Rosset, left, congratulates his opponent, Switzerland's Roger Federer to his victory after their first round game at the Swiss Indoors in Basel, Tuesday 21, October 2003.  ...
Marc Rosset et Roger Federer aux Swiss Indoors 2003 Image: KEYSTONE

Marc Rosset avoue avoir choisi «une fin homéopathique», à soigner le mal par le mal. «J'ai perdu beaucoup de matchs, jusqu'à m'en dégoûter», nous confiait-il après sa retraite. Le Genevois a terminé sa grande carrière dans des petits stades de province, sous la pluie, avec quelques curieux derrière les grillages et contre des smicards qui lui faisaient payer ses galons. «Il existe mille façons d'arrêter. Tu ne sais jamais si tu as choisi la bonne. Jamais. Je le compare un peu à l'éducation d'un enfant: même des années plus tard, personne ne peut savoir s'il a fait juste. J'aurais pu arrêter autrement mais c'était mon envie, mon besoin du moment.»

Tous le disent: «partir au sommet» n'est pas la préoccupation de ceux qui le gravissent mais des admirateurs postés en terrasse. Pascal Richard va encore plus loin: «Peut-être qu'à la fin, je n'étais plus aussi fort. Mais je me fichais de passer pour un loser. J'avais envie de continuer. J'ai arrêté parce que plus personne ne voulait de moi. Tout simplement. Je n'avais plus ma place dans ce sport et je n'étais pas prêt. Ce qui devait arriver est arrivé: j'ai eu une très mauvaise reconversion. Je suis resté longtemps sous le choc. Je me suis senti très vite abandonné. J'étais seul. Je n'intéressais plus personne».

«Le problème, le vrai drame, c'est l'après»

Pour «son» champion, le fan souhaite généralement la fin plutôt que le déclin. Mais pour son karma, son deuil, son désenchantement complet, le champion préfère parfois le déclin aux regrets.

Marc Rosset relève avec une certaine ironie qu'«arrêter au sommet n'est pas un truc qu'un sportif fantasme. Au contraire, il évite plutôt d'y penser car tout le monde sait que derrière, il y a le vide. C'est un processus très compliqué. La difficulté est moins de réussir sa sortie que d'affronter l'après».

Dano Halsall ne s'en cache pas: «Il y a une peur. Une peur inavouable». L'ancien recordman du 50 mètres nage libre est convaincu de ne pas être une exception: «Je parle souvent avec des anciens sportifs: ils passent tous au moins par deux années de mélancolie. J'en connais même qui n'en sortent jamais. Ou d'autres qui se détruisent, comme Marco Pantani».

Die Schweizer Schwimmlegende Dano Halsall posiert mit einer Omegauhr Modell Planet Ocean in einem Schwimmbad, undatierte Aufnahme. Auf den Tag genau vor 20 Jahren - am 20. Juli 1985 - stellte Dano Hal ...
Dano HalsallImage: PHOTOPRESS

Nous avions rencontré Pascal Richard après le décès par overdose du cycliste italien, surnommé «Le Pirate». Le témoignage du Vaudois, coupé du cyclisme depuis quatre ans, avait déconcerté le monde entier:

«Moi aussi, j'ai pensé au suicide. Je suis resté longuement sur mon balcon, à chercher une raison de m'accrocher à la vie. J'en ai trouvé une seule: mes enfants. Du jour au lendemain, les milieux du cyclisme m'ont rejeté: la télévision, les décideurs, le Tour de Romandie. Mes amis répétaient sans cesse que je devais accepter mon sort; mais les gens ne comprennent pas. Personne ne comprend que le vélo est toute ma vie. C'est vrai, je suis aigri. J'étais au sommet et on m'a poussé dans le vide. Sous prétexte que je suis un champion, je devrais sourire à tout le monde. Inconsciemment, je me suis isolé. J'ai traversé des moments de profonde solitude. Selon moi, ce n'est pas de l'aide que demandait Pantani: c'était juste de la compréhension.»
Pascal Richard dans Le temps, 19 février 2004

Comme Marc Rosset, Pascal Richard pense que «quand un champion met un terme à sa carrière, il meurt une première fois. La manière, finalement, importe peu». Le tennisman développe: «C'est un changement total. La vie que vous avez commencée à l'âge de 6 ou 7 ans, cette vie qui a tout éclipsé, prend fin du jour au lendemain. Vous vous réveillez un matin et il n'y a plus rien. Allez expliquer à un cadre d'entreprise, passionné par son travail, reconnu et heureux, qu'il doit tout arrêter à 40 ans...»

Dano Halsall a vécu ce jour où, «soudain, il faut trouver un nouveau sens à sa vie, un nouveau rythme, une nouvelle activité. Je me réjouis de voir comment Federer, qui a géré toute sa carrière avec classe et facilité, va aborder sa retraite. Même riche, même sur-occupé, la transition reste assez difficile. Tout le monde passe par une petite phase de dépression. Y compris ceux qui refusent de l'admettre».

Marc Rosset reconnaît qu'une partie de lui s'est éteinte avec sa «petite mort»:

«Je vous glisse une confidence: quand je suis à Roland-Garros, quand je croise McEnroe ou Wilander dans les allées, je sens une petite flamme se rallumer en moi»
Marc Rosset

Un champion ne trouve jamais vraiment la paix, même quand il s'essaie à une vie paisible. Martina Hingis avait fini par le comprendre. Née pour régner, «la princesse de Trübbach» avait préféré jouer le double que la comédie du bonheur, lasse d'aligner les maris et les glaïeuls dans son jardin secret de la Goldküste, mystifiée par des pubs Zug qui, en quelques incantations folâtres, la transformaient en soubrette, enchantée de son nouveau four. La jeune femme qui fuyait son destin de prodige en montant sur ses grand chevaux n'a cessé d'y revenir au galop: elle s'est toujours remise au tennis. Elle n'a persisté ni dans le concours hippique ni dans le gratin dauphinois. Elle s'est alignée en double jusqu'en 2017, quinze ans après son premier départ à la retraite.

«Je suis fan des Rolling Stones. Regarde-les: Keith Richard et Mick Jagger ne trouvent rien de mieux à faire que monter sur scène à 80 balais. Nous, les sportifs, si nous n'étions pas limités par l'âge, nous ferions exactement pareil»
Dano Halsall

«On ne choisit pas toujours sa sortie»

Dano Halsall a pris sa retraite aux Jeux de Barcelone: «Je savais qu'après ça, il n'y aurait plus rien». Pascal Richard n'a pas eu le choix: «Nous ne sommes pas tous des Federer. En tant que cycliste, j'étais un simple salarié. Je dépendais entièrement de mon employeur».

Pascal Richard a vécu ce que vivent de nombreux cadres d'entreprise: «J'étais encore bon mais pas assez pour le salaire qu'on me donnait. Un jour, on est venu me dire que je n'étais plus rentable. Il n'y avait plus de contrat. Plus de place pour moi. Donc c'était fini».

«D'autres collègues ont fini dans de toutes petites équipes ou en déclarant qu'ils préféraient arrêter que se doper. Ah, la belle excuse... Moi, je n'ai pas peur de dire que plus personne ne me voulait»
Pascal Richard

Pascal Richard a pris sa décision quand la Suisse ne l'a «pas sélectionné pour les JO de Sydney, moi, le champion olympique en titre... Pour résumer, je suis parti sur une mauvaise nouvelle». Le deuil fut d'autant plus long: «J'ai eu de l'argent, puis je n'en ai plus eu. Mais j'ai toujours su rebondir car le sport nous prépare aux coups durs. Et puis, il y a l'homme. S'il est devenu un champion, c'est qu'il a du caractère, un peu, quand même».

Pascal Richard of Switzerland waves on the podium after he won the 12th stage of the Tour de France cycling race between Valence and Le Puy en Velay, central France Friday July 12, 1996. (AP Photo/Lau ...
Pascal Richard au Tour de France 1996Image: AP

Marc Rosset en rit presque (ce que Philippe Bouvard appelait le stade jubilatoire de la désillusion): «Il n'existe pas de guide, de mode d'emploi pour une sortie parfaite. Je crois que chacun d'entre nous suit une sorte d'intuition, en sachant pertinemment que sa décision n'est pas viable ni rationnelle. C'est juste un saut dans le vide. Par exemple, Zidane éprouvait toujours autant de plaisir à marquer des buts devant 80 000 spectateurs mais il sentait que ce plaisir-là, cette petite pointe de l'iceberg, lui demandait des efforts qu'il ne pouvait plus fournir. C'était son impression».

L'ancien top ten cite un exemple: «Pete Sampras a annoncé la fin de sa carrière quatre jours après son sacre à l'US Open. Il a dû penser que c'était le meilleur moment, une belle opportunité de partir en pleine gloire. Mais qui nous dit que Pete n'a jamais regretté son choix? Qui nous dit qu'après mûre réflexion, il n'a jamais pensé qu'il aurait dû pousser encore un bout?»

«Un truc de fans qui n'y comprennent rien»

Dano Halsall cite «Mohamed Ali qui, peut-être, a disputé quelques combats de trop, notamment pour son Parkinson. Mais en quoi le public est-il légitime pour en juger?»

Le fan est romantique; mais il est aussi égoïste. A travers un champion, c'est un peu son aura qu'il s'approprie. A travers une carrière, c'est un peu ses rêves qu'il projette. Une fin peut tout gâcher. «Personne n’a envie de voir décliner les gens qu’il aime, qu’il s’agisse de son père ou de Federer», justifie le metteur en scène Denis Maillefer, grand fan du Maître et auteur de plusieurs chroniques sur le sujet dans Le matin dimanche.

«Quand j'entends dire qu'un sportif devrait soigner sa sortie, je mesure la distance qui nous sépare du grand public», tacle Pascal Richard. «Un cycliste n'est pas payé pour penser à son après-carrière. Il est entraîné chaque jour à être une bête à gagner. Sous le cagnard, dans le froid, au milieu des coups et des chutes, il n'est pas vraiment tourné vers la retraite. Désolé mais vous ne pouvez pas comprendre...»

«Le départ en pleine gloire», «la saison de trop», ne sont que des coquetteries de l'ego, estiment nos trois champions. «Ça obsède surtout le public», observe Dano Halsall. «C'est peut-être aux fans de faire un travail psychologique sur eux-mêmes pour gérer leur frustration», suggère poliment Marc Rosset. «Je me mets dedans par rapport à la retraite de Roger: bien sûr que je la vis mal!»

Réussir sa sortie,
le dernier de leurs soucis

On n'a qu'une seule occasion de faire une bonne dernière impression. Mais en quoi cette photo-finish supplanterait-elle toutes les autres? «Franchement, qui se souvient des adieux d'Agassi ou de Becker», interroge Marc Rosset. «Pour tout le monde, il reste une image, une histoire. Il reste le kid de Las Vegas et boum-boum Becker. Je mets quiconque au défi de me raconter leur sortie.»

Pascal Richard pressent que le simple fait de «planifier sa petite mort» est déjà un aveu de faiblesse, à tout le moins dans son sport: «Le cyclisme est un milieu où les gens crochent jusqu'à la fin. Jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. Pas forcément de bon cœur mais parce qu'on les pousse à ça depuis toujours. Si j'avais ne serait-ce que partagé mes projets de retraite avec mon directeur sportif Giancarlo Ferretti, il aurait considéré à la seconde même que j'étais fini».

Réussir leur sortie, en fin de «conte», fut le dernier de leurs soucis. Dano Halsall: «C'est un truc de fans! Un rêve impossible. Un leurre, aussi: aurions-nous gardé une meilleure image de Federer s'il avait arrêté plus tôt?» De l'ignorance à l'inconvenance, le nageur genevois ose le rapprochement: «Quand les fans et les journalistes disent d'un sportif qu'il devient moins bon, qu'il devrait songer à arrêter, j'ai envie de crier: mais appliquez ça à votre propre vie! Si vous n'êtes plus aussi bon dans votre métier, arrêtez tout de suite!»

Souffrez-vous de thalassophobie, la peur des profondeurs?
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Souffrez-vous de thalassophobie, la peur des profondeurs?
Ceci est un léopard de mer, un animal qu'on n'a pas envie de croiser mais heureusement, aucun n'a encore été vu dans le lac Léman.
source: boredpanda
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