On ne verra plus jamais Roger Federer jouer un match de tennis professionnel. Et pourtant, on pensera souvent au Bâlois en regardant les parties d'autres tennismen et tenniswomen. Parce qu'en plus du souvenir radieux qu'il laisse dans ce sport, le Maître lui lègue un héritage technique et tactique que certains joueurs se sont déjà appropriés. Analyse.
C'est certainement le schéma de jeu le plus spectaculaire que Federer a inventé: la SABR, pour «Sneak Attack by Roger» (en français: attaque furtive par Roger). Cette véritable marque déposée porte très bien son nom. A l'image d'un cobra (snake/sneak, vous l'avez? 😉), le joueur qui frappe un tel coup attaque son adversaire par surprise et de manière fulgurante. Son offensive se veut aussi tranchante qu'un sabre.
Concrètement: pendant que le serveur arme son coup, le retourneur s'avance furtivement loin dans le terrain et se place juste derrière le carré de service. En prenant la balle très tôt après le rebond, quasiment en demi-volée, le retourneur laisse beaucoup moins de temps à son adversaire pour préparer sa prochaine frappe. Sous pression, celui-ci n'arrive souvent pas à rendre une balle agressive ou fait la faute.
C'était à Cincinnati, en 2015 : le magicien Roger Federer sortait le SABR (Sneak Attack by Roger) de son chapeau pour la première fois ! 🪄🎾
— We Are Tennis France (@WeAreTennisFR) August 19, 2022
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S'il peut s'avérer redoutable, ce type de retour de service demande une excellente technique: il est très difficile de contrôler une balle juste après le rebond quand elle arrive à près de 200 km/h. Autant dire que Federer avait les capacités pour réussir pareil geste, qu'il a réalisé pour la première fois en match au tournoi de Cincinnati 2015. Un tournoi qu'il avait d'ailleurs remporté.
Nick Kyrgios, notamment, a joué plusieurs fois un tel coup.
La palette technique de Roger Federer était vraisemblablement la plus complète de l'histoire du tennis. Elle lui a permis de réhabiliter une technique de frappe que les cogneurs des années 1990 et début 2000 avaient pratiquement rangé au placard: le slice. Comme ce terme anglais l'indique, il s'agit de trancher la balle, de haut en bas, et de lui imprimer un effet rétro (tout le contraire du lift). Conséquence: la balle rase le filet et s'écrase, avec un rebond très bas.
S'il est rarement décisif, un tel coup a le mérite de casser le rythme de l'échange et de mettre en sérieuse difficulté l'adversaire. «Jamais personne avant lui n'avait utilisé un revers slicé comme il le fait», applaudissait en 2007 son ancien coach, Tonny Roche.
Le Maître a aussi dépoussiéré une autre arme redoutable, que tous les pros actuels utilisent, et même souvent (c'est le cas d'Alcaraz, par exemple): l'amorti.
«La parade est arrivée car certains ont commencé à s’apercevoir que les joueurs qui tapaient fort (réd: c'est le type de jeu privilégié actuellement, avec des tennismen de plus en plus puissants) se tenaient globalement assez loin derrière leur ligne de fond de court, notamment sur terre battue comme les Espagnols. Et l’amorti peut être un vrai antidote à ce type de jeu», analysait pour Slate l'ex-coach français de Roger Federer, Georges Deniau. L'adversaire espagnol en question pour le Bâlois? Nadal, bien sûr!
Roger Federer ne s'est pas contenté de faire redécouvrir au tennis la variation dans les échanges. Il l'a aussi fait au service. «Federer savait tout faire à l'engagement: frapper fort sans effet, mettre du slice ou encore imprimer du kick avec un gros rebond», admire Erfan Djahangiri, ancien coach de Timea Bacsinszky.
Dans le tennis actuel, le service est devenu un coup crucial, qui offre de nombreux points à qui le maîtrise bien. Henri Laaksonen, par exemple, admettait passer 30% de son temps d'entraînement uniquement à peaufiner ce geste. Et pourtant, très peu de pros varient aussi bien (vitesse, angle, effet) leur engagement comme Federer ne le faisait. Et ils sont encore moins nombreux ceux qui arrivent à masquer leurs intentions (leur lancer de balle les trahit).
L'homme aux vingt titres du Grand Chelem a aussi inculqué au tennis quelque chose de peut-être encore plus important que des gestes techniques ou des schémas de jeu: un nouvel état d'esprit.
«Il a été capable de changer son jeu dans le dernier tiers de sa carrière, ce qui est très rare», observe Erfan Djahangiri. Cette aptitude à se remettre en cause et à vouloir encore progresser, même au top niveau, a aussi frappé Yannick Hauselmann, professeur à Swiss Tennis qui officie à Puidoux (VD):
L'évolution du jeu de Roger Federer a été nettement perceptible quand il a gagné l'Open d'Australie 2017 à la surprise générale, après six mois loin des terrains. Erfan Djahangiri s'en souvient:
Avant Federer, très peu de joueurs avaient été capables de se métamorphoser pareillement. Les Agassi, Sampras, Hewitt, Roddick ou Nalbandian, pour ne citer qu'eux, ont toujours privilégié les mêmes filières. Sur les pas de Federer, seul Rafael Nadal – pour l'instant – a autant enrichi et varié sa palette (il est devenu beaucoup plus offensif grâce à l'amélioration de son service et de sa volée).
Last but not least, le Rhénan a redonné sa grâce au tennis. «Il a réinventé l’esthétisme», s'émeut Erfan Djahangiri, «alors même qu’on disait que le tennis serait l'apanage des grands gabarits au service surpuissant».
Tous ceux qui ont eu la chance de voir Roger Federer taper des balles, à la TV mais surtout «en vrai», ont eu cette fausse impression que le tennis était un sport facile. Grâce à des pas légers, des jambes extrêmement affûtées, un maintien parfait du haut du corps et un relâchement total de ses gestes, le Bâlois a rendu le tennis plus aérien que jamais.
"Tennis is more than just a sport. It's an art, like the ballet, and Roger Federer is the Principal dancer."
— Fede (@fedeerr) September 15, 2022
- from Barbara Schett FB Officiale page pic.twitter.com/HxNUbLZnur
Dans les écoles de tennis, les profs martèlent à leurs élèves l'importance cruciale de combiner tonicité et décontraction, seul chemin vers des coups efficaces. Roger Federer a poussé ce modèle à l'extrême. Il suffit de se promener dans les halles de Suisse romande pour se rendre compte qu'il a fait de nombreux émules.