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«L'UE a accordé un avantage exceptionnel à la Suisse»

«L'UE a accordé un avantage exceptionnel à la Suisse»

Andreas Künne, tout juste nommé ambassadeur de l’Union européenne en Suisse, nous accorde sa première interview. Il y évoque la démocratie directe, la libre circulation des personnes et nous donne même quelques recommandations de voyage.
21.09.2025, 19:0121.09.2025, 19:01
Andreas Künne, nouvel ambassadeur de l’UE en Suisse, détaille ses priorités à Berne.
Andreas Künne, nouvel ambassadeur de l’UE en Suisse, nous détaille ses priorités à Berne.Image: watson/agences
Stefan Bühler / ch media

En Suisse, le poste d’ambassadeur de l’Union européenne (UE) confère une notoriété quasi instantanée. Certains assument volontiers ce rôle public, comme l’Autrichien Michael Reiterer à son époque. D’autres, tel le Britannique Richard Jones, préfèrent la discrétion. Jeudi, Andreas Künne a officiellement remis ses lettres de créance à la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter.

Le diplomate allemand succède au Grec Petros Mavromichalis. Arrivé à Berne en août, il a reçu notre rédaction cette semaine dans son bureau pour son premier entretien.

Andreas Künne (*1966) a terminé sa carrière diplomatique au sein du ministère allemand des Affaires étrangères. Il s'est notamment concentré sur la politique de sécurité. Ses missions l'ont conduit en Corée du Sud, en Afrique du Sud, en Lituanie et à Bruxelles. Il a été ambassadeur d'Allemagne en République tchèque de 2021 à 2025. Depuis le 1ᵉʳ septembre, il dirige la délégation de l'UE à Berne et, depuis la présentation de ses lettres de créance, il est officiellement ambassadeur de l'UE en Suisse. Andreas Künne a étudié l'histoire, les études américaines et l'anglais.

Faisons connaissance avec l'ambassadeur

Monsieur l’Ambassadeur, qu’est-ce qui vous a frappé en arrivant à Berne?
La bienveillance des gens, les courtes distances, la beauté des paysages, la qualité de vie. Je me réjouis de passer les quatre prochaines années ici.

Courtes distances. Autrement dit, Berne est une petite ville. Est-ce un poste que vous vouliez vraiment?
Oui. Ce n'était pas garanti: j’ai posé ma candidature et je suis ravi qu’on m’ait confié cette mission.

On imagine pourtant qu’il existe des postes plus confortables pour un diplomate européen. Qu’est-ce qui vous attire ici?
Outre le pays et ses habitants, c’est le moment particulier:

«La relation entre l’UE et la Suisse vit une phase décisive»

Vous connaissiez déjà la Suisse?
J’y étais déjà venu plusieurs fois, à Zurich, Genève, Lucerne surtout. Mais je ne la connais pas encore assez bien.

Certains de vos prédécesseurs se sont fixé pour objectif de visiter tous les cantons. En ferez-vous autant?
J’aimerais en découvrir le plus possible. Mais il existe des règles: je ne peux en visiter que quatre par an dans mes fonctions officielles. En bon Européen, je vais respecter cela. Pour des voyages privés, en revanche, je pourrai aller partout. Et j’en ai bien l’intention.

Qui êtes-vous, au-delà de votre fonction?
Quelqu’un de profondément curieux. J’ai beaucoup déménagé enfant, été sans cesse confronté à de nouveaux environnements, de nouvelles personnes. Mon père travaillait pour un grand groupe allemand et changeait régulièrement de poste. Cela m’a façonné. Sinon, je lis énormément, j’écoute de la musique et je vais souvent à l’opéra.

Quel livre vous accompagne en ce moment?
Plusieurs ouvrages suisses, notamment sur l’histoire et ce qui tient le pays ensemble. Mais je ne donnerai pas de titre précis.

Dürrenmatt, peut-être?
Non, Dürrenmatt, je l'ai déjà lu à l'école.

Et Guillaume Tell, de Schiller? Vous seriez plutôt Tell le rebelle ou Gessler le bailli?
Ni l’un ni l’autre. Je me vois comme ambassadeur, par vocation autant que par métier. J’ai évidemment une grande sympathie pour les amoureux de la liberté, ceux qui défendent leurs convictions. C’est pour cela que je soutiens l’Ukraine. Mais mon rôle, c’est le dialogue et la facilitation de la coopération.

«Un ambassadeur est en quelque sorte un traducteur, qui explique dans les deux sens ce qui préoccupe l’autre partie.»

Contre quoi est-ce qu'on vous a prévenu avant votre arrivée en Suisse?
Pas grand-chose. On m’a simplement signalé que certaines choses fonctionnent différemment ici et que je devrais y être attentif.

Comme quoi?
Globalement, nous partageons les mêmes valeurs. La Suisse est un pays occidental, démocratique et libre. Ce qui la distingue, c’est la démocratie directe et son fédéralisme. Mais l’UE est aussi une construction fédérale. Et l’Allemagne comme l’Autriche, mes deux pays d’origine, le sont également.

La démocratie directe est donc la vraie différence. Quel regard portez-vous dessus?
Je respecte énormément la stabilité et la fiabilité du développement suisse. La démocratie directe est inscrite dans la Constitution et fait partie intégrante de l’identité du pays. Elle implique forcément des débats parfois vifs, mais c’est l’essence même d’une démocratie. Je suis curieux de l’observer de plus près.

En Allemagne, votre pays natal, la démocratie directe est controversée. C’est notamment l’AfD, parti d’extrême droite, qui en réclame plus. Cela influence-t-il votre regard sur le modèle suisse?
Je le redis: je suis ambassadeur de l’Union européenne, pas de mon pays d’origine. La démocratie directe requiert de l’expérience. Et en Suisse, elle est clairement acquise.

Cela veut dire qu’on ne peut pas l’introduire là où elle n’existe pas encore?
C’est une question de science politique sans réponse universelle. Mais l’expérience montre que, dans les pays sans tradition de démocratie directe, les référendums sont très difficiles à mener. Le chemin choisi par la Suisse est unique – il force le respect et l'admiration.

Passons au coeur du sujet: les accords bilatéraux

Au printemps, le Conseil fédéral transmettra au Parlement le paquet des Bilatérales III, qui finira en votation. Etes-vous là pour mener campagne?
Non, bien sûr. Un ambassadeur ne fait pas campagne. Si l’on me sollicite, j’informerai volontiers et factuellement, mais le débat appartient aux forces politiques suisses.

Certains craignent que les nouvelles règles institutionnelles des accords bilatéraux ne limitent la démocratie directe. En cas de refus populaire suisse d’un droit européen, Bruxelles pourrait nous sanctionner. Comprenez-vous cette inquiétude?
Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites. L’UE se caractérise par l’écoute et le respect de ses partenaires – surtout envers la Suisse. C’est pourquoi nous lui avons accordé un avantage exceptionnel, que même les pays de l’Espace économique européen (EEE) n’ont pas: la possibilité de refuser une règle du marché intérieur.

«Et en plus, elle pourra participer à l’élaboration des règles qui la concernent»

Mais si le peuple dit non, il y aura tout de même des mesures compensatoires.
Oui, mais après un long processus où la Suisse sera pleinement impliquée. Si, au final, le peuple refuse, il est logique qu’il y ait des mesures d’équilibre. C’est comme dans le sport: si une équipe bénéficie d’une exception, il faut compenser pour l’autre. Ce n’est pas une limitation, mais un élargissement du choix. L’autre option serait de ne pas pouvoir jouer du tout.

Venons-en à la libre circulation. Dans les nouveaux accords, l’UE accorde à la Suisse une clause de sauvegarde pour freiner l’immigration si besoin. Mais parallèlement, une initiative veut y mettre fin, purement et simplement. Suivez-vous ce débat?
Oui, bien sûr. Mais il faut distinguer. Les citoyens de l’UE viennent en Suisse parce que les entreprises suisses ont besoin de main-d’œuvre. Cette immigration est un moteur de prospérité pour le pays. Sans libre circulation, les alternatives seraient probablement d’allonger la durée du travail, repousser l’âge de la retraite, ou investir davantage à l’étranger. A côté, il y a la migration illégale venue d’outre-mer – un problème que nous connaissons aussi et que nous devons résoudre ensemble.

L'autre gros dossier: l'instabilité mondiale

Les Bilatérales III sont-elles l’unique grand sujet pour vous?
C’est un dossier essentiel, mais pas le seul. Nous faisons face à de multiples crises: la guerre russe contre l’Ukraine, les bouleversements géopolitiques, le retour du protectionnisme. Tout cela pousse les démocraties européennes, qu’elles soient membres de l’UE ou non, à se rapprocher.

Dans ce contexte, quel rôle pour la Suisse neutre?
La Suisse est un partenaire naturel, un allié politique en Europe. Je le dis en tant qu’Européen, pas seulement comme représentant de l’UE. Nous avons des intérêts communs: commerce, climat, sécurité, stabilité.

«Il est dans notre intérêt mutuel de coopérer dans un système mondial fondé sur des règles»

Un ambassadeur américain a dit un jour que la Suisse était «le trou du donut» en Europe, car elle ferait trop peu pour la défense. Qu’en pensez-vous?
Je ne commente pas les propos d’autres diplomates. Pour l’UE, l’essentiel est que l’Europe soit en mesure de se défendre. Concernant la Suisse, ce qui compte, c’est la coopération dans le soutien à l’Ukraine. Et jusqu’ici, elle est exemplaire: adoption des sanctions, aide humanitaire, offre de bons offices pour un règlement de paix. Quant aux donuts, je n’en raffole pas dans tous les cas.

Les Suisses adorent voyager en Europe. Auriez-vous un bon coin peu connu à leur recommander?
La moitié de ma famille vient de Brunswick, en Basse-Saxe, et l'autre moitié de Vienne. Vienne n’est plus un secret, mais Brunswick, peut-être. C’est une ville reconstruite avec soin après la guerre, au cœur de l’ancien empire ottonien. Non loin se trouve Quedlinbourg, l’une des plus belles cités d’Europe, encore méconnue. Et à Brunswick, je recommande vivement la visite du stade de foot: je suis moi-même supporter de l’Eintracht Brunswick.

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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