Wow. On a trois semaines pour s'organiser entre l'annonce de Macron de dissoudre l'Assemblée nationale et le premier tour. Et tout ça alors qu'on est à ça des vacances d'été.
Monsieur le président, votre décision et ses délais sont détestables. Car comme de nombreux concitoyens qui attendent leurs vacances en comptant fébrilement le nombre de dodos qui restent avant d'aller griller sur une plage bondée, je ne serai pas chez moi au moment de voter. En tout cas, pas au deuxième tour.
C'est parti pour le parcours du combattant administratif. A ce moment-là, je n'imagine pas encore que voter serait si compliqué. Plongez avec moi dans les méandres des répondeurs automatiques, de l'incompétence crasse des autorités, des sites en «Erreur 404» et de la mauvaise foi franco-française.
«Papa, j'ai deux potes Français de Lausanne qui peuvent prendre nos procurations, il faut juste qu'on trouve comment les faire valider...». En fait, il y a une solution: aller au consulat à Genève, ouvert de 11h36 à 11h38 les soirs de pleine lune (à peu près). Impossible de prendre congé dans des délais si courts, et nous devons y aller en personne. Merci Macron. Il faut qu'on trouve une autre solution, elle existe forcément.
Non, j'ai rien reçu papa, ça tombe vraiment bien qu'on s'appelle. Pour s'inscrire, nous avons besoin de nos numéros NUMIC. Qu'est-ce...? Je rédige un mail pour le consulat, avec une capture d'écran. Nous sommes le vendredi 14 juin, il est 14 heures et des poussières, et nous avons jusqu'au... dimanche 16 à minuit. Et le vendredi, le consulat ferme une heure plus tôt que le reste de la semaine, soit à 15h30. Les horaires auraient-ils été étendus, au vu de la situation exceptionnelle? Non.
Mon mail prêt, je cherche une adresse à laquelle l'envoyer, le mail d'une vraie personne, ou au moins à un secrétariat... Sans succès. Bieeen, je vais les appeler. Une voix sur un répondeur automatique enregistrée dans une grotte me répond:
Et... Ça RACCROCHE.
Il y a donc un numéro de téléphone qui sert à nous indiquer que téléphoner au consulat, ça ne sert à rien. J'appelle le numéro donné par le répondeur. J'atterris... sur un répondeur.
C'est Fort Boyard ici. Je laisse un message demandant qu'on me rappelle. Je ne sais même pas à qui je m'adresse. Plusieurs jours plus tard, toujours rien.
Bon, le vote électronique, c'est trop tard. Etre informé un vendredi qu'on a jusqu'au dimanche pour y arriver, bravo. Mais je sais qu'en France, il n'y a qu'à aller dans n'importe quel commissariat pour faire une procuration. Sur un malentendu, un policier lausannois a peut-être ce pouvoir? J'y crois assez peu, mais ça se tente.
Mmhh, la signature chez le notaire, ce sera mon plan C ou D. Idéalement, j'aimerais ne pas avoir à payer le prix d'un resto pour avoir le droit de voter. Un coup de fil plus tard à la préfecture du district de Lausanne, je ne suis pas plus avancée. «Pour être honnête, on ne sait même pas qui organise le scrutin à Beaulieu. Regardez avec un notaire? Ou votre consulat à Genève?»
Retour à la case départ.
Et si j'appelais un autre consulat que celui de Genève? Allez, ça part sur un coup de fil à Zurich... où personne ne décroche. C'est pratique, ces consulats qui ont des téléphones qui ne SERVENT A RIEN.
A défaut de pouvoir appeler directement Emmanuel Macron pour lui demander qui je dois soudoyer à ce stade quoi faire, j'appelle l'ambassade de France à Berne.
Ma requête étant devenue professionnelle, puisque j'ai décidé de raconter cette gabegie dans un article, je tape 4.
Manifestement, à l'ambassade, on est trop occupés à s'enfiler des chocolats pour répondre. En tout cas, c'est la seule excuse acceptable pour justifier pourquoi, après la quatorzième sonnerie, il n'y a pas un fonctionnaire blasé pour répondre, et qu'à la place, ÇA RACCROCHE ENCORE.
Je retourne fouiller le site du consulat de Genève. Jusqu'à trouver. Il y a forcément un moyen pour faire une procuration sans devoir aller là-bas, ou sans brûler de la sauge en marmonnant des incantations.
Une page semble prometteuse. Elle m'envoie sur une autre, puis une autre, puis... «Erreur 404».
J'ai envie de tout péter.
Après avoir fait des exercices de respiration (c'est faux, j'ai jeté une cuillère contre le mur, ça m'a fait du bien), je retourne à la page «élections législatives 2024». Il y a un appel à volontaires.
Et là, mes enfants, je pense avoir craqué le code. Je vais remplir ce formulaire. HIHI! Ils vont être obligés de me contacter. Et je vais pouvoir leur demander comment faire des procurations sans bouger jusqu'à Genève dans leurs horaires de fonctionnaires. Parce que c'est forcément possible. J'AI GAGNÉ!
Enfin, j'espère. Car après avoir rempli ledit formulaire, voici une... autre «Erreur 404». Remarquez, au moins, elle est plus jolie que la précédente.
Bon, j'ai pas gagné. Une semaine plus tard, je n'ai eu aucun retour du consulat. Il est temps de passer au plan D: j'appelle un notaire lausannois.
Et ça coûte 50 francs. Une autre notaire me donne le même montant, et me dit qu'il faudrait sans doute aussi aller voir la préfecture, pour l'apostille. La quoi?
Une démarche qui coûte quant à elle 30 francs. Ça commence à coûter le prix d'un bon resto, cette histoire. Et toujours sans garantie que ces procurations artisanales made in Switzerland soient acceptées. Je mets le plan D entre parenthèses.
Sur internet, j'ai fouillé les sites français en Suisse, mais pas les sites français en France. Y aurais-je plus de succès? Sur service-public.fr, il y a un formulaire à compléter... mais il est franco-français, pas adapté à des Français en Suisse.
Une autre page propose de se faire rappeler par des informateurs reliés au ministère de l’Intérieur. Pourront-ils me joindre sur mon numéro suisse? J'espère, je tente un petit clic. Ah bah non.
Je finis par atterrir sur le site de l'assemblée des Français de l'étranger. Dans ma circonscription, des conseillers sont dédiés à l'Allemagne, l'Autriche, la Slovaquie, la Slovénie et la Suisse. J'en appelle un au bol. Miracle! Il arrive à me mettre en contact avec le consulat à Genève, duquel une femme me rappelle.
L'employée m'explique qu'il n'y a effectivement pas d'autres moyens pour faire des procurations qu'en venant en personne. Sérieusement, deux semaines de recherches pour ça...? Dégoûtée. Je lui fais remarquer qu'il aurait été judicieux que la page «vote par procuration» sur le site du consulat fonctionne.
Elle précise que je peux aussi faire une procuration dans un commissariat en France. Merci, moi qui n'ai pas le temps d'aller à Genève... Dommage que cette information ne figure nulle part, si nous l'avions su plus tôt, nous aurions pu aller un samedi à Divonne. Elle me dit encore que le numéro que j'ai harcelé durant des jours n'est plus utilisé, il y a un autre téléphone depuis... décembre 2023. Ah. Désactiver ce numéro, éventuellement, et faire en sorte qu'il n'apparaisse plus sur internet, accessoirement?
C'est la fin de mon escape game. Merde. En dissolvant l'Assemblée nationale et en convoquant des élections dans des délais aussi serrés, de surcroît à une période où l'on part en vacances, Emmanuel Macron a bafoué la démocratie. J'ai perdu, mon père aussi, et sans doute d'autres Français en Suisse romande également. Perdu du temps à tenter de joindre des téléphones plus utilisés, mais toujours en service, à chercher des infos sur des pages «Erreur 404», à appeler des consulats et ambassade qui ne répondent pas, à déranger des notaires et la police. Et perdu ainsi la possibilité de voter.