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On a visité l'hôtel hanté du Val Sinestra en Suisse

L'hôtel Val Sinestra trône dans l'étroite vallée latérale de l'Engadine, dans les Grisons.
L'hôtel Val Sinestra trône dans l'étroite vallée de l'Engadine, dans les Grisons.Image: Valentin Hehli

On a suivi un chasseur de fantômes suisse dans un lieu hanté mythique

Thomas Frei est l'un des rares chasseurs de fantômes de Suisse. Dans un vieil hôtel Val Sinestra, dans les Grisons, il forme la relève. Qui sont les esprits appelés ce jour-là? Et pourquoi certaines personnes croient au surnaturel? Immersion.
09.03.2025, 18:5409.03.2025, 18:54
David Walgis / ch media
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Dans le noir d'une cave, l'ambiance est celle d'une discothèque de village. Les haut-parleurs diffusent tantôt du Abba, tantôt du Gölä, ou encore un tube de Ballermann. Six hommes et quatre femmes sont assis dans l'obscurité autour d'une table, pressant leurs mains sur un plateau et chantant à tue-tête, tel que demandé par celui dont la voix couvre le son des basses. Thomas Frei est chasseur de fantômes autoproclamé. Dans la salle, il lance:

«Ô Esprits. Sigmund, Sir Michael, George, Anna, nouvelle venue. Absorbez l'énergie de notre chant, manifestez-vous dans la pièce»
Thomas Frei, chasseur de fantômes.
Le chasseur de fantômes Thomas Frei sur la terrasse de l'hôtel Val Sinestra.
Le chasseur de fantômes Thomas Frei sur la terrasse de l'hôtel Val Sinestra.Image: Valentin Hehli

Les esprits appelés sont des âmes de défunts qui se promènent dans les couloirs de l'hôtel Val Sinestra. Après minuit, ils doivent se manifester au centre d'un cercle créé exprès, à l'intérieur d'une petite clochette ou d'un tissu fluorescent posé sur un plateau sur la table.

Soufle froid et table qui bouge

L'un des participants crie qu'il a senti un souffle froid. Un contact sur l'épaule, puis un autre. Cela dure un certain temps, jusqu'à ce que les bandes blanc mat de la toile se mettent soudain à bouger. Il y a des bruits, les pieds de la table grattent le sol, la table danse, bascule, flotte. Tantôt elle se calme, tantôt elle bondit à nouveau. Toujours accompagné de la musique en fond, le groupe chante, quelqu'un sent quelque chose, et Thomas Frei continue d'invoquer les esprits.

Tout à coup, le calme revient. Thomas Frei allume une lumière rouge et glauque qui rappelle l’atmosphère d’une chambre photographique. Gisela, la femme à côté de lui, se courbe et se plie, les mains devant le visage, apparemment possédée. Elle a pris contact avec les esprits. Ils seraient entrés en elle. Le chasseur de fantôme crie:

«Ô Esprits, lâchez-la! Manifestez votre énergie autrement»
Il s'allume en rouge comme dans une chambre photographique : le compas approche de son apogée.
Le cercle, plongé dans le rouge, approche de son apogée.Image: Valentin Hehli
Gisela se tortille: est-elle possédée par un fantôme?
Gisela se tortille: est-elle possédée par un fantôme?Image: Valentin Hehli
Thomas Frei (en veste rouge) explique aux participants ce qui les attend.
Thomas Frei (en veste rouge) explique aux participants ce qui les attend.Image: Valentin Hehli

Au bout de deux heures à peine, Thomas Frei demande au groupe: «Alors, on arrête gentiment?» La pièce s'éclaire et le chasseur de fantômes se tourne vers sa voisine.

«Tu as remarqué que je t'ai touché l'épaule quand la table a bougé?»

Hermann hanterait les lieux

Quinze heures plus tôt, plusieurs dizaines d'étages plus haut, Thomas Frei, grand, lunettes, voix radiophonique, se tient dans une mansarde chaleureuse et regarde autour de lui. C'est ici, dans l'hôtel Belle Epoque qui trône telle une forteresse dans la sombre vallée, que le président de Ghosthunters Suisse propose chaque année, début novembre, un cours de deux jours pour les futurs chasseurs de fantômes.

Le moment et le lieu ne relèvent pas de la coïncidence. Il y a quelques jours, c'était Halloween. Et l'hôtel Val Sinestra, connu grâce au film Le croque-mort, est en quelque sorte la Mecque des chasseurs de fantômes. Selon une légende, un certain Hermann hanterait l'étage historique des bains de cet ancien sanatorium.

Les participants au cours cherchent des fantômes dans l'étage historique des bains.
Les participants cherchent des fantômes dans l'étage historique des bains.Image: Valentin Hehli

L'hôtel, situé dans les Grisons, est un endroit très étrange. Le temps semble s'être arrêté. Des fauteuils rembourrés rouges et des chaises longues sont disposés un peu partout, les parquets craquent, un ascenseur vieux de plusieurs dizaines d'années cahote à travers les onze étages. Et depuis que les propriétaires sont hollandais, la grande majorité des clients sont originaires des Pays-Bas.

Fauteuils rembourrés, parquet à chevrons, rideaux lourds: le temps semble s'être arrêté à l'hôtel Val Sinestra.
Fauteuils rembourrés, parquet à chevrons, rideaux lourds: le temps semble s'être arrêté à l'hôtel Val Sinestra.Image: Valentin Hehli

Pendant ce temps, au dernier étage, quatre femmes et un homme attendent le début du cours. Tous partagent le même point de vue: il y a autre chose que le simple monde matériel.

Le «monde spirituel», comme l'appelle Thomas Frei, est justement abordé en profondeur durant ce cours. Selon lui, les esprits sont en fait les énergies des personnes décédées. Et d'expliquer:

«On entend souvent dire que les esprits vivent dans un monde intermédiaire. Il n'y a pas de monde intermédiaire. Les personnes décédées entrent dans la première dimension astrale. Ce sont eux qui déclenchent les phénomènes de hantise.»
Thomas Frei, chasseur de fantômes.

Dans la première dimension astrale, il y a sept niveaux de purification, suivis de la deuxième dimension astrale.

«Notre travail à nous chasseurs de fantômes, est de guider les âmes à travers les différents paliers de purification»
Thomas Frei

La vie après la mort

Les sciences religieuses appellent cette vision du monde le spiritisme. La croyance en une survie de l'âme après la mort y est centrale. Contacté, Georg Schmid, directeur de Relinfo, le service spécialisé de l'Eglise pour les religions et les sectes, déclare:

«Le spiritisme a entrepris de prouver par des méthodes scientifiques l'existence d'une vie après la mort. Deux cents ans de recherche en parapsychologie et en spiritisme donnent un bilan nul. Il n'y a aucune preuve. L'au-delà reste une question de foi.»

Cette croyance est née au milieu du 19e siècle aux Etats-Unis. En 1848, trois sœurs ont commencé à remplir des salles entières dans le nord-est évangélique des Etats-Unis avec des cérémonies d’invocation d'esprits, des séances et des communications avec les morts; ce qui leur rapportait beaucoup d'argent.

Plus tard, les Fox-Sisters avouèrent avoir eu recours à des astuces pour déclencher les nombreux phénomènes. Puis, la croyance aux fantômes a également trouvé des adeptes en Europe. Mais après la Première Guerre mondiale, le mouvement du spiritisme s'est peu à peu essoufflé.

La valise avec laquelle Thomas Frei part à la chasse aux fantômes.
La valise avec laquelle Thomas Frei part à la chasse aux fantômes.Image: Valentin Hehli
Thomas Frei installe un REM-Pod, un instrument destiné à révéler la présence de fantômes.
Image: Valentin Hehli

Cependant, il continue de se subsister notamment grâce aux chasseurs de fantômes modernes. Pour Thomas Frei, le spiritisme s'associe aux archanges et aux chakras, aux voyages astraux, aux elfes et aux lutins. La vision du monde qu'il propose est un mélange de différentes religions: un soupçon de christianisme, une pointe d'hindouisme, une pincée de religions naturelles. Et finalement, une bonne dose de Ghostbusters vient s'y ajouter. Des gadgets techniques qui clignotent, bruissent et brillent.

Chasseur de fantôme

Retour au Val Sinestra, dans les Grisons. A l'heure du dîner, les conversations en néerlandais emplissent la salle à manger, une assiette fume devant Thomas Frei. Il aimerait que les gens soient plus ouverts aux autres visions du monde, raconte l’homme de 52 ans. Se sent-il stigmatisé?

«Si quelqu'un pense que nous déconnons, ce n'est pas grave. Mais tant de choses seraient différentes si les gens avaient l'esprit moins étroit et s'ils écoutaient davantage leur instinct.»

Après un apprentissage d'infirmier, Thomas Frei a suivi quatre ans d'études de médecine complémentaire. Il a appris à guérir par imposition des mains, propose des thérapies par hypnose et par les fleurs de Bach, tire les cartes de tarot ou parle avec des défunts. Pour Georg Schmid:

«Il est courant d'être impliqué dans différents domaines de l'ésotérisme. Et de trouver sa spécialité quelque part»

Le créneau de Thomas Frei est la chasse aux fantômes. En 2017, il a fondé l'association Ghosthunters Schweiz, la seule organisation de ce type en Suisse. Le cours coûte 427 francs. Pour cinq participants, ce n'est pas beaucoup. Mais lorsqu'ils sont plus de 15, comme c'était le cas les autres années, il est dès lors possible de réunir une certaine somme. Selon ses propres dires, Thomas Frei travaille généralement de manière bénévole en tant que chasseur de fantômes.

Il en va cependant autrement pour ses autres prestations. «La compensation énergétique se fait après accord», comme il l'indique sur son site web. Un contact avec l'au-delà coûte 120 francs – un prix standard dans la branche. D'autres demandent nettement plus.

Beaucoup de choses que Thomas Frei raconte ne peuvent pas être vérifiées. Il aurait par exemple ressenti une onde de choc lorsqu'un jeune homme fut possédé par un Poltergeist. Il aurait également vu un sapin de Noël se mettre à trembler furieusement ou une imprimante imprimer sans électricité ni connexion PC. «Malheureusement, elle n'avait pas de papier, peut-être qu'un message y aurait été inscrit», déclare le spécialiste des fantômes.

Il est difficile de savoir s'il croit lui-même à ce qu'il raconte. «De nombreux médiums sont convaincus de leurs affirmations», estime l'expert en religion Georg Schmid. Et d'expliquer:

«Lors des contacts avec l'au-delà, les médiums laissent couler leur inspiration. C'est ce qu'on leur apprend. Ils interprètent ensuite les images qui apparaissent comme des messages des défunts. Comme les morts répondent généralement positivement, les personnes qui cherchent de l'aide sont satisfaites. Cela renforce leurs croyances.»
Georg Schmid, expert en religion.

Ce que fait Thomas Frei est-il sans danger? Jusqu'à présent, Georg Schmid et le service Relinfo n'ont reçu aucune critique négative concernant Thomas Frei ou les Ghosthunters.

Bruissements et crépitements

La nuit est tombée depuis longtemps au Val Sinestra et, dans le grenier, un appareil noir avec de nombreux câbles bruisse comme une radio à la recherche d'une réception. C'est ce qu'on appelle une Spiritbox.

Les participants sont assis à la table, des écouteurs sur les oreilles et les yeux fermés, à l'écoute des réponses qui se cachent dans les grésillements sans fin. «Y a-t-il quelqu'un qui souhaite communiquer avec nous?», demande Josef à la salle. Il y a des bruits et des crépitements.

«Peux-tu nous faire un signe si tu nous entends?»

A nouveau, il y a des bruits et des crépitements.

La Spiritbox doit permettre de communiquer avec les défunts.
La Spiritbox doit permettre de communiquer avec les défunts.Image: Valentin Hehli
L'écoute de réponses dans un grésillement sans fin. Personne n'a entendu de voix fantôme.
L'écoute de réponses dans un grésillement sans fin. Personne n'a entendu de voix fantôme.Image: Valentin Hehli
L'écoute de réponses dans un grésillement sans fin. Personne n'a entendu de voix fantôme.
Image: Valentin Hehli

Une participante dit avoir déjà entendu deux fois quelque chose, mais n'a malheureusement rien compris. «C'était comme au téléphone avec trop peu de réception», dit une autre. Thomas Frei commente:

«Oui, oui, pour ceux qui n'ont pas l'habitude, c'est difficile d'entendre quelque chose»
Thomas Frei lors de la communication avec les défunts.
Thomas Frei lors de la communication avec les défunts.Image: Valentin Hehli

Les chasseurs de fantômes ont plus de chance une demi-heure plus tard et quelques étages plus bas. Dans la salle de bain 5, à l'étage historique des thermes, la maison du prétendu fantôme du château Hermann, des points lumineux verts dansent sur le mur. Au milieu de la pièce clignote le REM-Pod, un instrument censé montrer les mouvements des esprits. Et un appareil sonore donne des réponses depuis la dimension astrale.

«Appartiens-tu à ce bâtiment? Un bruissement pour oui, deux pour non», demande un participant qui avait déjà fait la chasse aux fantômes la nuit précédente. Il y a un bruit une fois. «Es-tu le Hans d'hier?» Ça bruisse une fois. «Es-tu le Hans que je connais?», demande Monika, une autre participante à la fin de la quarantaine. Il y a un bruit.

«Alors tu es mon père?»

Un bruit se fait entendre une fois. Monika quitte la pièce, bouleversée, confuse. Elle revient un peu plus tard, la voix brisée.

«Tu es encore en colère contre moi?»

Il y a deux bruits. La femme essuie une larme.

«De nombreuses personnes deviennent sensibles au spiritisme après un coup du sort ou la perte d'un être cher», explique Georg Schmid. Voilà donc une réponse à la question de savoir ce qui fait le succès des médiums et des chasseurs de fantômes. Une autre se cache dans la personnalité de ces personnages. Thomas Frei par exemple, est un narrateur engagé, enthousiaste et charismatique. Et il insiste toujours sur le caractère rationnel des choses. De nombreux phénomènes de hantise peuvent, d’après ses dires, être expliqués objectivement, sans le monde spirituel.

La dernière réponse réside dans le fait que le public a envie de croire ce qu'on lui présente. Avant de miser sur l'ésotérisme, le chasseur de fantômes se produisait en tant que prestidigitateur. Cela ne suscite guère de scepticisme chez les participants à ses cours. Même pas après ce qui les attend.

Thomas Frei ouvre la porte de la salle du sous-sol, dans laquelle se trouve la table en bois. «C'est tout à fait normal d'être excité», dit le chasseur de fantômes lorsque tout le monde est assis, «mais laissez-vous aller à ce qui vient». Il est minuit, l'heure des esprits. Les lumières s'éteignent, les haut-parleurs crachent du Abba. Thomas Frei chante et crie:

«Oh Spirits!»

Tout à coup, la table se met à trembler dangereusement.

Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich

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