Pourquoi les Suisses resteront «prisonniers d’une pénurie de logements»
Depuis des années, on met en garde contre une crise immobilière. Les prix pour accéder à la propriété pourraient baisser, les banques chanceler, et certaines pourraient même s’effondrer. La Suisse pourrait même glisser dans une profonde récession.
Mais, jusqu’à aujourd’hui, rien de tout cela ne s’est produit. Au lieu de cela, la Suisse traverse une crise immobilière d’un tout autre genre.
Une superposition de crises
L'accès à la propriété ne baisse pas, et les prix continuent d’augmenter nettement plus vite que les salaires. Pour les jeunes familles, le rêve de devenir propriétaires s’éloigne. S’agissant des loyers, la tendance est tout aussi mauvaise. Quiconque doit chercher un logement se heurte de plus en plus à un marché restreint et à des biens très coûteux.
A cette crise immobilière s’est ajouté, dès 2018, un autre problème: une crise de la construction. Avant cela, le marché réagissait encore comme il le devait, en augmentant l’offre face à la hausse des prix. Le bâtiment était en plein essor. Mais dès 2018, le nombre de nouveaux logements construits n’a cessé de diminuer, jusqu’à ce que la banque Raiffeisen avertisse en 2022:
Un problème sous-jacent identifié
Les raisons de ce problème ont longtemps fait l’objet d’hypothèses et de débats, mais le mystère semble désormais résolu. Martin Tschirren, directeur de l’Office fédéral du logement, a déclaré récemment à la radio SRF:
Cette loi avait été acceptée par le peuple en 2013 et mise en vigueur en 2014. La Suisse voulait moins construire sur les zones agricoles et miser davantage sur la densification dans les villages, les villes et les agglomérations. C’était un bel objectif, mais, comme le dit Martin Tschirren:
Sur les champs, il est possible de construire plus ou moins sans être dérangé. La situation est différente dans les villages, les villes et les agglomérations. Martin Tschirren souligne qu’on y trouve en général déjà des constructions, des habitants ou des sites d'intérêt. Il dit:
La préoccupation majeure: les abus d'opposition
Pourquoi ne construit-on pas assez de logements en Suisse? La Confédération a voulu répondre à cette question, et a mandaté l’an dernier une étude pour obtenir des informations plus précises à ce sujet. L’étude affirme:
Cette conclusion repose sur une enquête menée auprès de 440 experts, notamment des développeurs, des architectes, des maîtres d’ouvrage et des juristes issus des tribunaux, des administrations, des hautes écoles et des études d’avocats. Pour 60% d’entre eux, les oppositions constituent un obstacle majeur, pour 61% ce sont les recours, et pour 37% les exigences découlant de l’aménagement du territoire.
La plus grande inquiétude concerne toutefois les abus. Alors que certains opposants à des projets de construction n’ont aucune chance, ils déposent malgré tout un recours pour bloquer ou retarder le chantier, parfois même pour exercer une pression ou tenter de faire chanter les instigateurs des travaux.
Selon les personnes interrogées, le constat est le suivant:
Une situation particulièrement irritante pour les locataires, car, selon une large majorité des répondants, les logements sont livrés en retard et sont, au final, plus chers.
Un problème plurifactoriel
L’étude se trouve désormais sur la table du Conseil fédéral, qui en examine les propositions. Au printemps 2026, le Gouvernement entend présenter ses propres suggestions qui en découleront, explique Martin Tschirren. Il ne s’agira toutefois pas de restreindre le droit d’opposition. Celui-ci reste important et améliore souvent les projets de construction. Martin Tschirren précise:
Les oppositions, les recours et les plaintes constituent aujourd’hui des obstacles importants à une construction plus dense. Mais, ces dernières années, d’autres difficultés se sont ajoutées, souligne Martin Tschirren. Les procédures d’autorisation de construire durent aujourd’hui plus longtemps qu’autrefois. Les exigences en matière de construction ont également augmenté. Tschirren résume:
La bonne nouvelle est aussi que les causes de la pénurie de logements sont identifiées et que des réformes sont engagées. De l’aide est donc en chemin.
La mauvaise nouvelle est que tout avance très lentement. L’économiste en chef de la Raiffeisen, Fredy Hasenmaile, avertit que l’on construira encore longtemps trop peu de logements pour répondre à la demande. Il explique:
Fredy Hasenmaile évoque un «cocktail d’obstacles»:
- Un aménagement du territoire qui implique le fait de retenir des terrains constructibles,
- Une quantité trop élevée de règles et d’oppositions,
- Une trop grande protection du paysage urbain et patrimoine bâti,
- Une protection contre le bruit et les ombres projetées trop restrictive.
Une lenteur administrative
Chacun de ces problèmes doit être résolu séparément. Cela exige souvent de longs débats politiques, de nouvelles lois et, de manière générale, beaucoup de temps. Fredy Hasenmaile explique:
Pour la nouvelle planification territoriale, il faut du temps. Après 2014, les communes ont dû appliquer la nouvelle loi et établir des plans indiquant la manière dont elles comptaient utiliser leur sol à l’avenir. En 2024, soit dix ans après son entrée en vigueur, la Confédération a voulu connaître l’état d’avancement.
Dans seulement 43% des communes, le plan avait été approuvé par le canton. Dans environ un tiers d'entre elles, il était encore en révision ou en examen cantonal. Le reste était encore moins avancé. Conclusion: «La mise en œuvre prend plus de temps que prévu», résume Hasenmaile.
Des milliers de projets de construction débloqués
Il a aussi fallu du temps pour la protection contre le bruit. En 2016, le Tribunal fédéral avait rendu une décision qui avait conduit à une protection excessive contre le bruit, explique Fredy Hasenmaile. Le Parlement a dû préparer une nouvelle loi afin de rétablir le niveau de protection antérieur. Il commente:
Mais la nouvelle loi entrera en vigueur au printemps 2026 et «libérera des milliers de logements du blocage», explique-t-il.
Et les oppositions demanderont encore beaucoup de temps. En 2011 et en 2017, le Tribunal fédéral a rendu deux décisions controversées, dit Hasenmaile. Depuis, il était devenu trop facile de déposer des oppositions, et un échec était presque sans conséquences financières. De nombreux parlementaires veulent désormais corriger cette erreur et ont déposé des interventions en ce sens.
Toutefois, dit Hasenmaile, «même s’ils réussissent, il faudra encore quelques années avant une nouvelle loi».
La pénurie de logements s'amplifie
L’aide est en route, mais d’ici à ce qu’elle arrive, la pénurie va encore s’aggraver et toucher davantage de régions. Directeur de l’Office fédéral du logement, Martin Tschirren a dit à la radio SRF:
L’offre demeure donc limitée. Pour les loyers, il est certes utile que l’immigration ait récemment ralenti. Mais cela ne suffit pas pour inverser la tendance. On construit trop peu, comme le souligne la Banque Raiffeisen dans une étude. Les loyers des appartements nouvellement mis sur le marché n’augmentent certes plus de 6% comme récemment, mais encore de presque 2% par rapport à l’année précédente.
Pour les logements en propriété, la rareté, combinée aux taux d’intérêt bas, maintient une forte dynamique des prix. Après un léger fléchissement en 2024, la hausse a repris plus rapidement cette année: pour la propriété par étages, de plus de 3% par trimestre par rapport à l’année précédente, et pour les maisons individuelles, de plus de 4,5%. Dans l’ensemble, la Suisse suit une tendance selon laquelle les prix de la propriété du logement seront encore 20% plus élevés d'ici cinq ans.
Cette crise immobilière d’un tout autre genre est donc loin d’être terminée.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
