Le service de renseignement militaire ukrainien (GUR) a publié lundi un avertissement à l'attention de ses concitoyens. Ce message concerne en réalité l'ensemble du continent.
Selon le communiqué de Kiev, les services de renseignement russes ont intensifié leurs tentatives de recruter des ressortissants ukrainiens afin de les impliquer dans des activités criminelles au sein des pays de l'Union européenne. Les personnes ciblées seraient, selon la même source:
Sont particulièrement visées, selon le communiqué, les personnes originaires des régions du sud et de l'est de l'Ukraine occupées par la Russie. On se souvient que Vladimir Poutine a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée dès 2014. En 2022, il a ordonné une invasion à grande échelle, qui a toutefois été stoppée grâce à la résistance acharnée et inattendue de l'armée ukrainienne.
L'avertissement en question a également été publié par le GUR sur le service de messagerie Telegram, soit précisément la plateforme que les services secrets russes et leurs intermédiaires utilisent pour entrer en contact avec de potentiels candidats.
La méthode est éprouvée: des inconnus proposent à de jeunes hommes vivant dans des conditions financières précaires, ou repérés sur internet pour leurs sympathies prorusses, et un prétendu «petit boulot facile» leur est proposé. En échange d'un paiement, souvent sous forme de cryptomonnaies, les personnes recrutées doivent ensuite fournir une aide logistique. Les tâches demandées vont de l'observation apparemment inoffensive de cibles à la commission de délits graves.
Dans les milieux de la sécurité, ces «freelances», souvent recrutés par des intermédiaires et sans formation en renseignement, sont qualifiés d'«agents de bas niveau» ou d'«agents jetables».
Des membres du réseau de journalistes d'investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) ont pu s'entretenir en 2024 avec une source d'un service de sécurité allemand. Celle-ci a expliqué:
La source a ajouté que les trois services secrets russes étaient en mesure de le faire. Il s'agit de:
En raison du soutien apporté par la communauté internationale à la lutte défensive ukrainienne, le Kremlin a, en réponse, intensifié sa «guerre hybride».
Contre les principaux pays européens soutenant l'Ukraine, le Kremlin mène des campagnes de déstabilisation ciblées et des actes de sabotage. Les services de renseignement russes ne reculent devant ni la terreur ni la diffamation, comme le montrent trois cas survenus l'année dernière.
Il s'est avéré par la suite que la série de sabotages en Allemagne a été perpétrée par divers petits criminels qui avaient été recrutés par un agent russe via l'application de messagerie Viber. L'agent aurait promis une rémunération de 100 euros par voiture.
Les enquêtes et les inculpations en cours concernant les attentats contre DHL laissent également penser à l'implication de commanditaires issus des services secrets russes. Quant à l'incendie criminel du centre commercial Marywilska 44 en Pologne, il serait également l’œuvre de civils recrutés par la Russie.
Le directeur du Centre international de défense et de sécurité en Estonie, Indrek Kannik, a déclaré en 2024 à des journalistes d'investigation:
Les services secrets militaires ukrainiens confirment:
Et ces actions ne cessent de se multiplier. Le mois dernier encore, des incendies criminels ont endommagé les résidences du premier ministre britannique Keir Starmer, comme le rappelle Politico. Les suspects sont deux Ukrainiens ainsi qu'un Roumain russophone né en Ukraine.
Le procureur général fédéral allemand a, de son côté, inculpé d'autres agents de bas niveau soupçonnés d'agir pour le compte de la Russie. Ils auraient été chargés de surveiller en Allemagne un homme ayant combattu dans les rangs de l'armée ukrainienne, comme l'a indiqué une communication fin mai.
Selon Politico, les autorités judiciaires se retrouvent face à un problème quasiment insoluble, surtout dans des sociétés démocratiques, où chaque fait et geste de la population n'est pas surveillé en permanence, contrairement à des pays comme la Chine.
Un canal de communication central pour le recrutement et la coordination de ces agents de terrain est l'application de messagerie Telegram, dont les fonctionnalités s'apparentent à celles d'un réseau social avec cryptomonnaie intégrée. A sa tête: les frères Pavel et Nikolaï Dourov, originaires de Russie.
Le ministère ukrainien de la Défense, dont font partie les services de renseignement militaires, communique désormais une instruction claire à l'attention de ses propres citoyens:
Le GUR propose également sur Telegram un service automatisé permettant de signaler, en quelques clics et à toute heure du jour ou de la nuit, des contacts ou comportements suspects.
Le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, avait auparavant qualifié Telegram de menace pour la sécurité nationale de l'Ukraine. Il avait toutefois ajouté que cette messagerie contribuait aussi à informer la population ukrainienne dans les territoires temporairement occupés.
La messagerie Telegram elle-même a déclaré à plusieurs reprises qu'elle n'avait jamais transmis de données d'utilisateurs aux services secrets russes ou à d'autres autorités en Russie.
En Suisse, c'est le Service de renseignement de la Confédération (SRC) qui est chargé de détecter et de prévenir de manière précoce les menaces pesant sur la sécurité intérieure et extérieure du pays.
Ces menaces incluent le terrorisme, l'espionnage, les attaques contre des infrastructures critiques ainsi que l'extrémisme violent, explique Christoph Gnägi, porte-parole adjoint du Service de renseignement de la Confédération, à watson. Le SRC met en garde depuis des années contre diverses activités de renseignement menées par des acteurs étrangers en Suisse et sensibilise également le public à cette problématique. Ainsi, le rapport de situation «Sécurité Suisse 2024» évoquait déjà ces risques.
Le terme «agent de bas niveau» ne figure pas explicitement dans le rapport de situation, car le SRC ne classe pas les menaces, principalement selon des «catégories d'agents». Le recrutement et l'utilisation de telles personnes représentent pour les services de renseignement seulement un moyen parmi d'autres.
La manière dont le service de renseignement procède reste confidentielle. Le public ne sait donc pas non plus jusqu'où vont les mesures de surveillance sur Telegram et d'autres plateformes en ligne.
Une information plus détaillée du SRC est, selon Gnägi, communiquée «aux décideurs politiques, en particulier au Conseil fédéral, aux commissions et comités de politique de sécurité, ainsi qu'aux partenaires».
Et le porte-parole confirme:
Selon le porte-parole du SRC, la guerre de Poutine contre l'Ukraine et la confrontation géopolitique mondiale accrue ont:
Les actes de sabotage font aussi partie des moyens de cette guerre hybride, précise Gnägi.
Le SRC n'est pas une autorité judiciaire, mais il soutient, conformément à son mandat légal, les autorités compétentes en matière de poursuites pénales. C'est ce qu'il a fait récemment lors de l'arrestation d'un supposé agent de bas niveau en Suisse, un Ukrainien de naissance.
Selon le procureur général allemand, Yevhen B., arrêté en mai en Thurgovie, préparait depuis la Suisse des attentats à l'explosif et des incendies.
watson a contacté l'Office fédéral de la police (Fedpol) pour savoir si des cas antérieurs d'agents de bas niveau présumés russes étaient connus. Ils nous répondent que la «protection préventive de l'Etat» relève de la compétence du SRC. Par conséquent, aucune statistique sur d'éventuelles tentatives de recrutement pour des actes de sabotage n'est disponible, explique la porte-parole Miriam Knecht.
En ce qui concerne les poursuites pénales liées aux explosifs, Fedpol est en principe compétent lorsqu'une détonation intentionnelle d'explosifs a eu lieu. En revanche, pour les actes préparatoires, les possibilités d'intervention des autorités pénales sont limitées et relèvent en principe de la compétence des cantons.
Traduit et adapté par Noëline Flippe