Lorsque le commerçant en ligne chinois Temu envoie un colis en Europe, celui-ci est suivi. On doit ainsi savoir à tout moment où il se trouve. Et une entreprise de la Poste suisse veille au grain: Asendia, un prestataire logistique dont le nom ne vous dira certainement rien.
Dans une récente intervention, la conseillère nationale PLR Daniela Schneeberger a demandé au Conseil fédéral si l'entreprise publique suisse agissait convenablement. Elle soupçonne en effet la Poste de subventionner de facto les plateformes chinoises en pratiquant des tarifs inférieurs à ceux fixés par l'Union postale universelle. Dans sa réponse, le Conseil fédéral indique que ces distorsions du marché ont été supprimées depuis 2021.
Mais les explications du gouvernement montrent aussi que les affaires postales internationales sont complexes et peu transparentes. Beaucoup de choses relèvent du secret des affaires. C'est aussi ce qu'invoque Asendia, ou plutôt la Poste, qui a fondé l'entreprise il y a treize ans, à parts égales avec la Poste française.
Asendia ne publie pas de rapport d'activités. Son chiffre d'affaires atteint 2,5 milliards de francs. Elle compte plus de 2000 collaborateurs répartis sur 32 sites dans le monde, sur quatre continents. On apprend toutefois à la lecture du rapport financier de la Poste que l'entreprise logistique est dans le rouge.
L'année dernière, la perte au niveau de la holding s'élevait à 32 millions de francs, contre 17 millions une année auparavant. 2022 s'est, elle, soldée par un bénéfice symbolique d'un million de francs, on peut donc allègrement parler d'un modèle économique boiteux.
Même la croissance du chiffre d'affaires d'un demi-milliard depuis 2020, principalement due à des acquisitions, se trouve désormais au point mort. La construction d'Asendia est compliquée. La holding est basée à Berne, son centre opérationnel est à Paris. Le secteur e-commerce, qui est regroupé dans une sous-holding propre, a son siège en Irlande.
A sa création en 2012, avec 460 millions d'apport pour le chiffre d'affaires, Asendia communiquait de manière offensive et affichait des ambitions élevées:
Et ce en l'espace de deux ans seulement.
Un déploiement conséquent à l'étranger devait compenser le déclin du courrier en Suisse. Des boîtes aux lettres dans des destinations touristiques en Espagne faisaient partie de l'offre, tout comme la distribution internationale de journaux et de magazines.
Le géant jaune semblait avoir tiré le gros lot en prenant une participation dans E-Shop-World, une entreprise irlando-américaine de commerce électronique. L'entreprise est une «championne de la croissance», titrait la Handelszeitung. Asendia a augmenté continuellement de 40% (2013), à 50% (2017) et finalement à 100% (2021).
Pour cette dernière étape, la Poste a accordé un prêt de 217 millions. Dans les comptes, il est toutefois spécifié qu'un remboursement n'est «ni prévu ni probable dans un avenir proche».
Contrairement à ce que la Poste prétendait en 2017, on doute aujourd'hui que la participation à E-Shop-World soit toujours «très rentable». La société-fille irlandaise a clôturé l'année 2022 dans le rouge foncé, avec une perte opérationnelle d'au moins 85 millions d'euros. Son année 2023 s'est soldée par un résultat nul. On ne dispose pas de chiffres plus actuels à ce stade.
Sur le marché, l'entreprise a, en outre, abandonné son ancien nom et opère aujourd'hui sous celui d'ESW. Interrogée, la Poste parle de «défis généraux dans le commerce digital international, notamment sur le plan géopolitque» et d'une reprise dans les points de vente physique après la pandémie. Le recul du chiffre d'affaires et «quelques pertes de clients» se seraient par la suite également «répercutés sur le résultat».
Depuis 2018, la Poste ne détient plus les mêmes parts dans Asendia. Avec 60%, le partenaire français est devenu majoritaire. Six ans plus tard, il n'est toujours pas possible d'obtenir une justification compréhensible. Voici les éléments de langage que l'on nous sert:
Celle-ci continue cependant de vouloir miser sur la firme logistique. Elle assure le lien pour la Suisse dans les flux internationaux de courrier et de marchandises. Cela permet également de mieux exploiter le réseau de distribution de la Poste. Elle pourrait en outre élargir son savoir-faire en matière de solutions numériques de commerce électronique.
Dans son intervention, Daniela Schneeberger a toutefois voulu savoir comment la Confédération assumait son devoir de surveillance et de contrôle sur cette activité de la Poste, qui se déroule exclusivement à l'étranger. Le Conseil fédéral n'en voit pas la nécessité. Habituellement, les objectifs de la Poste sont vérifiés chaque année et cela rend également compte de l'évolution d'Asendia.
Traduit et adapté par Valentine Zenker