Près d'un millier de personnes ont répondu à l'appel du collectif propalestiniens mercredi 15 mai devant le bâtiment Geopolis de l'université de Lausanne. Véritable démonstration de force alors que l'occupation du bâtiment a pris fin après 13 jours. Bernard Voutat Professeur en science politique de l'université de Lausanne revient sur cette mobilisation inédite.
Bernard Voutat, vous êtes professeur de science politique à l'Unil et vous avez soutenu le collectif qui occupait Geopolis, quel a été votre rôle durant ces cette occupation?
Ma contribution était très limitée. Je soutiens leurs revendications, mais ils ont effectué les négociations avec l'Unil. En tant que professeur, on apportait un soutien essentiellement symbolique au mouvement, car il était très important pour nous de ne pas confisquer la parole aux étudiants.
Vous ne leur avez pas donné de conseils concernant leur mouvement?
J'ai discuté avec eux bien évidemment, mais je n'ai pas participé aux décisions, ils l'ont fait en groupe. Mardi soir par exemple, j'ai passé une heure avec eux pour discuter des enjeux liés à la décision que le collectif allait prendre. Je tiens à dire qu'on était très loin de l'image que certains journalistes ont voulu faire passer, soit celle des professeurs qui auraient distillé une graine militante à leurs étudiants.
Je tenais aussi à exprimer mon émotion et ma grande fierté envers les étudiants qui ont participé à cet événement.
Avez-vous eu des échanges avec la direction de l'Unil et de quel ordre?
Absolument aucun et c'est une très bonne chose. Je n'ai jamais senti la moindre pression de la direction de l'université à mon égard et je la remercie vivement. Au début du mouvement, nous ne savions pas dans quel sens allait pencher l'Unil, mais je salue le respect et le soutien symbolique qu'elle a eus envers le mouvement.
Je me souviens que le recteur Monsieur Herman avait déclaré dans la presse que les professeurs avaient la liberté d'opinion et que cela faisait partie de la liberté académique.
A vous entendre, on croirait qu'il s'agit d'une victoire pour les étudiants alors que leur objectif principal était le boycott académique, mais l'Unil a refusé cette revendication.
L'important c'était la reconnaissance de la légitimité du mouvement, ce que l'université de Lausanne a fait. Les étudiants et la direction de l'Unil ont trouvé un accord.
Je suis très reconnaissant envers la direction de l'université de Lausanne pour avoir entendu les inquiétudes des étudiants à ce sujet. Concernant le boycott académique des universités en lien avec l'Etat israélien, je pense que le rapport élaboré par le collectif est remarquablement documenté et je vous encourage à en prendre connaissance.
Vous parlez du rapport de 30 pages fourni par le collectif sur les liens des universités israéliennes avec l'armée et les entreprises privées d'armement.
Oui, car durant les jours d'occupation, les étudiants ont travaillé à l'élaboration de ce dossier et produit un travail de qualité. J'avais déjà pris connaissance d'ouvrages sur le sujet et je savais que cette réflexion était légitime, mais je ne m'attendais pas à ce dossier remarquablement documenté.
Selon le rapport, l’Ashkelon Academic College (AAC) propose notamment la conversion de jours de service militaire en crédits académiques. Je vous invite à en prendre connaissance, c'est édifiant.
Pour en revenir à l'occupation du hall de Geopolis, cela a créé aussi des inquiétudes dans une autre partie du corps professoral, dénonçant le parti pris des professeurs qui soutiennent le mouvement, entendez-vous cela?
Oui, je comprends ces réactions. Je n'ai pas encore eu l'occasion de discuter avec les collègues qui ont signé cette contre-pétition, mais je le ferai. Je suis assez convaincu que certains collègues ont signé la pétition de bonne foi et d'autres l'ont fait par hostilité à la cause palestinienne. Mais j'aurai probablement l'occasion d'en discuter. Je pense qu'il était important de faire la distinction entre ce que nous souhaitions, soit le boycott des institutions publiques liées à l'Etat d'Israël et non des universitaires israéliens eux-mêmes. Plusieurs collègues l'ont clairement expliqué dans les médias. Cette distinction est importante.
Les revendications des étudiants ne sont pas antisémites. On oublie le fond de leur mouvement qui est la dénonciation de massacres de civils et le boycott académique. Ils ne remettent pas en question l'existence de l'Etat d'Israël, mais ses actions.
Mais alors, que pensez-vous du slogan controversé «De la rivière à la mer» vu par certains comme la volonté de l'éradication de l'Etat d'Israël?
Quand les étudiants utilisent ce slogan, il n'y en a aucun qui parle de l'éradication de l'Etat d'Israël. «La Palestine libre de la rivière à la mer» signifie le retrait des colonies et la reconnaissance de l'Etat palestinien.
Le collectif a dénoncé les pressions politiques et certains articles jugés diffamatoires parus dans les médias, vous êtes d'accord avec cette analyse?
Je dirai que certains journalistes ont, de manière superficielle et hostile, contribué à répandre dans l'espace public des calomnies selon lesquels le mouvement serait animé par des idées antisémites et les professeurs instrumentaliseraient les élèves. Nous sommes ici pour parler des actions de l'Etat d'Israël, nous ne parlons pas de religion.
Qui nous prête ces intentions? J'ai lu des éditoriaux scandaleux au sujet de la mobilisation estudiantine et je suis sidéré par certains articles qui ont été à la limite de la diffamation.
Le collectif n'a pas voulu préciser sous quelle forme le mouvement allait se poursuivre, de côté des professeurs, qu'en est-il?
Je pense que le collectif devra inventer de nouvelles modalités de mobilisation, comme le rapprochement avec d'autres universités. Du côté des professeurs qui ont soutenu le mouvement, nous allons faire notre travail. On peut organiser des colloques, des cycles de conférences sur cette thématique en invitant des collègues du droit humanitaire par exemple.
Pour reprendre un des termes de votre collègue Olivier Fillieule, pensez-vous que cette sortie de crise s'est faite «par le haut»? Qui en ressort vainqueur aujourd'hui?
De mon point de vue, le mouvement a gagné, car il a contraint l'Unil à s'intéresser à la situation, et a montré son expertise en écrivant ce rapport très documenté. C'est une victoire aussi pour la direction de l'université de Lausanne qui a tenu bon face aux pressions extérieures, notamment politiques et qui a privilégié le dialogue à la force. Je dirai, et ne le prenez pas mal, que c'est une défaite pour une partie de la presse qui a tenté de délégitimer nos revendications, nous faisant passer pour des extrémistes voire des antisémites, c'est tout simplement scandaleux et cela vaut aussi pour une partie de la classe politique. Je rappelle qu'il y a des civils qui meurent chaque jour sous les bombes à Gaza et que c'est le fond du problème.