Cette fois, Blättler a présenté sa requête au Parlement fédéral avec une grande prudence, presque comme un agriculteur parlant à ses vaches malades. «Je serais reconnaissant si la Police criminelle fédérale pouvait progressivement recevoir plus de personnel, même si ce n'est que cinq personnes de plus par an», a déclaré le procureur général, âgé de 65 ans, lors de la conférence annuelle du Ministère public de la Confédération (MPC).
Ancien commandant de la police cantonale bernoise, Blättler occupe cette fonction depuis 2022. Depuis, il répète inlassablement son message aux parlementaires et aux commissions, et comme cela ne porte guère ses fruits, il s'exprime de plus en plus publiquement: la Police fédérale (Fedpol) manque cruellement d'enquêteurs.
Pour les enquêtes, notamment dans le domaine du cybercrime, des spécialistes d'autres disciplines sont également nécessaires. Le manque d'enquêteurs au sein de Fedpol empêche la réalisation d'enquêtes approfondies, voire même leur lancement, ce qui profite au crime organisé, de plus en plus structuré. L'Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération (AB-BA) l'a illustré récemment dans un rapport d'inspection où il aurait fallu trois mois pour fixer un rendez-vous avec la Police criminelle fédérale afin de procéder à une arrestation.
Le procureur général a appelé les décideurs politiques à adopter une vision globale de la sécurité. «Une partie de la sécurité d'un Etat repose aussi sur la sanction des actes criminels», a-t-il affirmé. Mais à Berne, les choses n'avancent toujours pas.
Depuis que Blättler a pris ses fonctions, suite à la démission mouvementée de son prédécesseur, le Ministère public de la Confédération se recentre sur son rôle principal. Le nombre de nouvelles enquêtes a augmenté passant de 332 en 2024 contre 318 l'année précédente. Au total, 22 actes d'accusation ont été déposés (contre 16 en 2023) et 39 ordonnances pénales ont été transmises au tribunal, contre 16 l'année précédente. De plus, les demandes d'entraide judiciaire acceptées ont augmenté de 4%, tandis que celles traitées ont bondi de 40%. En revanche, le nombre d'enquêtes closes a légèrement diminué (797 en 2024 contre 849 en 2023).
L'année 2024 a été marquée par des jugements décisifs en matière de droit pénal international, de sécurité de l'Etat, de terrorisme et de criminalité économique. Blättler a notamment mentionné la condamnation du géant du commerce des matières premières Trafigura, la condamnation de l'ancien ministre de l'Intérieur gambien pour crimes contre l'humanité, ainsi que des verdicts liés à des attaques contre des distributeurs automatiques et au terrorisme djihadiste. En 2024, le Ministère public de la Confédération a mené 120 procédures liées au terrorisme.
Outre un renforcement des effectifs, Blättler plaide pour l'introduction de nouveaux instruments juridiques. Il suggère l'adoption d'un statut de «témoin protégé» ainsi que la mise en place d'accords de poursuites différées (Deferred Prosecution Agreements, DPA), similaires à ceux des Etats-Unis. Ces accords permettraient de sanctionner plus efficacement les entreprises fautives par des amendes et de les contraindre à adopter des pratiques commerciales conformes à la loi. Bien que les condamnations des groupes Gunvor et Glencore aient constitué des avancées majeures en matière de responsabilité pénale des entreprises, elles ont requis d'importantes ressources.
Le Parlement fédéral devra également examiner la composition du Ministère public de la Confédération. Jacques Rayroud, procureur général adjoint, prendra sa retraite à la fin de l'année, comme il nous l'a confié en marge de la conférence de presse. La désignation de son successeur relève de l'Assemblée fédérale.
Blättler est actuellement assisté par deux adjoints: Jacques Rayroud et Ruedi Montanari, originaire de Soleure. Tous trois sont en poste jusqu'à fin 2027 et ont déjà indiqué leur intention de partir de manière échelonnée, afin d'assurer une transition en douceur. Enfin, la question de la représentation des femmes à la tête du Ministère public de la Confédération pourrait être débattue. Bien que les femmes y soient désormais majoritaires (150 contre 118 hommes en 2024), les postes les mieux rémunérés restent largement dominés par les hommes.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci