C'est un effet politique bien connu en Suisse: le «Röstigraben», soit l'observation de deux tendances diamétralement opposées entre Romands et Alémaniques. Mardi dernier, un vote du Conseil des Etats a fait ressortir une question de politique internationale bien connue: la relation Israël-Palestine.
Lancée par le canton de Genève en novembre dernier, une initiative en faveur de la reconnaissance d'un Etat palestinien par la Suisse a été balayée par la Chambre haute: 27 votes contre 17 en sa défaveur. Tous les conseillers aux Etats romands ont voté pour, à l'exception de Pascal Broulis (PLR/VD).
Johanna Gapany (PLR/FR), la seule libérale-radicale de la Chambre à avoir voté en faveur de l'initiative, était alignée avec la majorité romande. Elle l'explique ainsi: «En temps normal, je soutiens la position officielle de la Suisse sur la reconnaissance de l'Etat palestinien.» C'est-à-dire une solution à deux États, négociée par les deux parties. Mais elle a au final voté différemment, à rebours de son parti et de la majorité alémanique de la Chambre.
Elle justifie: «L'Onu a déclaré l'état de famine à Gaza le 22 août et Israël ne respecte pas les Conventions de Genève. Le territoire palestinien lui-même pourrait disparaître. Il était nécessaire de revoir ma position dans une telle situation.»
«C'est une question de pratique politique, plus que de fond», estime quant à lui le conseiller aux Etats Charles Juillard (Centre/JU).
Voter pour envoyer un message ou faire bouger les lignes politiques? C'est un peu ce qu'ont décidé de faire les Romands: «Le fait de reconnaître la Palestine sert à admettre le droit d'un peuple à habiter sur un territoire, donc à contredire le fait accompli par Israël sur le terrain», analyse René Knüsel, professeur de sciences politiques honoraire à l'Université de Lausanne. «Mais en Suisse alémanique, on est assez réticents à utiliser cette méthode».
Une vision qui a d'ailleurs tant à voir avec les partis qu'avec les sensibilités culturelles. «Le conflit au Moyen-Orient est larvé. Il date d'avant la Seconde Guerre mondiale. La solution à deux Etats ou la reconnaissance palestinienne ont fait des aller-retour entre la gauche et la droite depuis des décennies», note René Knüsel.
Et si «la Suisse alémanique est plus engagée sur le plan économique avec Israël», note René Knüsel, cela n'explique pas tout. Pour bien l'expliquer, il faut prendre un peu de recul, tant culturellement que géographiquement.
«A cause de la Shoah et des crimes commis par l'Allemagne nazie à l'encontre des populations juives d'Europe, Berlin prête une attention particulière à toutes les critiques ayant trait à l'antisémitisme», analyse-t-il. Le chancelier allemand, Friedrich Merz, soutient plus clairement Israël que d'autres alliés occidentaux, qui n'hésitent plus à le critiquer, à l'image du Royaume-Uni, du Canada ou de la France d'Emmanuel Macron. Ce dernier a annoncé qu'il allait reconnaître l'Etat de Palestine aux Nations unies en septembre, un tournant historique pour Paris.
«Les positions françaises et allemandes sont reprises dans des médias véhiculés dans leur langue, que consomment nos politiciens suisses et dont ils sont en partie le reflet», répond René Knüsel.
Au Conseil des Etats, le soutien à la Palestine été balayé par le poids démographique naturel des Alémaniques. Force est de constater que les Romands sont alignés avec les Français et les Alémaniques avec les Allemands. Le Röstigraben serait-il un «Schnitzelgraben»?