Le médaillon qu'il porte autour du cou - une croix gammée entourée d'une étoile de David - donne une indication précise sur son appartenance religieuse: Antoine est raëlien. Ça fait plus de 30 ans que cet affable informaticien romand a rejoint le mouvement qui affirme que la vie sur Terre a été créée par des extraterrestres. Suite à la diffusion d'un documentaire sur Netflix, sorti début février, il a accepté de répondre à nos (nombreuses) questions. Interview.
Avez-vous regardé le documentaire Netflix?
Oui, et mon avis est mitigé. J'ai bien aimé le début, ça m'a fait plaisir de voir des images d'archive que je n'avais jamais vues, d'entendre des personnes que je connais témoigner d'éléments que j'ignorais.
Pourquoi?
D'abord, pour une question de montage. En choisissant certaines parties des témoignages au détriment d'autres, les réalisateurs restituent une image qui n'est pas toujours contrebalancée par le point de vue des Raëliens. Et ensuite, parce qu'il contient des informations qui sont fausses. Elles sont utilisées contre nous, et c'est plutôt désagréable. Ce n'est pas la première fois, nous avons l'habitude, mais c'est toujours un peu décevant.
Venons-en à vous. Comment êtes-vous devenu raëlien?
C'est une longue histoire (il rit). Il faut savoir que quand j'étais adolescent, je me posais beaucoup de questions existentielles et philosophiques. Je m'intéressais à la vie après la mort, aux mystères, aux pyramides, aux ovnis. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Toute la famille de mon meilleur ami avait vu un ovni un soir, ça les avait beaucoup impressionnés.
S'agissait-il de Raël?
Oui, il était invité à la télévision suisse. J'ai juste eu le temps de noter le titre de son premier livre, «Le livre qui dit la vérité», que je me suis procuré dans une librairie. Je me souviens l'avoir lu en quelques heures, un soir après l'école.
Quelle a été votre réaction?
Le livre m'a profondément marqué par la cohérence de son contenu. Il expliquait beaucoup de choses et en éliminait beaucoup d'autres, comme les superstitions sur la vie après la mort. Tout à coup, j'avais une vision beaucoup plus claire, beaucoup plus rationnelle. C'était comme un puzzle dont j'avais posé la dernière pièce.
Avez-vous rejoint le mouvement tout de suite?
Non, au contraire. J'en ai parlé à mes amis, qui étaient beaucoup moins impressionnés que moi, et à mes parents. Leurs doutes ont été bénéfiques. Comme ce livre se basait beaucoup sur les écrits religieux, j'ai commencé à les étudier. J'ai lu la Bible, je me suis procuré un Coran.
C'est à cette époque que j'ai rencontré des Raëliens pour la première fois. Un couple très harmonieux qui habitait à Bienne. Ils m'ont accueilli comme j'étais, sans vouloir faire de moi un raëlien. Par la suite, j'ai participé à quelques manifestations et, en avril 1990, j'ai effectué mon baptême raëlien.
Comment cela s'est-il passé?
Il a eu lieu un dimanche, dans le cadre d'un événement international organisé à Genève. Lors de la cérémonie, un prêtre pose ses mains, mouillées, sur le front et la nuque de la personne qui va recevoir le baptême. Elle reconnaît les Elohim comme ses créateurs, et les Elohim l'enregistrent comme quelqu'un qui les reconnaît.
Qu'est-ce que cela implique?
Le baptême raëlien consiste à renoncer à une précédente religion, si on en a une. Concrètement, il faut écrire à son évêché pour demander d'être débaptisé. Mais ça n'engage à rien, c'est juste une façon de dire publiquement «Je suis raëlien». A ce moment, c'était une évidence pour moi.
N'avez-vous jamais douté?
J'ai une formation scientifique, donc le doute fait partie de ma façon de penser. Je remets régulièrement les choses en question, je relis les livres et je me confronte à d'autres points de vue. Pour l'instant, cela a toujours renforcé ce que je pense, mais ça me paraît sain de douter. D'ailleurs, je ne me considère pas comme un croyant.
Les affaires d'abus sexuels qui ont eu lieu en France par le passé n'ont pas changé votre point de vue?
Non. Des membres ont été condamnés pour des faits d'ordre sexuel il y a plus de 25 ans, mais cela s'est produit dans leur vie privée, pas dans le cadre du mouvement. Si l'on cherche, on trouvera des criminels dans toute communauté, y compris parmi les Raëliens. Il suffit de regarder l'Eglise catholique.
Et si vous allez découvrir un jour que Raël avait tout inventé?
Comme le dit quelqu'un dans le documentaire, même si Raël affirmait avoir tout inventé, ça ne changerait rien. Je partage ce point de vue. Son enseignement me plaît, les valeurs raëliennes me plaisent. Je ne suis pas quelqu'un qui croit Raël. Je suis quelqu'un qui a lu ce qu'il propose et qui l'a trouvé cohérent.
L'avez-vous déjà rencontré?
A plusieurs reprises. La première fois à l'été 1990, lors d'un séminaire de deux semaines dans le sud de la France.
Quel effet vous a-t-il fait?
J'ai d'abord été marqué par la clarté de ses mots. Il transmettait son enseignement de manière très concrète, comme s'il parlait de la vie de tous les jours. Il m'a ensuite frappé par sa simplicité. Certains médias en font une espèce de gourou riche et inaccessible. Moi, j'ai vu un homme gentil et proche des gens.
Qu'en est-il du style de vie luxueux et exubérant qu'il est accusé de mener?
Cette image, véhiculée par le documentaire et d'autres médias, est fausse. J'ai eu la chance d'être invité chez lui au Japon. Il habite une maison tout à fait normale. Ce n'est pas un petit appartement, mais pas un château non plus. Je pense que beaucoup de Suisses habitent dans une maison de la même taille. Il ne vit pas dans un luxe exubérant, contrairement au Pape et aux cardinaux du Vatican. Il vit confortablement, ce qui est normal au vu de sa mission.
Il a également été accusé d'exercer une emprise sexuelle sur certaines membres du mouvement, qui ne pouvaient pas se refuser à lui.
Ça aussi est évoqué dans le documentaire. On y parle même d'esclavage sexuel. Il s'agit d'une accusation très grave, mais la justice n'a jamais été convoquée. Accuser quelqu'un d'un crime aussi grave sans le faire poursuivre est très étonnant.
Au-delà de la justice, on pourrait penser qu'il profite de son statut de prophète.
Ce genre de soumission n'est pas dans notre culture. Nous avons enseigné le consentement bien avant que cela soit à la mode, et les raëliennes, comme les raëliens, savent dire non, ou oui. Chaque femme raëlienne est libre de dire non, y compris à Raël. Il est suffisamment grand pour demander à quelqu'un s'il a envie de passer un moment avec lui. J'en connais certaines qui ont dit oui, et d'autres qui ont dit non.
Comment votre entourage a-t-il réagi quand vous avez rejoint le mouvement?
Plutôt positivement. Mes parents ont sans doute été un peu méfiants, mais ils n'ont pas montré d'opposition. J'en ai beaucoup discuté avec ma mère. Elle a émis des doutes, mais a vu que ça m'était bénéfique, et n'a pas cherché à me changer. Mes parents ont toujours été ouverts sur ce sujet. Bien qu'ils soient de tradition protestante, ils ne m'ont pas fait baptiser, me laissant le choix pour plus tard. Finalement, c'est une façon de faire très raëlienne, puisque nous ne baptisons pas les enfants et essayons de les informer sur les principales options religieuses, y compris l'athéisme.
Et du côté de vos amis?
Il m'est arrivé de débattre avec des amis. Mais on débattait sur le fond, pas sur le fait d'être dans un tel mouvement, ou de suivre un soi-disant gourou. Si j'ai des amis qui se sont éloignés à cause de ça, je ne l'ai jamais su.
Vous vous considérez comme une communauté?
Non. Nous ne sommes pas une communauté, nous ne vivons pas tous ensemble. Forcément, je fréquente des Raëliens, mais la grande majorité des gens que je rencontre ne font pas partie du mouvement, et ça ne m'empêche pas d'avoir de bonnes relations avec eux. Ce que je partage avec mes amis n'a rien à voir avec la religion.
Votre partenaire est-elle raëlienne?
Oui, mais ça n'a pas toujours été le cas. Par le passé, j'ai été en couple avec des femmes qui ne faisaient pas partie du mouvement, et ça s'est toujours bien passé. Elles voyaient les aspects positifs, sont venues à certaines réunions, ont parfois lu les livres.
Et au travail?
Je travaille dans une multinationale depuis 14 ans. Je crois qu'on m'a posé deux fois une question. Je n'ai aucun problème à répondre, mais je ne veux pas l'imposer non plus. Il n'y a rien de pire que les gens qui ont un seul sujet de conversation et qui évoquent leur religion tous les trois mots. Peut-être que certains de mes collègues ne savent pas. Ils n'en parlent pas en tout cas, et je trouve ça très bien.
Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de votre appartenance au mouvement?
Il m'est arrivé de perdre un emploi, vers 2003 ou 2004. J'avais été engagé dans le service informatique d'une université romande. J'avais un contrat, tout était en ordre. Puis soudainement, peu avant que je commence, le contrat a été annulé. On m'a dit que j'aurais dû les informer que j'étais raëlien, et que ça posait problème. Comme s'il fallait décliner sa religion à un entretien d'embauche!
Qu'avez-vous fait?
J'aurais dû me battre, je trouve inimaginable qu'on refuse un travail à quelqu'un à cause de sa religion. Si on remplace raëlien par juif, personne n'oserait. Mais je ne l'ai pas fait. A ce moment-là, j'avais surtout besoin d'un travail, j'avais d'autres préoccupations.
Un autre point sensible concerne l'argent. Est-ce que vous soutenez le mouvement financièrement?
Oui, je paye des cotisations au Mouvement raëlien suisse, parce que j'ai envie qu'on poursuive nos buts.
Où va votre argent?
Tout d'abord, il sert au fonctionnement du mouvement: financer les activités, les publicités, le site internet. Notre principal objectif reste la construction d'une ambassade pour accueillir les Elohim. Ça demandera beaucoup d'argent, que nous accumulons depuis des années et qui est toujours là. Contrairement à ce que l'on dit, Raël n'est jamais parti avec, et il a maintenant 77 ans.
Combien payez-vous?
Pour les Raëliens actifs, il est recommandé de payer 10% du revenu après déduction d'impôts. C'est une indication, personne ne vérifie. On ne m'a jamais demandé ma fiche d'impôts. L'objectif n'est pas de s'appauvrir, il ne faut pas tout donner au mouvement. Moi je fais en sorte d'avoir de quoi vivre confortablement, de partir en vacances, et je suis content de pouvoir contribuer.
Donnez-vous également de l'argent à Raël?
Oui, les Raëliens qui le souhaitent et qui peuvent se le permettre, peuvent aider Raël à vivre confortablement. Ça ne me semble pas exagéré, surtout en sachant qu'il ne nage pas dans l'or et n'a pas une écurie de voitures de course.
Qu'est-ce que vous amène le fait d'être raëlien, au quotidien?
L'enseignement de Raël m'incite à être gentil, bienveillant et à l'écoute dans mes relations avec les autres. Tout ce qui est différent de moi va m'enrichir. Mais spécialement, il s'agit d'une façon d'apprécier la vie, même dans les moments les plus difficiles. L'importance d'être heureux est une valeur centrale pour nous. Certains confondent le bonheur avec des joies extérieures, mais le vrai bonheur vient de l'intérieur. C'est une façon d'être. C'est quelque chose qui se cultive. Mais pour ce faire, et pour être heureux, il n'y a pas besoin d'être raëlien. Heureusement.