Philippe Jeanneret (65 ans) a empilé de nombreuses années sur les plateaux de la RTS. Le présentateur qui faisait la pluie et le beau temps auprès du public romand prendra sa retraite le 31 décembre prochain. Bien qu'annoncé retraité, il restera dans les coulisses de la chaîne romande et se présentera même à l’antenne jusqu’au mois d'août 2026, comme «pigiste», dit-il.
Vous serez encore présent à l'antenne jusqu'au mois d'août 2026. Vous prenez le temps avant de tirer votre révérence?
C'est très appréciable d'avoir le temps de dire au revoir à tout le monde. Ce sera surtout pour aider Fabien (réd: Honsberger) dans sa nouvelle fonction.
C'est une page qui se tourne pour le présentateur star que vous êtes, après 35 ans.
Le monde va changer pour moi, il faudra que je m'adapte. Je m'efforce de l'accepter. Ça va me faire tout drôle de ne plus aller au téléjournal.
Après tant d'années à bord du navire de la RTS, quel a été le moment météorologique le plus marquant pour vous?
Je dirais la canicule de 2003, c'était spectaculaire. On a pris conscience de ce que pouvait être le climat de demain.
Revenons à la présentation météo, quel a été le tournant depuis vos débuts dans la présentation de la météo?
Lorsque j’ai commencé à faire ce travail à la fin des années 80, le bulletin était donné à la fin du téléjournal, au bureau, on passait les cartes et la tête du présentateur était glissée dans un petit médaillon. Au début des années 90, tout cela a changé: la météo est devenue une émission à part entière, ce qui a permis de la sponsoriser et le présentateur est apparu devant les cartes en blue box (réd: ce qui permet au présentateur météo d'apparaître devant un fond vert).
L'arrivée de l'informatique et du graphisme a changé la donne?
J'ai profité du tournant low cost. A partir de 92, nous avions décidé de produire nous-mêmes nos images et développer les synergies avec MétéoSuisse pour que les cartes soient élaborées de manière concertée.
MétéoSuisse joue un rôle important pour les bulletins météorologiques de la RTS?
Cette synergie avec MétéoSuisse est fondamentale pour que l'information soit la plus juste possible. Un de nos impératifs est qu'au moment où MétéoSuisse donne l'information sur l'un de ses canaux, elle doit être similaire sur les nôtres. Il faut également être en mesure de modifier les cartes 15 ou 20 minutes avant l'émission, si la situation l’exige. C'était impossible il y a 30 ans.
Avec l'évolution des prévisions, la population a développé une hyperexigence, non?
On vit dans une époque qui est anxiogène. L'incertitude est partout. Mais dans le domaine de la météorologie, on peut prévoir le temps à cinq jours, faire des tendances saisonnières et ça, c'est extraordinaire et rassurant à la fois. On a une petite emprise sur le futur. Cela dit, la prévision météo, comme toute prévision, a une limite et nous devons la faire comprendre au public.
Il y a la puissance des calculs, des statistiques et désormais l'intelligence artificielle...
La toute première prévision numérique s’est faite en 1950 avec un système qui faisait 5000 opérations à la seconde. Aujourd'hui, le super-calculateur du Centre Européen à Bologne fait un milliard de milliards opérations à la seconde. L'intelligence artificielle a également fait son apparition. Elle est égale ou supérieure aux modèles traditionnels pour les échéances à partir de 6-7 jours et jusqu’à 15.
Le climat est devenu un sujet brûlant, il est même bousculé par les dérives du complotisme.
Notre boulot est de traduire ce que la science permet de savoir aujourd'hui. Il est surtout important de contextualiser, de savoir si les événements météorologiques ont une signification particulière ou pas. Par exemple, ces dernières décennies, on voit nettement plus d'orages hypercellulaires, par conséquent, plus d'orages violents. Et les études montrent un lien avec le réchauffement climatique.
Le nombre de tempêtes, comme celle de La Chaux-de-Fonds, va grimper à l'avenir?
Avec un climat plus chaud, les situations extrêmes comme les orages violents de La Chaux-de-Fonds en juillet 2023, devraient devenir plus fréquents. Maintenant, la question est de savoir quand sera le prochain: dans 20 ans ou dans 5 ans.
Selon un baromètre de l'Agence de la transition écologique (Ademe) en France, 38% des Français sceptiques quant à l'existence d'un changement climatique. Ça vous surprend?
Les médias ont un rôle à jouer et doivent adapter leur discours d'une part et n'occulter aucun événement d'autre part, tout en restant objectifs. Surtout, il faut bien faire comprendre les enjeux:
Quand est-ce que les climatosceptiques ont gagné en importance pour vous?
Lors du sommet de Copenhague en 2009 (COP15), les climatosceptiques ont compris que les réseaux sociaux était le vecteur le plus efficace pour convaincre. Et ils sont devenus très forts! Ces 38% de Français qui ne croient pas au réchauffement se sont très probablement fait leur opinion en passant par ce moyen.
Un sondage a été fait aux Etats-Unis, il y a quelques années auprès des citoyens concernant les questions climatiques. La majorité faisait avant tout confiance à leur entourage proche pour s'informer.
Plusieurs présentateurs météo ont reçu des menaces ou essuient des torrents d'insultes. Avez-vous vécu pareille affaire?
Non. Mais on m'a fait de temps en temps des remarques, des gens m'ont écrit des mails ou des commentaires, parce qu'ils n'étaient pas d'accord. C'est normal, ce qui ne le serait pas, en revanche, ce serait de ne pas répondre ou céder aux pressions.
Comment convaincre les sceptiques?
C'est dans la nuance et dans la justesse qu'on arrive à convaincre. Le discours et les débats scientifiques, c'est incompréhensible pour le grand public. C'est pour cela qu'il faut le vulgariser. Prenons l'exemple de Donald Trump, qui certifie qu'il n'y a aucun réchauffement climatique, parce qu'il fait froid à Los Angeles.
Alors qu'il faut plus de temps pour rétablir la vérité.
Exactement. Il faudra une voire deux minutes pour rétablir la vérité. Est-ce que les gens vont vous accorder deux minutes pour comprendre pourquoi Trump s'est trompé? Ça va peut-être les ennuyer.
Comment faut-il intéresser les gens pour qu'ils donnent un peu de leur temps?
Chaque fois que l'on peut, il faut arriver avec une info pertinente. C'est un travail qui se fera sur le long terme. Les gens qui pratiquent par exemple en montagne, ils sont conscients de ces changements.