Le ciel est bleu, le lac paisible, les Alpes françaises recouvertes de neige: la vue depuis le bureau de Valérie Dittli dans le centre de Lausanne est splendide. Le contraste avec les turbulences des dernières semaines ne pourrait être plus frappant.
Le Conseil d'Etat vaudois a retiré à la politicienne du Centre la gestion du Département des finances, une décision largement médiatisée, suite à l'intensification du conflit avec la cheffe du service fiscal qui a débouché sur des arrêts maladie. Un rapport rédigé par l’ancien conseiller aux Etats socialiste, Jean Studer, met en cause Dittli, l’accusant de violation du secret de fonction et d’avoir demandé l’annulation de certaines taxations fiscales. Ces dernières concernaient des contribuables fortunés qui, à la suite d'une réforme, se sont retrouvés à devoir régler des taxes bien plus élevées que prévu.
Depuis, Valérie Dittli et ses collègues du gouvernement ont fait un pas l'un vers l'autre et se sont mis d'accord sur la nouvelle répartition des départements. Avant l'interview, la Zougoise d'origine est claire: elle veut aller de l'avant.
Votre sœur Laura Dittli est conseillère d'Etat dans le canton de Zoug. Ces dernières semaines, vous êtes-vous souvent dit: «J'aimerais bien échanger ma place avec elle»?
Valérie Dittli: Jamais. Mais j'échange souvent avec elle. Laura a été l'un de mes principaux soutiens ces dernières semaines. Surtout durant cette période difficile, elle m'appelait régulièrement pour me dire: «Courage, ça va s'arranger.» Elle comprend très bien ce qui se passe et ce dont j'ai besoin.
Vous vous sentez bien dans le canton de Vaud?
Oui, c'est devenu ma maison. C'est ici que j'ai mes amis. C'est ici que je vis avec mon compagnon, avec qui je suis en couple depuis sept ans.
Comment les gens vous abordent-ils ces jours?
Je ressens beaucoup de solidarité. Alors que j'étais dans un restaurant, une personne s'est levée, m'a regardée, m'a prise dans ses bras et a pleuré. Cela m'est arrivé plusieurs fois.
Qui vous a pris dans ses bras et a pleuré?
Des personnes de mon cercle élargi, ainsi que des employés de mes administrations, m'ont témoigné leur soutien. Lorsque je vais dans un bar, je suis immédiatement entourée. Ma situation touche profondément les gens. Dans la rue, on m'aborde souvent. Beaucoup me motivent, me disant de ne pas abandonner et de tenir bon. On m'envoie des bouquets de fleurs chez moi. Par e-mail, WhatsApp, SMS, sur les réseaux sociaux, ainsi que par lettres et cartes, j'ai reçu environ 1000 messages venant de toute la Suisse. A 99%, ces messages sont positifs.
Vous avez été en arrêt maladie pendant quelques jours juste avant la présentation du rapport Studer. Comment vous sentez-vous aujourd'hui?
Ma tension artérielle a fortement chuté, je me suis évanouie. J'ai raconté à mon médecin ce qui se passait dans ma vie en ce moment. Il voulait me mettre en arrêt maladie pendant deux semaines. Finalement, je me suis reposée pendant deux jours. Je vais bien. Je fais attention à ma santé, par exemple en allant courir régulièrement.
Où prenez-vous des forces?
Auprès de ma famille, de mon entourage, de mes collaborateurs. Et dans mon travail, lorsque nous pouvons parler de projets concrets et mener une politique de fond.
Avez-vous envisagé de démissionner?
Pour moi, deux questions se posent. La première est de savoir si j'ai commis des erreurs qui devraient me faire démissionner de mon poste.
Quelle est votre réponse?
Je suis sincère. Je sais ce que j'ai fait et ce que je n'ai pas fait. Je m'engage pour le bien du canton de Vaud. Et je connais désormais les subtilités politiques.
La deuxième question?
C'est une question de motivation. Elle a en partie souffert, mais je l'ai rapidement retrouvée. Aussi parce que j'ai vécu tant de bons moments avec les collaborateurs et la population au cours des dernières semaines.
Le rapport Studer vous accuse d'avoir violé le secret de fonction. Vous auriez partagé, par l'intermédiaire de vos collaborateurs, des informations confidentielles avec des cercles d'entrepreneurs qui, par le biais d'une initiative, demandent une baisse d'impôts de 12% dans le canton de Vaud. Qu'en pensez-vous?
Je salue le fait que le ministère public clarifie les allégations qui ont été soulevées. Je salue également le fait que la commission de surveillance examine de près le fonctionnement de l'ensemble du gouvernement. Mais pour mes collaborateurs, cela représente à nouveau une lourde charge.
Vous n'avez pas de groupe parlementaire derrière vous. Dans quelle mesure cette absence de soutien est-elle problématique?
Politiquement, cela me rend relativement vulnérable. Mais je peux travailler en bonne intelligence avec tous les partis. J'ai souvent réussi à organiser des majorités pour des projets importants, par exemple dans le domaine de l'agriculture, alors que j'avais tout le PLR contre moi.
Etes-vous trop libérale pour le PLR?
Disons que, venant de Zoug, je suis issue d’un environnement plutôt libéral. Le PLR vaudois est très hétérogène. Sur certaines questions, comme la fiscalité, je me situe peut-être à la droite de certains PLR. J’accorde une grande importance à la responsabilité individuelle, notamment en matière d’incitations fiscales. Cela dit, il faut rappeler que l’alliance Centre-PLR-UDC, avec laquelle j’ai été élue en 2022, a inscrit les baisses d’impôts dans son programme. C’est une volonté claire du peuple.
Le frein à l'impôt sur la fortune joue un rôle important dans cette affaire. Votre prédécesseur, le PLR Pascal Broulis – aujourd’hui conseiller aux Etats – vous a-t-il laissé une réforme ratée ?
Ce n'est pas à moi d'évaluer le travail de mon prédécesseur.
Pouvez-vous nous décrire la situation que vous avez rencontrée au sein du Département des finances?
J'ai dû constater que de nombreuses plaintes ont été déposées, car les personnes concernées se sont retrouvées imposées plus lourdement qu'avec l’ancien régime.
J'ai cherché à maintenir l'équilibre fiscal, car je ne souhaite pas que le canton soit contraint de réduire ses prestations, et pour cela, il est essentiel de disposer de recettes. C’est pour cette raison que j’ai voulu trouver des solutions à ce problème concret.
Rétrospectivement, procéderiez-vous de la même manière à tous égards?
Bien sûr que j’ai commis des erreurs, comme tout le monde. J’ai voulu résoudre des problèmes, parfois sans assez tenir compte de certaines sensibilités. Sans le vouloir, j’ai sans doute mis certaines personnes sous pression. J’ai aussi sous-estimé l’importance de construire une relation de confiance avec les chefs de service. Personnellement, j’accorde beaucoup de confiance aux gens et j’attends en retour loyauté. Mais j’ai appris que ce n’est pas toujours réciproque. C’est normal.
En parlant d'âge, craignez-vous que votre désaveu dissuade d'autres jeunes de se lancer dans la politique?
J'ai effectivement reçu un nombre remarquable de messages de jeunes. Beaucoup dans mon entourage m'ont dit: «Je n'ai jamais voulu entendre parler de politique, et c'est encore plus vrai maintenant.» Cela me fait beaucoup réfléchir. Mais cela me motive aussi.
En quoi?
Je suis convaincue que notre génération doit changer certaines choses. Nous devons instaurer un dialogue politique différent de celui des décennies passées. Face aux défis de notre époque, nous ne pouvons pas nous permettre une politique destructrice. Je veux plus que jamais encourager les jeunes à s’engager, à prendre leurs responsabilités, et à ne pas se laisser décourager.
Cette semaine, la presse a rapporté que vous deviez encore 20 000 francs au PLR pour votre campagne de 2022. Vous auriez promis cette somme oralement après votre élection. Pourquoi cette dette n’a-t-elle pas été réglée plus tôt ?
Je n’étais pas au courant que cette somme était encore due, et je ne l’ai jamais promise oralement. Cette demande est apparue après les élections, alors que la somme convenue de 15 000 francs avait été versée. Pour moi, c’était une affaire de parti. Le parti ne voulait pas revenir sur cette question sans accord écrit.
Ainsi, nous pourrons à nouveau nous concentrer sur les défis politiques importants, dans l’intérêt du canton et de ses habitants.
Vous dirigez désormais un département plus restreint: vous avez perdu les finances, mais hérité du numérique et de la protection des consommateurs, en plus de l’agriculture et du climat. Comment vivez-vous ce changement?
Peu importe la taille: l’essentiel est d’avoir un département tourné vers l’avenir. Avec la sécurité alimentaire, la cybersécurité, la durabilité et l’approvisionnement agricole, je suis responsable de dossiers appelés à prendre de l’importance. Cela me motive. Et je me réjouis qu’un certain calme revienne.
Pensez-vous que la collaboration au sein du gouvernement fonctionnera?
Je suis optimiste. La collaboration sur les dossiers a toujours bien fonctionné et elle continuera de le faire dès que nous pourrons nous concentrer sur les questions de fond. C'est sur ces sujets que l'on peut aussi renouer des liens personnels.
Traduit et adapté par Noëline Flippe