N'importe quel dramaturge vous le dira, un bon méchant, c'est un personnage avec un passé. C'est de ce postulat qu'est née La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur, roman de l'écrivaine américaine Suzanne Collins, publié en 2020, qui se voit désormais adapté au cinéma.
Les quatre premiers films de la saga originale avec Jennifer Lawrence ont rapporté plus de 3 milliards de dollars lors de leur sortie il y a une décennie. Il était donc prévisible que la production d'un cinquième opus soit dans les cartons, dont le scénario a été conjointement écrit avec l'autrice alors qu'elle s'attelait à son roman.
L'intrigue nous renvoie donc à Panem, 60 ans avant que Katniss Everdeen ne participe aux Hungers Games, narrés dans la tétralogie sortie entre 2012 et 2015. À cette époque, le tyrannique président Coriolanus Snow (Tom Blyth) n'était encore qu'un jeune homme, brillant lycéen du Capitole et appartenant à une vieille famille noble dont la fortune n'est plus.
Lors des 10e Hunger Games, celui-ci se voit confier une candidate nommée Lucy Gray Baird (Rachel Zegler). Bien décidé à recevoir le prix qui lui permettra d'intégrer l'Université, Coriolanus devra faire en sorte qu'elle gagne les Hunger Games...
Si vous n'êtes pas familier avec l'univers Hunger Games, ou que les 10 ans qui se sont écoulés depuis les films précédents ont fait leur effet, sachez qu'il n'est pas nécessaire de connaitre l'univers créé par Suzanne Collins sur le bout des doigts pour pleinement profiter de La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur. Bien que le film soit avare en explications, il se suffit à lui-même et immerge avec facilité le spectateur dans les rouages de Panem, une dystopie rétrofuturiste des Etats-Unis.
Ce cinquième volet est réalisé par Francis Lawrence, qui avait déjà signé les trois derniers volets. Au casting, on découvre notamment Tom Blyth dont c'est le premier pas majeur au cinéma. Le Britannique de 28 ans reprend le rôle du futur président despotique, que tenait l'acteur octogénaire Donald Sutherland dans les premiers films. A ses côtés, Lucy Gray Baird est incarnée par Rachel Zegler, actrice et chanteuse découverte par Steven Spielberg dans West Side Story et que l'on retrouvera bientôt sous les traits de Blanche-Neige pour le compte de Disney.
Autour de ce duo de jeunes acteurs, gravitent également des acteurs confirmés tels que l'oscarisée Viola Davis (The Woman King), Jason Schwarzmann (Asteroid City) et Peter Dinklage (Game of Thrones). A noter également la présence de l'actrice transgenre Hunter Schafer (Euphoria), qui incarne avec beaucoup de délicatesse le personnage de Tigris Snow, la sœur de Coriolanus.
N'y allons pas par quatre chemins, ce nouvel Hunger Games est bien meilleur que les précédents. Ce qui n'est en soi pas bien difficile puisque la saga Hunger Games originale est un pur produit de son époque, où tous les succès littéraires pour adolescents se voient adaptés au cinéma, se calquant ainsi sur le succès de l'abominable saga Twilight.
Le film, d'une durée conséquente de 2h40, permet de s'immerger totalement dans cette fresque découpée en trois actes bien distincts. Bien qu'ils semblent avoir été insérés au forceps pour tenir dans la durée, le film a fait le choix de nous épargner une trilogie. (Les fans du Hobbit s'en souviennent).
Si le film s'avère une bonne surprise, il souffre d'une imagerie parfois kitsch, personnifiée par le rôle cabotin de Viola Davis incarnant une scientifique au look grotesque. Ce «grand méchant» à la cruauté sans limite est vraiment le seul élément qui renvoie La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur à un film pour adolescents.
Où l'intrigue brille, c'est dans le choix de son personnage principal. Le Coriolanus âgé de 18 ans n'est pas encore devenu l'odieux dictateur d'un régime autoritaire et le film prend soin de l'humaniser avec doigté. Ce jeune homme ambitieux et idéaliste est issu de l'aristocratie de Panem, sa famille étant malheureusement tombée en disgrâce suite à la guerre nucléaire qui a dévasté le pays, le transformant au passage en autocratie.
Lors de cette dixième édition des Hungers Games, créée dans le but d'asseoir l'autorité du Capitole, Coriolanus a pour mission de veiller sur sa candidate. Il va cependant tomber progressivement sous le charme de la jeune rebelle. Dès lors, le film prend l'allure d'une fresque romantique et tragique qui va transformer Coriolanus Snow et nourrir sa violence, racontant ainsi son glissement vers la haine.
Si on peut critiquer la saga Hunger Games sur bien des aspects, il y a bien un élément qui le différencie des blockbusters calibrés pour les adolescents: sa teneur politique, complètement assumée. Par son architecture fascisante, avec ses immeubles de style brutaliste et certains décors qui évoquent ouvertement les camps de concentration, le film n'hésite jamais à montrer les dérives de la déshumanisation, de la propagande et du système de caste. Le film a d'ailleurs été tourné en partie en Allemagne (dans le stade olympique de Berlin) et en Pologne.
Une décennie après les films originaux, à une époque où les discours réactionnaires se sont décomplexés et en pleine montée de l'extrême droite, ce Hunger Games dissèque à sa façon les mécanismes qui mènent au fascisme. Sous ses airs de divertissement, La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur est un film intelligent.