De nos yeux, cette édition 2024 du Montreux Jazz a mis du temps à se décanter. On fronce les sourcils, on se plaint de ne pas avoir notre Strav'. Il fallait bien nouer de nouvelles habitudes et cibler les nouveaux coins fétiches.
Mais comme le vin, plus cette édition vieillissait, plus elle se bonifiait.
Or il faut bien rentrer et s'arracher de la noce. Les foules montreusiennes et enivrées, se ruent dans les trains pour retrouver leur plumard.
C'est là que le train se transforme en convoi de l'enfer.
La course commence, tel un contre la montre du Tour de France. Pour choper son train à 2h du mat', il faut griller des calories. Ça se mérite. Le shoot d'adrénaline démarre lorsque vous regardez votre application CFF. Vous claquez des bises et serrez des paluches, vous prenez vos cliques et vos claques, et direction la gare.
Inutile de préciser que la marche rapide laisse place à une course de dératé, le souffle court après ces bières ingérées - foutue dernière mousse.
En plein sprint «Usain Boltien», on croise un pote, avec ce fameux: Ça fait longtemps, on s'appelle pour se faire un café. On le sait tous, c'est une manière détournée de clore la conversation. Mais l'échappée belle n'est pas finie, elle se joue sur le quai de la gare, en slalomant autour des festivaliers égarés. Arrive le moment fatidique: trouver une place dans un wagon, les différentes voitures étant prises d'assaut. Les personnes se coincent dans les compartiments, même dans les toilettes pour reposer les jambes. C'est là qu'on entend les premiers:
Une fois dans le train, il vaut mieux faire preuve de souplesse, enjambant des noctambules au bout du rouleau, couchés ou assis au milieu des couloirs. Tout va bien. Mais l'ambiance reste bon enfant, les gobelets sont encore débordants de bière et le sol s'en imprègne. La semelle colle.
«Vous inquiétez pas, c'est vendredi!» Un cri qui surpasse les autres. Certains et certaines crient leur joie, d'autres tentent d'étouffer leurs discussions, même si la gabegie recouvre la moitié des conversations.
Certains ont leur casque vissé sur les oreilles, nostalgiques, sûrement, du concert vécu un peu plus tôt dans la soirée.
La valse des «Hey, je t'ai perdu! T'étais où?» commence à se multiplier. Avant que celui du «ne vous inquiétez pas, c'est vendredi», ne narre sa soirée (dantesque) à ses potes et au wagon par la même occasion.
D'autres préfèrent une discussion plus sérieuse, même si l'ivresse paraît guider le discours. «J'ai voulu me lancer dans un doctorat, tu sais. Mais franchement, j'avais pas envie de retourner chez mes parents. Je voulais gagner de la maille.»
Et d'autres racontent leur rencontre du soir:
Un ballet d'histoires et la voix du contrôleur (ou du conducteur) au micro retentit - enfin des quelques bribes qu'on entend, avalées par le brouhaha. L'annonce de l'entrée en gare de Vevey augure de nouvelles places assises. Les malheureux qui sont debout dans les allées (dont l'auteur de ces lignes), ou assis à même le sol lorgnent sur une hypothétique place qui pourrait se libérer. Mais rien. On entend des soupirs.
Ça pèse d'être debout, au milieu des foules mi-endormies, mi-irritées. La jeune femme en face de nous qui arbore une casquette «I love titties and beer» commence à sentir les multiples attaques de paupières; les corps se contorsionnent pour trouver une position adéquate pour écraser quelques minutes de dodo dans le compartiment d'à-côté.
«C'est moi où elle nous rend moche cette luminosité»: elle est vilaine cette lumière des trains CFF. Les yeux rougis et l'haleine de chacal, les premières courbatures d'une soirée trop arrosée, le tableau n'est pas glorieux.
«La prochaine fois je prends un taxi, entend-on à la sortie du train, c'est l'enfer ce train». C'est bien connu: bourré, on est les rois du pétrole.