On aime parfois rappeler que les gens puissants sont des personnes comme les autres. Les chefs d’Etat aussi, aiment les choses simples, et parfois davantage. Pietro Catzola le sait mieux que personne. Depuis 36 ans, le chef officie dans les cuisines du Palais du Quirinal à Rome, où il régale les présidents de la République italienne, mais aussi les dignitaires du monde entier.
Âgé de 66 ans, ce chef originaire de Sardaigne a vu passer une impressionnante galerie de convives prestigieux, comme les présidents américains Barack Obama, Bill Clinton, Georges W. Bush ou encore l'ex-président russe Michael Gorbatchev et son épouse.
C’est sur un navire militaire qu’il découvre sa passion pour la cuisine. «Je suis entré dans la marine à 16 ans, et sur les conseils de mon oncle, j’ai demandé à être affecté à la cuisine», raconte-t-il au journal Schweiz am Wochenende.
Mais comment passe-t-on d’une cuisine de l'armée à celle du plus haut palais de la République italienne?
Après le repas, Pietro Catzola est convoqué par le président qui lui propose de remplacer un cuisinier proche de la retraite. Réponse immédiate de l'intéressé: «Non merci, j’aime trop mon travail à bord avec la marine.» Pourtant, quelques semaines plus tard, il est invité au Quirinal pour un entretien. Après un second refus, il finit par accepter, et quitte la mer pour s’installer à Rome.
Francesco Cossiga (1985–1992) adorait les frites et les escalopes, Oscar Luigi Scalfaro (1992–1999) optait pour le minestrone et les spaghettis à la sauce tomate, également les préférés de Giorgio Napolitano (2006–2015). Quant à Sergio Mattarella (président de la République depuis 2015), il affectionne toutes sortes de soupes, mais aussi un bon risotto à la milanaise ou des pâtes au pesto.
Cela dit, les présidents se laissent parfois tenter par des plats plus sophistiqués. Giorgio Napolitano aimait la morue frie à la sauce tomate ou en salade, avec des pommes de terre. Oscar Luigi Scalfaro, lui, préférait la ratatouille tiède, accompagnée de jambon cru et de mozzarella di bufala.
«Lorsqu'un nouveau président prend ses fonctions, c’est toujours une phase d’apprentissage pour la brigade de cuisine. Il faut adapter les menus à ses goûts, découvrir ce qu’il aime ou non.» Ces échanges se font souvent de manière informelle, poursuit le chef: «Ils passent en cuisine et on discute du menu.»
Dans cette communication, la Première dame joue un rôle essentiel. Franca, l'épouse de Carlo Azeglio Ciampi (1999–2006), était elle-même une excellente cuisinière. Elle participait à l’élaboration des menus et partageait parfois ses propres recettes avec l’équipe.
Pietro Catzola accorde une grande attention aux intolérances alimentaires. Lors de la visite de Bill Clinton, par exemple, il a été informé de son intolérance au lactose. Résultat, le lait a été rayé des ingrédients. Quand le chancelier allemand Helmut Kohl est venu, il a fallu exclure l’ail, apparemment pour cause d’allergie.
Mais le moment de panique est survenu avec George W. Bush. Le dessert prévu était un «babà» napolitain, une pâte levée en forme de champignon trempée dans du rhum. Quinze minutes avant le service, il apprend que Bush ne consomme pas d'alcool. La solution sera de passer le babà sous l’eau, puis de l’imbiber de jus d’orange fraîchement pressé. «Le dessert a été sauvé et il avait un léger mais très agréable goût d’orange», se souvient Pietro Catzola.
Il va de soi qu’un faux pas peut parfois se produire, comme lorsqu’une arête échappe à la vigilance, malgré un contrôle minutieux. Pietro Catzola examine toujours chaque assiette qui revient en cuisine, et cherche à comprendre si le plat a plu ou non. Surtout lorsqu’il en reste, cela signifie généralement que quelque chose n’a pas fonctionné.
Le chef a également pris l’habitude de tenir un journal. C’est grâce à cette pratique qu’est né son livre Il cuoco dei presidenti, publié en 2023, dans lequel on retrouve bon nombre de ses recettes (voir ci-dessous).
Après toutes ces années, il ne lui manque plus que deux choses pour être comblé, «Cuisiner pour un pape, et réussir à faire des pâtes Su Filindeu.» Ces nouilles sardes très fines qui nécessitent un coup de main très particulier comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous. Le chef sarde n'a jamais appris à les fabriquer.
Les papes, eux, ne s’attardent jamais assez longtemps pour rester dîner. Mais le cuisinier des présidents n’en garde aucun regret: «J’ai eu une belle carrière. L’an prochain, je prendrai ma retraite, mais j’aimerais visiter les écoles hôtelières du pays pour encourager les jeunes à suivre leurs rêves.» Comme il l’a fait.
Traduit de l'allemand par Joel Espi