Ce devait être une simple balade à travers le comté du Somerset. Pour le Telegraph, c'est devenu une «exclusivité mondiale». Il est vrai que jamais, depuis qu'il a été propulsé au titre de prince de Galles, à la suite de son père en 2022, William n'avait encore accordé l'autorisation à un média de l'accompagner une journée durant et d'interroger les membres de son équipe pour exposer son grand «projet»: la gestion et sa vision pour le futur du comté de Cornouailles.
Un domaine vaste, complexe, tentaculaire. Difficile à appréhender et à expliquer clairement. Le duché s'étend sur près de 51 000 hectares à travers 20 comtés différents. Etabli en 1337 par le roi Edouard III, initialement comme une source de revenus pour son fils héritier, il est conçu pour financer la vie et l'œuvre du duc de Cornouailles et de sa famille. Et quelle source de revenus! Rien que sur l'année 2023-2024, il a généré près de 23,6 millions de livres sterling. Sa valeur net est estimée, elle, à 1,1 milliard de livres.
Le duché de Cornouilles n'est généralement évoqué dans la presse qu'une fois par an, au moment de publier son bilan annuel - une cible facile pour les critiques de la monarchie, qui s'insurgent des sommes d'argent générées par ce large territoire et dont «dispose» la famille royale.
Contrairement à son père Charles III, qui s'est plié avec une relative bonne volonté aux copinages et aux soirées avec les journalistes du «royal rota» (ce cercle de médias triés sur le volet bénéficiant d'une accréditation et d'un accès particulier à Buckingham Palace), le prince de Galles s'avère autrement plus farouche. Pour ne pas dire sauvage.
C'est bien simple: le futur monarque de 42 ans a les médias en horreur. Y compris ceux, comme le Telegraph ou le Mail, entièrement acquis à sa cause. Au contraire d'un Harry et d'une Meghan (un édito titrait jeudi: «Le prince Harry vient de faire quelque chose de tellement stupide que je commence presque à l'aimer»), le couple de William avec Kate bénéficie d'une couverture constamment positive.
Malgré toute la méfiance du monde, le palais de Kensington a pourtant accordé une rare exception à une correspondante royale du Telegraph et l'a invitée à rejoindre le prince lors de ce qu'il décrit comme une «journée du duché», à la mi-mai.
En résumé: une journée à galoper derrière le prince, lors de sa visite des fermes et des bureaux de son domaine qui s'étale à travers le Royaume-Uni. Des journées généralement «privées» et rarement mentionnées dans l'agenda royal officiel, car William privilégie la discrétion.
Quoi qu'il en soit, le futur souverain d'Angleterre aura été bien inspiré d'accepter la proposition. Car c'est un texte tout à sa gloire qui a été publié ce vendredi dans les colonnes du quotidien britannique.
On y découvre un prince de Galles «pleinement aux commandes, plein d'idées pour laisser sa marque et, selon ses propres termes, améliorer la vie des habitants de son duché». Un homme «réformateur» et «investi d'une mission». Mais encore un «dirigeant doté d'un zèle réformateur, d'un désintérêt rafraîchissant pour les formalités et d'une détermination à connaître la vérité sur la vie de ses locataires».
Le parfait prince du 21e siècle, en somme.
Dans les détails, l'article dresse le portrait d'un William détendu et prompt à l'autodérision («il a tendance à faire au moins une blague sur sa calvitie à chaque apparition publique», selon l'auteure). «Sans la presse habituelle qui l'accompagne, il s'exprime plus librement et rit facilement, les mains dans les poches, visiblement ravi de taquiner un membre de son équipe», constate la journaliste Hannah Furness.
Détendu, certes, mais également bosseur assidu et soucieux de ses sujets - des sujets qui l'adorent, accessoirement («Il n'y a pas de meilleur propriétaire», clame un agriculteur du duché).
Balayés, les rapports de longue date selon lesquels l'héritier du trône se montrerait volontiers colérique et soupe-au-lait. C'est tout juste si un collaborateur concède du bout des lèvres qu'il est «assez exigeant». Mais, attention! Dans le bon sens du terme: le secrétaire précise rapidement que: «C'est formidable». On apprendra aussi que, comme son père, William fait preuve «d'impatience». Une «impatience saine», stipule l'employé.
«Il est facile à suivre car il a beaucoup de conviction et de personnalité, et il a vraiment le cœur sur la main en matière d'intérêt social et son désir d'avoir un impact positif sur le monde», renchérit Will Bax, son secrétaire.
Vous l'aurez compris. Si ce portrait du successeur de Charles III s'avère glorieux, il manque aussi cruellement de nuance, de sens critique et d'authenticité. Quitte à renvoyer l'impression d'une publicité pour dentifrice. Trop brillante. Trop fausse. A noter que, comme tout autre média faisant partie du royal rota, le Telegraph se trouve dans une position délicate. Trop critique, le média risque de perdre son accès privilégié à la famille royale britannique et à ses coulisses.
Il incombe désormais à William de lâcher un peu du leste et d'autoriser la nuance. Car la posture du prince charmant est non seulement difficile à maintenir, elle s'avère surtout lassante. Accepter la critique: voilà qui en ferait réellement le roi «réformateur» qu'il rêve tellement d'incarner.