Ce mot peut faire très mal à Trump
C’est local, mais triplement historique et une véritable leçon de pragmatisme. Cette nuit, Eileen Higgins a mis fin à 28 ans années de contrôle de la ville de Miami par les républicains. Une victoire remportée sur le terrain, au plus près des véritables préoccupations de ce coin de Floride où plus de 50% de la population est née à l’étranger.
Lors du second tour des élections municipales, cette politicienne chevronnée de 62 ans est non seulement devenue la première femme maire de l’histoire de Miami, mais aussi la première candidate non hispanique à remporter ce scrutin - un scrutin que Ken Martin, le président du Comité national démocrate, avait qualifié de «test décisif» quelques heures plus tôt.
Plus important encore, ce résultat a été obtenu loin des punchlines morales et idéologiques qui avait participé à faire trébucher le parti démocrate à l’élection présidentielle de novembre 2024.
C’est d’autant plus significatif que cette élection régionale, d’ordinaire non partisane, a vu Donald Trump, manifestement fébrile, se positionner en première ligne pour défendre le candidat républicain, le pourtant très influent Emilio González, tout comme il s’était immiscé dans la campagne pour la mairie de New York il y a quelques semaines.
Une double pression présidentielle qui s’est donc soldée par un double échec personnel, avec une peine monstre à rassembler les foules autour de ses grands thèmes nationaux, à savoir l’immigration et la «criminalité des migrants», lorsque l’enjeu est local.
Le républicain Kevin Cooper a beau hurler que les démocrates vont faire «une montagne d'une taupinière», le parti de Kamala Harris aura pourtant tout intérêt à célébrer cette victoire comme une stratégie à étudier de près en vue des Midterms et jusqu’en 2028.
Car Eileen Higgins, tout en pointant la violence et les dérapages policiers de la répression migratoire instaurée par Donald Trump, a mis le doigt sur des faits moins émotionnels et tapageurs, en martelant un mot que le président n’arrête pas de traiter de «supercherie démocrate».
Ce mot?
Autrement dit, «l’accessibilité financière». Durant de longs mois, celle qui est surnommée la «Gringa» (personne étrangère) dans son comté a battu le pavé bouillant du sud de la Floride pour faire entendre sa volonté de «rendre les logements abordables». Un projet qui a manifestement fait mouche et une petite musique déjà entendue dans la bouche du nouveau maire de Big Apple, Zohran Mamdani, qui rêve lui aussi de «rendre New York abordable pour ses habitants».
Alors que la ville a voté de justesse pour Kamala Harris en novembre 2024, Miami-Dade s’est retrouvée dans la poche de Donald Trump, une première pour le parti républicain depuis 1988. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles cette élection locale, censée demeurer apolitique, avait cette fois des allures de véritable duel présidentiel.
Outre l’aide bruyante de Donald Trump à Emilio González, les huiles démocrates ont, elles aussi, multiplié les élans de soutien à Eileen Higgins, en personne ou sur les réseaux sociaux. Jusqu’à Pete Buttigieg, ancien secrétaire aux Transports et candidat à la primaire démocrate de 2020.
Mais une raison plus triviale a transformé la course à la mairie de Miami en enjeu national:
Alors qu’en 2024, Donald Trump a été élu sur un fantasme qui s’étiole peu à peu et que Kamala Harris a échoué sur toute la ligne, cette fin d’année 2025 semble marquée par un déclic généralisé, sincère ou non, et, pour l’heure, en faveur des démocrates.
La déconnexion politique qui avait étouffé l’élection présidentielle il y a plus de douze mois laisse peu à peu place à la réalité: si le pays est sévèrement déchiré dans ses valeurs, l’économie est bien la préoccupation première de la population, bien avant l’obsession migratoire du président et les tâtonnements progressistes de la dernière campagne démocrate.
Alors que Miami, à 70% latino-américaine, vire au bleu, Trump, dont le taux d’approbation est désormais en chute libre, serait en train de perdre le soutien de nombreux électeurs latinos ayant pourtant voté pour lui.
Incapable de rassurer la population quant au coût de la vie, et manifestement sur les nerfs, le président se retrouve aujourd’hui contraint de reprendre la route à contrecœur, pour défendre un dossier sur lequel il aligne les mensonges. Le président était d’ailleurs sur scène, en Pennsylvanie, au moment où la candidate démocrate remportait la mairie de Miami, grâce à son programme pour des logements abordables.
Le même Donald Trump, quelques secondes plus tard:
En réalité, en septembre, «l’indice à la consommation montrait que les prix moyens étaient supérieurs de 1,7% à ceux de janvier et supérieurs de 3% à septembre 2024», rappelait à juste titre le Guardian mercredi matin. Donald Trump n’a eu aucune honte à démouler un nouveau slogan placardé derrière lui: «Prix plus bas, salaire plus élevé».
Présenté officiellement comme un avant-goût de la campagne républicaine pour les Midterms, ce meeting était surtout une tentative de sauvetage désespéré pour Trump, puisque seuls 33% des Américains approuvent désormais sa gestion de l’économie, selon une étude commandée par l’agence AP en novembre.
Après leur victoire à New York, en Virginie et dans le New Jersey il y a un mois, les démocrates ont réalisé un très bon score la semaine dernière, lors d'une élection partielle à la Chambre des représentants du Tennessee. Même si le républicain Matt Van Epps a fini par l’emporter face à la démocrate Aftyn Behn, «la marge est inférieure à la moitié de celle enregistrée il y a un peu plus d'un an», analysait notamment CNN.
Un succès à la raclette, que le sénateur Ted Cruz s’est senti obligé de qualifier de «dangereux».
Bien que la configuration démographique de Miami ne ressemble à aucune autre ville des Etats-Unis, l’élection d’Eileen Higgins cette nuit est une énième tape dans le dos du parti démocrate pour qu’il recentre son énergie sur les véritables préoccupations des électeurs américains.
S’il veut pouvoir espérer gagner les guerres en 2026 et 2028, le parti va devoir continuer à collectionner les petits succès, à l’huile de coude et sur un terrain actuellement déserté par les républicains, et pris de haut par un président qui se contente de réduire une crainte réelle — et une potentielle bombe politique future, à un «canular».
