C'est de fourrure et de laine d'alpaga que Marjorie Taylor Greene s'est parée pour assister, mardi soir, au discours de Joe Biden sur l'état de l'Union. Le choix n'avait rien d'anodin. Non pas que la députée républicaine ait voulu se faire belle pour Joe Biden, ce «menteur» qu'elle a hué au milieu d'un hémicycle médusé. Il s'agissait plutôt de symboliser le fameux ballon-sonde chinois qui a survolé le territoire américain, au nez et à la barbe du gouvernement, pendant plus d’une semaine.
Un énième coup d'éclat à accrocher au tableau de chasse de la députée de Géorgie, qui aligne les mots-clés comme autant de trophées: trumpiste, complotiste, conspirationniste, extrémiste, ultranationaliste. On continue?
Difficile de croire qu'il y a moins de quatre ans, l'élue la plus médiatisée du pays n'était qu'une illustre inconnue. Mère de trois enfants, femmes d'affaires à la tête d'une entreprise de construction prospère et prof de crossfit à temps partiel, Marjorie Taylor Greene n'a alors guère le temps de s'intéresser à la politique.
En 2016, la révélation s'appelle Donald Trump. L'entrepreneuse, galvanisée par le «langage clair» du milliardaire, déchante face à la couverture médiatique réservée à son président. La trumpette se console sur les forums de discussion, où elle se radicalise. Elle fera partie des premières recrues à embrasser la cause QAnon, ce mouvement qui prétend que Trump essaie de sauver le monde d'une «cabale ténébreuse de pédophiles adorateurs de Satan» - termes employés par Marjorie en personne sur sa chaîne YouTube.
Aux yeux de «MGT», aucune thèse n'est trop folle pour être vraie: des rayons laser juifs à l'origine des feux de forêt en Californie, à la plus traditionnelle conspiration du «Pizzagate» sur le trafic sexuel d'enfants du couple Clinton, jusqu'aux complots sur le 11-Septembre.
Entre deux articles sur son blog, le désormais disparu American Truth Seekers, la militante passionnée de MAGA assiste à des rassemblements pro-Trump, aux côtés des Proud Boys, Oath Keepers et autres groupuscules de suprématistes blancs farouchement antigouvernementaux.
Deux ans plus tard, encouragée par le succès croissant de ses lives sur Facebook, Marjorie Taylor Greene se lance sur le ring: le 14e district du Congrès de Géorgie. Un coin rouge foncé de l'Etat qui borde le Tennessee et l'Alabama, composé à 85% de Blancs et 75% de pro-Trump.
Taylor Greene part au combat sans planification stratégique ni réseautage politique. Juste armée d'un flingue et d'un slogan de campagne simple. Save America, Stop Socialism. Ainsi qu'un programme limpide, résumé en trois mots: pro-vie, pro-gun, pro-Trump.
MGT pose en Donald Trump à la sauce féminine: un mix entre l'entrepreneuse florissante et la bonne mère de famille chrétienne, dont la personnalité chaleureuse et le large sourire édulcorent le discours raciste, islamophobe et antisémite.
Au sein de son propre camp, on regarde comme un «monstre à trois têtes» cette blonde aux allures candides et au fusil brandi à chaque clip de campagne.
Forte de son autofinancement et du soutien de quelques électeurs passionnés, Marjorie Taylor Greene se passe sans problème de l'approbation de ces frileux républicains de l'establishment. La suite lui donnera raison. En novembre 2020, la politicienne novice remporte le second tour avec près de 60% des voix.
Son élection lui vaut les félicitations du chef de troupe républicain, Kevin McCarthy, mais surtout, les encouragements de son mentor: Donald Trump en personne la présente déjà comme la «future star républicaine». «Marjorie est forte sur tout et n'abandonne jamais - une vraie GAGNANTE!», clame-t-il sur Twitter.
Direction Washington, où l'attend un bureau du bâtiment Longworth aux murs couverts de messages de fans envoyés des quatre coins du monde. Et le Congrès des Etats-Unis, où la nouvelle élue compte imposer sa marque de provocatrice d'extrême-droite.
Survient alors le premier couac sur une trajectoire jusqu'ici sans obstacle. Après seulement un mois au Congrès, Marjorie Taylor Greene se heurte à la Chambre, alors à majorité démocrate. Sommée de renier publiquement ses anciennes amours avec le mouvement QAnon, elle est se retrouve expulsée de deux commissions. La faute à de énièmes diatribes, dont des appels à l'exécution de Barack Obama ou d'Hillary Clinton.
Pourtant. Si cette courte expérience a enseigné quelque chose au petit «bouledogue» de la politique américaine, c'est qu'il faut continuer à aboyer.
De son mentor Donald Trump, Marjorie Taylor Greene a appris une valeur cardinale: ne jamais s'excuser, ne jamais admettre ses erreurs. Pas même quand son refus du port du masque, en pleine pandémie, lui vaut des amendes pour un montant total de presque 90 000 dollars. Ni même quand ses contrevérités à répétition sur les vaccins Covid lui coûtent son compte Twitter.
Et encore moins quand son obstination à qualifier l'ancienne speakerin Nancy Pelosi de «garce», lui vaut une légère remontrance de son complaisant chef de parti, Kevin McCarthy.
Confortée par l'absence de sanctions fortes et la passivité d'un McCarthy qui l'a dans ses bonnes grâces, Marjorie Taylor Greene se voit bien récompensée de son indécence. Scandale après scandale, la sénatrice est devenue, en moins de deux ans, l'une des politiciennes les plus tristement célèbres du pays.
Aussi néfastes que soient ses idées, celle que son collègue qualifiait de «cancer pour le parti», à son arrivée, est parvenue à s'implanter aussi solidement qu'une tumeur. Marjorie Taylor Greene n'est plus la députée d'arrière-ban, infréquentable et dépouillée de pouvoir, de ses débuts.
Aujourd'hui, la trumpiste de la première et de la dernière heure bosse à pied d'œuvre. D'abord, il s'agit de prouver que l'élection de son cher Donald Trump a bien été volée. Ensuite, destituer le «nazi Joe Biden» et expulser tous ces «communistes» du Congrès. Enfin, défendre l'amendement sur les armes, suspendre totalement l'immigration, interdire l'avortement. Parmi tant d'autres projets.
Sans oublier de garder un œil sur 2024, année d'un potentiel retour en force de Trump. En février 2022, MGT a confié à l'auteur Robert Draper du New York Times Magazine, ses vues sur un potentiel poste de vice-présidente. Un grade que lui aurait fait miroiter Trump en personne, et dont elle serait «honorée».
La Cruella du Congrès a toutefois conscience de ses limites. Et de sa réputation. «Je pense que la dernière personne dont voudrait le parti national, c'est de moi comme colistière», admet-elle. L'avenir et Trump nous le diront. Quant à sa fan numéro une, elle n'a définitivement pas fini de faire du bruit.