Le ciel est d'un bleu limpide et l'air étouffant, ce soir du 13 juillet 2024, lorsque Donald Trump grimpe sur une estrade érigée sur un terrain de Butler, Pennsylvanie, dans une banlieue tranquille de Pittsburgh. Un rassemblement comme il en a mené des dizaines d'autres. Sur le moment, rien ne laisse présager que celui-ci sera différent.
Et pourtant. Un peu plus tôt dans l'après-midi, un jeune homme de 20 ans nommé Thomas Crooks parvient à échapper à la vigilance des agents qui quadrillent le site, pour se hisser sur le toit d'un immeuble à proximité. Il est armé d'un fusil. Pas faute pour cet individu au comportement suspect et muni d'un télémètre d'avoir déjà été repéré par un policier du coin.
L'agent l'a même photographié, avant de faire parvenir les images sur un groupe de discussion avec des collègues, selon le New York Times. Les photos circuleront entre les différentes factions présentes pendant près d'une heure. Mais de manière si désordonnée que, lorsque le poste de commandement du Secret Service apprend la présence d'une personne suspecte sur place, il ne reste que 25 minutes avant la catastrophe.
Une «cascade d'erreurs évitables qui ont failli coûter la vie au président Trump», tranche un rapport accusateur de la commission sénatoriale de la Sécurité intérieure et des affaires gouvernementales, publié ce week-end, en guise de cadeau pour le premier anniversaire de la fusillade.
A ce stade, il est déjà trop tard. Donald Trump est en plein discours face à ses partisans, penché sur un graphique des chiffres de l'immigration, lorsque Thomas Crooks tire les trois premiers coups de feu. Un membre de l'assistance se met à hurler: «Il est sur le toit! Il a une arme!»
C'est le chaos. Les cris fusent. «Couchez-vous!». Pendant que Donald Trump se retrouve à terre, recouvert d'un essaim d'agents du Secret Service qui s'abat sur lui comme des guêpes, un pompier et père de famille présent dans la foule, Corey Comperatore, est abattu. Deux autres spectateurs sont touchés. En tout, huit balles sont tirées.
Au milieu de la panique, alors que le candidat républicain est conduit en lieu sûr, Alayna Treene, une journaliste de CNN, s'interroge.
La réponse à ces deux questions est oui. D'autant que, quelques secondes plus tard, le poing de Donald Trump jaillit vers le ciel. «Fight! Fight! Fight!» hurle-t-il, le visage maculé par son propre sang.
Comme il le confie à ses proches au cours des semaines suivantes, le président sait déjà qu'il se doit, à cet instant précis, de renvoyer au monde une image puissante. Lui qui s'est toujours attaché à projeter force de poigne et caractère. «Il a un meilleur instinct politique que quiconque que je connaisse», glisse un conseiller de campagne de Trump, à CNN.
«Il a fait preuve de courage et de détermination alors qu'on pourrait penser que la première chose que quelqu'un souhaite faire est de se cacher et de sauver sa peau», confirme Henry Olsen, chercheur principal au Centre d'éthique et de politique publique de Washington, au Guardian.
Les évènements de ce 13 juillet 2024 ont changé le cours de la campagne présidentielle. A compter de ce 13 juillet, tout s'accélère. Si on ne saura peut-être jamais à quel point la réaction de Donald Trump à sa tentative d'assassinat a été déterminante, il est évident qu'un nombre important d'électeurs et de donateurs se sont ralliés immédiatement autour de lui. A commencer par Elon Musk, le futur contributeur le plus prolifique de la campagne, qui déclare son soutien inébranlable au candidat blessé.
Même ses plus farouches détracteurs sont bien obligés de faire profil bas. Voire de condamner cet acte de violence politique. C'est le cas de Joe Biden qui, quelques jours plus tard, est testé positif au Covid-19. Pour les démocrates, l'image ne pourrait pas être plus désastreuse. La force d'un côté - la fragilité de l'autre.
Pendant ce temps, quelques jours seulement à peine après avoir échappé au pire, Donald Trump remonte triomphant sur scène, cache-oreille sur le visage, pour une allocution de 90 minutes lors de la Convention nationale républicaine.
Le 21 juillet, son adversaire démocrate de 81 ans finit par abdiquer et annonce son retrait soudain de la course.
Tout ça en une petite semaine. Même pour les standards de l'ère Trump, ça fait beaucoup.
Ce jour où un bref mouvement de tête l'a sauvé d'une mort quasi certaine a changé Donald Trump pour toujours, dans son être et dans sa psychologie. Même si, en apparence, tout va bien. Balayant les questions de «syndrome de stress post-traumatique», le milliardaire de 79 ans a poursuivi sa campagne sans trahir – ou presque – le moindre signe de déstabilisation.
«Nous sommes immédiatement entrés dans la Convention nationale républicaine (RNC)», se souvient Steve Cheung, l'ancien porte-parole de la campagne, à l'édition américaine du Telegraph. Une posture en accord avec un homme qui ne regarde jamais en arrière, selon les initiés. «C'est un homme très occupé. Il a beaucoup à faire», souffle un haut responsable de l'administration.
Le septuagénaire n'en a pas moins été ébranlé, selon ses proches. En témoigne le nombre de fois où il a évoqué, lors de discours ou d'événements privés, le graphique qui lui a «probablement sauvé la vie», en référence au panneau qu'il était en train de montrer au moment des tirs. Il «dormira avec ce graphique pour le reste de sa vie».
Survivre à cette «horrible» journée a surtout permis de renforcer la détermination, la foi et le sentiment déjà bien ancré du 45e président américain d'avoir été envoyé par la providence. Sans oublier sa conviction profonde qu'il a le devoir de diriger le pays. «Cela a changé quelque chose en moi», a-t-il admis, un mois après son retour à la Maison-Blanche.
Pour ses proches, c'est une évidence. Plus tôt cette semaine, la cheffe de cabinet de la Maison-Blanche, Susie Wiles, a déclaré sur un podcast qu'elle pensait que Donald Trump devait «à 100%» sa survie à une intervention divine.
Butler a rendu la dernière ligne droite de la course beaucoup plus personnelle pour le candidat et son équipe, selon un responsable de la Maison-Blanche ayant également travaillé sur la campagne, à CNN. Laquelle a délibérément choisi d'accélérer le programme.
Alors qu'au cours de son premier mandat, il a parfois eu du mal à imposer sa volonté à Washington, Donald Trump le «survivant» a imposé comme jamais son agenda vertigineux. Depuis sa prise de serment, il y a six mois, il a gouverné avec une audace, une impatience et une confiance en soi si ardentes qu'elles lui valent des comparaisons avec les régimes autoritaires de l'histoire.
Habité par un plus grand sens de la mission que jamais, fort de son improbable retour alors que tout le monde le disait fini, Donald Trump a tout vaincu - les problèmes judiciaires, les procès, les adversaires, l'opposition... et même la mort.
«Alors il va bien sûr profiter du temps qu'il lui reste pour aller de l'avant et faire encore plus de ce qu'il estime être juste», conclut le chercheur auprès du quotidien britannique.
Compte tenu de la vitesse avec laquelle il a bouleversé son pays, attendons-nous donc à trois ans et demi encore terriblement remués.