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Interview

Ukraine: «Poutine mène une politique de génocide»

Ukraine: «Poutine mène une politique de génocide»
«Le mensonge fait partie du système de Poutine», selon l'historienne franco-russe Galia Ackerman. afp
Interview

«Poutine mène une politique de génocide en Ukraine»

Quels sont les points communs entre la guerre d'agression russe contre l'Ukraine et la Seconde Guerre mondiale? Et à quoi riment les mensonges de Poutine? Galia Ackerman, historienne franco-russe et éditrice du Livre noir de Poutine, livre son analyse.
22.01.2023, 07:5822.01.2023, 11:48
Stefan Brändle, Paris / ch media
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Lors d'une récente manifestation d'Ukrainiens à Paris, les participants ont scandé: «Poutine: criminel, assassin, terroriste!» Ont-ils raison?
Galia Ackerman: Les qualificatifs sont objectivement exacts. Les crimes de guerre commis par l'armée russe à Boutcha et ailleurs sont aujourd'hui avérés. Mais cela a commencé bien avant la guerre en Ukraine. Pendant la guerre de Tchétchénie, Poutine a utilisé la terreur contre la population civile. Il a fait exploser des bâtiments civils pour ensuite mettre ces actes sur le compte des Tchétchènes. A Marioupol, des coups ont également été portés contre des écoles et des hôpitaux. Ce sont des crimes de guerre.

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Dans votre Livre noir, vous décrivez également le régime de Poutine comme corrompu, kleptocratique et mafieux.
Poutine a littéralement privatisé son pays et l'a distribué à ses amis. De plus, il a supprimé les libertés publiques et prescrit à son pays une politique impérialiste contre un pays qui ne lui a rien fait, avec une guerre d'agression qu'il ne qualifie pas ainsi. Une contre-vérité de plus.

Historienne russe, éditrice du Livre noir de Poutine: Galia Ackerman.
Historienne russe, éditrice du Livre noir de Poutine: Galia Ackerman.

Vous citez dans votre livre le critique du système russe Alexandre Soljenitsyne qui disait qu'un régime violent est forcément un régime de mensonges.
Le mensonge est la marque de fabrique du régime de Poutine, tout comme il était la marque de fabrique des services secrets du KGB. Ils ont même tenté d'attribuer les massacres de Boutcha aux Ukrainiens. Il y a quelques jours, le commandement de l'armée russe a affirmé avoir tué 600 soldats ukrainiens à Kramatorsk pour se venger de l'attaque des Ukrainiens au Nouvel An. En réalité, deux écoles et huit maisons d'habitation ont été touchées, dans lesquelles aucun soldat ne s'était réfugié.

«Le mensonge fait partie du système de Poutine. Il ne le fait pas seulement dans un but de propagande, mais aussi pour embrouiller les gens»

Lorsque le colonel russe Sergei Skripal a été empoisonné à Londres ou lorsque le vol MH17 de la Malaysia airlines a été abattu, le Kremlin a réagi de la même manière: il a publié au fil du temps plusieurs versions, dont certaines se contredisaient même. Il ne s'agissait pas d'un oubli, mais d'une tentative de recouvrir la vérité d'un tissu de mensonges, afin que rien ne semble certain. Ainsi, les gens ne savent plus ce qu'ils doivent croire.

Poutine mène-t-il aussi une politique de génocide?
Oui, si l'on ne se base pas uniquement sur la quantité de personnes tuées, mais sur l'intention d'anéantir une nation, comme Poutine a l'intention de le faire avec l'Ukraine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le génocide des Juifs par les nazis n'a pas non plus commencé avec la conférence de Wannsee; l'intention était bien plus ancienne. Des publications et des opinions circulent à Moscou appelant ouvertement à l'extermination des Ukrainiens. Un génocide n'est pas seulement un meurtre de masse, il consiste aussi à dénier à un peuple son identité, sa liberté ou sa religion par exemple. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine.

La déportation d'enfants ukrainiens par les Russes en fait-elle partie?
Absolument. Au moins 10 000 enfants ont été séparés de leurs parents dans des «camps de filtration» ou transférés d'orphelinats et de foyers ukrainiens vers la Russie. Là-bas, ils sont placés dans des institutions ou adoptés par des familles russes. Le fait que des enfants soient privés de leurs parents et reçoivent un nouveau nom et un nouveau passeport fait partie d'une pratique génocidaire. Et c'est cruel pour les enfants.

Dans votre livre, on peut lire que la principale différence entre Poutine et Hitler réside dans le fait que les nazis ont organisé un mouvement de masse. A part cela, la comparaison est-elle pertinente?
La comparaison avec Staline est plus pertinente. Poutine le glorifie de plus en plus. Il en va de même pour la «Grande guerre patriotique», comme on appelle la Seconde Guerre mondiale en Russie. Le peuple «immortel et invincible» est glorifié. A Saint-Pétersbourg, des portraits géants de vétérans de la guerre mondiale ont été accrochés sur les façades des maisons. L'honneur de mourir pour la patrie est presque célébré comme un culte de la mort.

Ça a l'air d'un système totalitaire.
Le système Poutine n'est encore que partiellement totalitaire; je le qualifierais plutôt d'autocratique.

«Le fait est qu'il existe de nombreuses similitudes entre Poutine et Staline. Non seulement la glorification de la guerre, mais aussi par exemple, la paranoïa généralisée, la peur d'un attentat contre sa propre personne»

Mais la clique de Poutine n'est pas la seule à faire preuve de nationalisme. Des propagandistes à la télévision tiennent le même discours. Et le public acquiesce et applaudit, célébrant Poutine lors de ses apparitions, ce qui ne semble que partiellement être une mise en scène.
C'est vrai, les régimes autocratiques ne se maintiennent pas au pouvoir uniquement par la terreur d'Etat, ils ont aussi besoin d'un certain soutien populaire.

...encouragé par la propagande de l'Etat.
La manipulation a lieu depuis des années dans les émissions-débats et autres émissions, accompagnée de films patriotiques et de concerts de masse de chansons «patriotiques». Beaucoup de gens croient désormais aux chimères sur la nécessité de «dénazifier» l'Ukraine. Depuis la troisième élection de Poutine en 2012 surtout, on assiste à une véritable «zombification» de la société russe. On suit le discours officiel comme un zombie.

L'Europe occidentale a-t-elle refoulé ce discours ainsi que la manipulation de masse en Russie jusqu'au déclenchement de la guerre en Ukraine?
Sans aucun doute. Nous voulions tous croire que la Russie était redevenue un pays normal après la chute de l'Union soviétique. Lorsque Poutine a dit qu'il allait rendre sa «grandeur» à son pays, nous n'avons pas vu à quel point cette annonce était dangereuse. Nous lui avons pardonné lorsqu'il a harcelé la Tchétchénie, et aussi lorsqu'il a poussé la Géorgie à la guerre. Seule l'admission de la Géorgie dans l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) aurait sans doute empêché Poutine de mettre ses plans à exécution.

Sur quoi fondez-vous cette hypothèse?
Ce n'est qu'après que Poutine a commencé à réformer son armée et à militariser la société jusque dans l'enseignement scolaire. Aujourd'hui, nous savons qu'il utilise également le gaz comme arme.

«Mais les Allemands n'ont jamais voulu voir cela. Ils pensaient qu'avec Poutine, il ne s'agissait que de commerce et d'économie»

Votre livre retrace en détail la manière dont Moscou a instrumentalisé l'«Ostpolitik» allemande.
L'Ostpolitik de Berlin visait d'abord la réunification de l'Allemagne, ce qui était un objectif tout à fait légitime. Mais par la suite, Berlin n'a pas voulu voir que Poutine ne s'intéressait pas seulement aux relations économiques. Il n'a pas seulement rallié Gerhard Schröder à sa cause, mais aussi des centaines voire des milliers d'hommes politiques, de fonctionnaires et d'industriels allemands.

Les dirigeants allemands étaient-ils naïfs?
Plutôt: aveugle. L'Allemagne s'est efficacement dénazifiée mais elle a conservé un très fort sentiment de culpabilité envers la Russie. C'est pourquoi les Allemands éprouvent tant de difficultés à livrer des armes à l'adversaire militaire des Russes. Ils oublient que la Russie est loin d'être le seul héritier de l'Union soviétique. La Biélorussie et l'Ukraine ont également souffert de l'invasion de la Wehrmacht. Ils sont toutefois restés une sorte de tache blanche pour l'Ostpolitik allemande. Pourtant, l'Allemagne aurait une responsabilité tout aussi grande envers l'Ukraine depuis la domination nazie.

Il n'est pas étonnant que l'ultradroite en Europe occidentale, l'Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, Le Pen en France, «comprenne» Poutine. Mais pourquoi les bourgeois raisonnables et les conservateurs pensent-ils aussi, de manière isolée, de la sorte?
Ils suivent trop le réalisme politique et ils pensent que l'Ukraine est loin, même pas dans l'Union européenne (UE) ou l'Otan. Mais c'est surtout l'influence russe qui agit. La propagande russe présente l'Ukraine comme un Etat nazi. Schröder n'est pas le seul à soutenir Poutine. En France, c'est le cas de l'ex-premier ministre François Fillon ou de l'ex-président Nicolas Sarkozy qui aurait reçu 300 000 euros pour sa proximité avec Poutine, comme l'a rapporté ces jours-ci le portail d'information Mediapart. A Paris, de nombreux anciens gaullistes pensent comme Charles de Gaulle autrefois, qui se sentait presque plus proche de l'Union soviétique que des Etats-Unis. A l'origine, il y a deux courants de base forts: à Berlin, comme nous l'avons dit, le sentiment de culpabilité, à Paris l'anti-américanisme.

Comment évaluez-vous la position d'Emmanuel Macron? Le président français souhaite la victoire de l'Ukraine, il lui envoie d'ailleurs depuis peu des véhicules blindés légers. Mais il veut aussi participer à la recherche d'une solution de paix et jouer un rôle de médiateur.

«C'est pourquoi il dit qu'il ne faut pas humilier la Russie»

La Suisse reste neutre dans le conflit. Comprenez-vous cette position?
Historiquement, la Suisse a toujours adopté une position neutre. En revanche, elle fournit une aide humanitaire, ce qui est également important. La livraison d'armes supposerait un changement de mentalité, et je ne suis pas sûr que les Suisses y soient prêts actuellement. La question est de savoir si la Suisse peut rester neutre si les atrocités de la guerre continuent d'être commises par l'agresseur.

Certains politiciens et journalistes d'opinion suisses cachent leur sympathie pour Poutine derrière le principe de neutralité.
De tels cas existent aussi ailleurs. La plupart de ces hommes politiques n'ont pas le courage d'assumer leur soutien à Poutine et disent qu'il ne faut pas livrer d'armes à l'Ukraine. Selon eux, il faudrait également négocier avec Poutine sur la base de la situation actuelle, ce qui signifierait que la Russie pourrait conserver ses territoires occupés en violation du droit international.

Quel avenir prédisez-vous à Poutine?
Je ne crois pas à une chute rapide de son régime, même s'il est basé sur le mensonge. La police et l'armée lui restent provisoirement fidèles.

«Des dirigeants comme Poutine ou même Alexandre Loukachenko sont très difficiles à destituer»

Des partisans comme Evgueni Prigojine, le fondateur de l'armée privée Wagner, pourraient-ils succéder à Poutine? Prigojine n'a pas l'étoffe d'un chef d'Etat, il n'est qu'un simple «Opritchnik», comme on appelait les sbires et les bourreaux sous Ivan le Terrible. C'est déjà assez grave: la bande criminelle des mercenaires de Wagner, qui se compose également de prisonniers libérés, est honorée de médailles en Russie.

«Il faut se l'imaginer: les détenus sont célébrés en Russie comme une unité d'élite!»

Peut-on négocier avec Poutine?
Non, il n'y a rien à négocier avec Poutine tant qu'il occupe un pays voisin souverain. Après, oui. Mais pour l'instant, il s'agit d'une lutte pour l'indépendance d'un pays et aussi pour notre liberté.

(aargauerzeitung.ch)

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