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Pénurie d'obus: «L'armée ukrainienne risque de s'effondrer»

epa11016118 Ukrainian servicemen of the 22nd Mechanized Brigade operate a Soviet-era D-44 85-mm artillery gun at their position near the frontline city of Bakhmut, eastern Ukraine, 07 December 2023. R ...
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«Cela signifierait l'effondrement de l'Ukraine et la fin de la guerre»

Le manque de munitions devient de plus en plus problématique pour les forces ukrainiennes, confrontées à une intensification des attaques russes. Même le président Zelensky a reconnu le problème. Si rien ne change, estime un spécialiste, les conséquences pour Kiev risquent d'être catastrophiques.
09.04.2024, 05:5209.04.2024, 10:01
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La situation sur le champ de bataille est de plus en plus délicate pour l'Ukraine. En cause, une pénurie de munitions qui semble avoir atteint un niveau critique. Le pays ne dispose tout simplement plus d'assez de munitions pour lancer et soutenir une nouvelle contre-offensive, a affirmé sans détour le président Volodymyr Zelensky dans une interview publiée samedi.

Pire. Kiev ne serait pas en mesure de perturber ses adversaires, les empêchant ainsi de lancer de nouvelles opérations de grande envergure. Parallèlement, les Russes multiplient les assauts mécanisés. Le commandant en chef de l'armée ukrainienne a évoqué une «situation particulièrement difficile» à l'est de Tchassiv Yar et à l'ouest d'Avdiivka, dans la région de Donetsk.

Qu'est-ce que cela signifie pour l'Ukraine? Nous avons posé la question à Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse.

Zelensky a publiquement affirmé que l'Ukraine n'a pas suffisamment de munitions pour lancer une offensive ni contrer les forces russes. Qu'est-ce que cela implique?
Julien Grand: Le manque de munitions force l'armée ukrainienne à rationner sa consommation d'obus pour être en mesure de tenir dans la durée. Sur le court terme, cela signifie que le flux logistique des munitions peut s'arrêter pendant quelques jours. Cette situation obligerait les forces ukrainiennes à arrêter leurs opérations offensives, voire à devoir reculer.

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Que va-t-il se passer alors?
Kiev devrait passer à des techniques de guérilla. C'est quelque chose qui a marché au tout début de l'invasion et qui a permis aux Ukrainiens de perturber leurs adversaires avant que leur armée ne soit capable de se réorganiser. Pourtant, aujourd'hui, cela signifierait l'effondrement de l'armée ukrainienne et la fin de la guerre. C'est une situation très sérieuse pour l'Ukraine.

Combien de temps l'Ukraine peut-elle encore tenir?
C'est difficile à dire. Le pays est parvenu à relancer une production nationale de munitions, mais cela ne lui permettra pas de combler son retard vis-à-vis des Russes.

«Si rien ne change à ce niveau, Kiev pourrait devoir cesser de se battre d'ici une année et demie au plus tard»

Et qu'en est-il des réserves des Européens?
La situation est également problématique. Les dirigeants européens ont affirmé à plusieurs reprises vouloir monter en puissance leurs réserves de munitions, mais cet engagement est resté, pour l'instant, lettre morte. Sans de nouvelles usines, il est impossible de réaliser de tels objectifs. C'est pour cette raison que l'aide américaine, toujours bloquée au Congrès, revêt une importance vitale pour l'Ukraine. Une large partie de cette enveloppe est consacrée aux munitions. Les Etats-Unis sont le seul pays actuellement en mesure de produire autant d'obus que la Russie.

Quelle est la situation du côté russe?
Selon les estimations les plus favorables, les Russes ne tirent que les munitions qu'ils achètent à l'Iran et à la Corée du Nord. Tout ce que le pays produit part en réserve. En vérité, Moscou doit probablement puiser dans ses stocks, mais une chose est sûre: les sanctions n'ont pas limité sa disponibilité de munitions.

La Russie serait-elle en mesure de lancer une vaste offensive?
Un scénario est évoqué par les renseignements depuis le début de l'année: la Russie aurait réussi à reformer ses réserves et disposerait de 50 000 à 100 000 hommes prêts à partir au combat. On parle d'une vaste attaque lancée depuis la Biélorussie ou la région de Belgorod. A mon avis, il faut prendre ces prévisions avec des pincettes. Une telle opération demande une grande préparation, ce qui ne passe pas inaperçu.

«Pourtant, si l'Ukraine continue de s'affaiblir et la Russie continue de monter en puissance, il y aura sûrement des offensives russes, encore cette année. La question est de savoir quelle sera leur ampleur»

Les dirigeants ukrainiens parlent surtout des armes, mais le pays est également confronté par un manque de soldats...
Le problème numéro un est la munition. Sans munitions, il n'est pas possible d'engager les hommes. Il faut également considérer que le manque de soldats est un problème interne à l'Ukraine, que les alliés occidentaux ne peuvent pas résoudre. L'Europe et les Etats-Unis peuvent fournir des équipements, mais pas des hommes. Pour cette raison, ce sujet ne fait pas partie de la communication ukrainienne.

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Quelles sont les solutions?
La solution du problème passe par l'obligation de servir, ce qui est problématique pour Zelensky. Il s'agit d'un sujet tabou et politiquement délicat. Obliger les gens à partir au combat est une mesure extrêmement impopulaire. Jusqu'à présent, les Ukrainiens ont réussi à trouver des volontaires, mais l'âge moyen au sein de l'armée a dépassé les 40 ans. Sur le long terme, cela va devenir de plus en plus problématique.

Présenter la situation sous un jour défavorable est-il une stratégie de la part de Zelensky?
Oui. En Occident, le soutien à l'Ukraine est devenu un sujet sensible. Alors que l'opinion publique se détourne du conflit, les partis extrémistes en font un argument politique, que les partis au pouvoir sont obligés à prendre en considération. Zelensky a un seul moyen pour convaincre les pays occidentaux: présenter la défaite de l'Ukraine comme une défaite de l'Europe. Et il n'a pas totalement tort.

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Zelensky parle également beaucoup des F-16. Quel rôle pourraient-ils jouer?
Tout dépend du nombre des avions envoyés. Ils pourraient faire la différence dans l'espace aérien et aider les Ukrainiens à reprendre le contrôle des airs. Pourtant, les jets ne vont pas résoudre la pénurie de munitions d'artillerie. Pire, ils risquent de reproduire le même problème: pendant la campagne de Libye, par exemple, l'armée de l'air française a tiré en dix jours l'équivalent de ¾ de ses réserves de munitions. Les F-16 ne vont donc pas sauver le pays.

Comment envisager la suite?
Si l'Ukraine obtient tout ce qu'elle demande, elle pourrait stabiliser le front et réaliser quelques gains territoriaux limités. Mais cela ne suffira pas pour reprendre l'initiative et chasser les Russes de son territoire.

«Pour ce faire, Kiev aurait besoin de mobiliser 20 à 25 000 hommes. Et cela est très compliqué, même si elle dispose du matériel nécessaire»

Il est peut-être temps pour Zelensky de revenir à des objectifs plus réalistes: réaliser quelques victoires locales et, à terme, s'asseoir à la table des négociations. Les Russes peuvent jouer le temps et la taille des deux pays fait que, en fin de compte, l'Ukraine sera du côté des perdants.

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