Pourquoi l'Allemagne galère à avoir l'armée la plus puissante d'Europe?
Transformer la Bundeswehr en «l'armée la plus puissante d’Europe», c’est la promesse faite par le chancelier Friedrich Merz après son entrée en fonction au printemps. Il y a encore quelques décennies, une telle déclaration aurait semé l’inquiétude parmi les voisins de l’Allemagne. Aujourd’hui, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle paraît presque naturelle.
L’offensive de Vladimir Poutine a dissipé les illusions de paix durable sur le continent.
Mais la réalité rattrape Berlin. L’objectif affiché par le gouvernement – augmenter les effectifs de la Bundeswehr de 180 000 à 260 000 soldats actifs – semble de plus en plus irréaliste. Tous s’accordent sur un point: la suspension du service militaire obligatoire en 2011 était une erreur, et il faut désormais le rétablir. Reste à savoir comment.
Cette semaine, la coalition entre la CDU/CSU et le SPD a même annulé une conférence de presse prévue pour présenter un plan commun, signe de fortes divergences internes.
Recruter par tirage au sort
Le gouvernement prévoit dès l’an prochain d’envoyer un questionnaire à tous les jeunes de 18 ans, hommes et femmes, pour leur demander s’ils sont prêts à effectuer un service armé. Pour les hommes, répondre sera obligatoire; pour les femmes, facultatif.
Mais que se passera-t-il si trop peu de jeunes se déclarent volontaires? Selon les informations révélées ces derniers jours, le gouvernement envisage un tirage au sort parmi les hommes, afin d’en désigner un certain nombre pour la sélection médicale.
Ce projet a provoqué un vif débat. Les conservateurs de la CDU et de la CSU y sont favorables, tandis que les sociaux-démocrates se montrent réticents. Pour beaucoup d’Allemands, l’idée que le sort puisse décider qui partira à la guerre a quelque chose de choquant.
Un élu du parti de gauche Die Linke est même allé jusqu’à comparer la proposition à «Hunger Games», la série de films dystopiques où des adolescents sont tirés au sort pour s’affronter jusqu’à la mort.
L’idée n’est pourtant pas inédite: le Danemark applique déjà ce système pour sa conscription, et prévoit d’en étendre prochainement l’usage aux femmes.
Un désaccord qui fragilise la coalition
A Berlin, cette mésentente est largement attribuée au ministre de la Défense, Boris Pistorius. Le social-démocrate préférerait faire passer tous les jeunes hommes par la visite médicale obligatoire. La majorité de son parti continue toutefois de plaider pour un système basé sur le volontariat.
Même le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, également membre du SPD, a pris ses distances. Il dit préférer une obligation de service universel, pour hommes et femmes, sans se limiter à la défense.
La presse berlinoise parle déjà de crise de coalition. Il y a encore deux ans, à son arrivée au ministère en janvier 2023, Boris Pistorius était salué comme l’homme providentiel capable de moderniser une armée à bout de souffle. Aujourd’hui, même s’il demeure le politicien le plus populaire du pays, le vent commence à tourner.
Le ministre relativise: «Nous allons simplement poursuivre la discussion. Il reste du temps pour parvenir à un accord», assure-t-il. Le chancelier Friedrich Merz, pour sa part, a bien réaffirmé jeudi au parlement allemand la nécessité d’une «force militaire crédible», sans mentionner la querelle interne.
Si le modèle du tirage au sort devait voir le jour, les jeunes hommes désignés et jugés aptes, lors de la sélection médicale, pourraient toutefois refuser le service armé, à condition d’invoquer une objection de conscience. Ils seraient alors tenus d’effectuer un service civil de remplacement, par exemple dans un hôpital ou une institution sociale – un dispositif déjà en vigueur à l’époque où tous les jeunes hommes d’une même classe d’âge étaient convoqués à la visite médicale. (aargauerzeitung.ch)
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder
