Régner sur un pays induit quelques bénéfices. Des trucs super dont vous et moi, petit peuple, ne profitons pas. Au-delà de la demi-douzaine de châteaux et de la couronne (une vraie, hein, pas celle en carton que se disputent vos mioches à corps et cris, après avoir massacré la galette des Rois), la fonction comporte un avantage certain: ne jamais avoir à s'inscrire au chômage. Que vous soyez incompétent, dépravé ou à moitié ravagé par la consanguinité, qu'importe! Vous ne pouvez pas être viré. La seule voie de sortie est la mort. Ou, plus rarement, l'abdication.
C'est la voie royale que s'est choisie Margrethe II pour sa retraite, la semaine passée. Minée par des problèmes de dos et la perspective d'une monarchie encroûtée, la reine du Danemark, 83 ans, a courageusement décidé de céder le trône à son fils, le prince héritier Frederik, 55 ans. Un choix largement salué. Si bien que, sitôt la surprise passée, tous les regards se sont tournés vers ses nobles voisins: Margrethe allait-elle inspirer d'autres monarques vieillissants?
Il faut admettre que l'Europe compte encore suffisamment de vieux rois pour ouvrir une maison de retraite royale. A commencer par Harald V de Norvège, 86 ans et 33 ans de règne au compteur, qui a déjà fait savoir qu'il préférait crever la bouche ouverte plutôt que de refiler sa couronne. Citons également Carl XVI Gustave de Suède, 77 ans et un demi-siècle de règne dans les rotules.
Ce qui est loin d'être le cas de notre Charles III. L'éternel héritier a patienté 74 ans avant d'accéder à la charge suprême, en 2022. Lui qui ne goûte aux plaisirs de son nouveau job que depuis 16 petits mois, se voit déjà poussé à annoncer sa date de sortie.
«Le roi Charles devrait suivre l'exemple du Danemark et nous dire quand il abdiquera», titrait notamment le Guardian avec empressement, dans la foulée de l'annonce danoise. Un appel auquel l'ancien député travailliste Stephen Pound a renchéri sur la chaîne GB News:
Pas sûr que le souverain applique ces sages recommandations de sitôt. Après avoir trépigné si longtemps, le «tout jeune» monarque, qui ne montre encore aucun signe de vieillissement, compte encore profiter un peu. Ses premiers mois de règne ont prouvé à quel point Charles se plaît dans sa nouvelle position.
Et les chiffres lui donnent raison. Un an après le début de son règne, le monarque n'a jamais été si populaire: 60% d'opinion favorable, selon un sondage YouGov. Inespéré, en comparaison avec les quelque 35% dont le prince était gratifié avant la mort d'Elizabeth. Il serait donc assez malvenu de remercier ses bons et loyaux sujets, en démissionnant si tôt après son couronnement - qui a coûté pas moins de 100 millions de livres sterling au contribuable.
Abdiquer n'a pas la même portée dans toutes les familles régnantes d'Europe. Si ce mot ne fait plus peur aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne, voire même au Vatican, qui ont toutes connu leur démission au cours des dix dernières années; au Royaume-Uni, il ravive encore des souvenirs douloureux.
Plutôt qu'une démonstration de pragmatisme, un regain d'énergie ou une nouvelle ère de modernité, cette idée laisse un goût d'instabilité et de désordre institutionnel. Ce fut le cas lors de la dernière abdication, en 1936. Lorsque le jeune roi Edouard VIII sema la pagaille et la panique en cédant la couronne à son frère cadet, pour épouser l'élue de son cœur, Wallis Simpson, une Américaine maintes fois divorcée. Un tremblement de terre pour la Firme. Un désastre aux yeux de l'opinion publique.
Un traumatisme national et familial qui marquera durablement sa nièce, la future reine Elizabeth II. Si bien qu'elle s'accrochera fermement à son trône pendant 70 ans. Malgré l'âge avançant et les aléas de santé, il n'a jamais été question pour Elizabeth de se retirer avant son décès. Son exemple, forcément, a marqué Charles dans sa vision du pouvoir.
Toutefois, il est un membre de la Firme qui ne tremble pas à la perspective d'une abdication. Le fils du principal intéressé. Hors de question pour William, 41 ans, de croupir dans le rôle du sempiternel héritier, comme son père. Bien qu'il doive peut-être patienter encore 20 ans, le prince de Galles, très investi dans son rôle, se trouve déjà dans les starting-blocks. Prêt à sauter sur la couronne dès que papounet montrera les premières signes de lassitude.
Dans son dernier livre consacré aux luttes de pouvoir intestines chez les Windsor, le chroniqueur royal Omid Scobie allègue que le prince et son épouse Kate comptent chaque minute qui les sépare de leur propre couronnement. Quitte à frôler le conflit d'intérêts avec l'actuel souverain.
D'autres sources avancent que William, bien qu'il s'attende à prendre de plus en plus de poids au sein de l'institution à mesure que son père vieillit, n'est pas aussi pressé. «William et Catherine ont trois enfants de moins de 11 ans, c'est donc vraiment leur priorité en ce moment», rappelle un ami du couple au Daily Beast. Aussi longtemps que son père sera assis sur le trône, le prince pourra se consacrer à sa progéniture et la protéger des répercussions de son rôle futur sur leur vie.
Tant qu'il est en bonne santé et que ses petits-enfants grandissent, il semble donc peu probable que le roi pose sa dém' dans les prochains mois. Tout en restant certainement conscient que traîner la patte n'aura rien de bénéfique pour l'institution.
«Le meilleur espoir de survie à long terme est que Charles ait l'humilité d'abdiquer, peut-être à l'occasion de son 80e anniversaire, et devienne un vieux sage, un roi émérite», soulignait il y a quelques mois déjà l'éditorialiste du Times, Camille Long.
Le destin fera le reste.