Le comptable «maudit» du prince Albert de Monaco déballe tout
Lorsqu'il a pris la place de son père, en 2000, au poste d'«administrateur des biens» de la famille souveraine de Monaco, Claude Palmero était encore à des années de se douter qu'il deviendrait persona non grata sur le Rocher. Pourtant! Le voilà, 23 ans plus tard, «déchu, renié et même maudit», et accusé de malversations financières. Surtout, il est prêt à montrer à ses anciens employeurs de quel bois se chauffe cet influent personnage.
«Influent», le mot n'est pas galvaudé pour Claude Palmero, 67 ans. Car derrière son titre apparemment inoffensif de «gestionnaire immobilier», l'homme a eu un accès et un pouvoir de décision sur presque tous les secrets du palais de Monaco: les comptes, les arrangements financiers, l'attribution des rentes, la surveillance des projets immobiliers, l'arbitrage des chamailleries financières familiales, la gestion des sociétés offshore et celle des comptes en Suisse. Si bien - ou plutôt, si mal selon les Grimaldi - qu'il est aujourd'hui accusé d'avoir laissé les finances royales dans un état «catastrophique».
Expulsé manu militari de son petit bureau par le prince, le 6 juin 2023, l'éminence grise du palais n'a pas oublié d'emporter avec lui ses cinq épais carnets de notes sous le bras. Des comptes-rendus ultra-détaillés de ses activités, audiences avec le prince, fonctionnement interne et dépenses de la famille régnante, consignés avec une maniaquerie de comptable tout au long de ses années de service. Le tout agrémenté, pour pimenter tout ça, de ses réflexions personnelles. Un contenu potentiellement «explosif» auquel Le Monde, qui s'est entretenu à plusieurs reprises avec l'ex-comptable influent, a pu avoir accès. Les résultats de leur décorticage ont été publiés ce lundi.
Un prince Albert faible et trop généreux
Une chose est sûre, le prince Albert ne ressort pas vraiment grandi du récit de son ancien employé. Son Altesse sérénissime apparaît surtout comme un petit prince faiblard, malmené par les caprices des femmes qui l'entourent - de ses deux sœurs, Stéphanie et Caroline, à son épouse Charlene, en passant par les mamans de ses deux enfants illégitimes, nés avant son mariage.
A en croire Claude Palmero, sitôt entré en fonction, le voilà déjà à se dépatouiller avec l'épineux dossier de la marmaille illégitime. Au prix d'intenses négociations et de concessions financières, un accord est finalement conclu au début des années 2000. A défaut de pouvoir prétendre à la couronne, Jazmin et Alexandre seront au moins officiellement reconnus par leur père biologique. Sans oublier de figurer en bonne place sur son héritage.
Les maux de tête du comptable ne s'arrêteront pas là. Alors qu'il se voit bien obligé d'accorder à Jazmin Grace Grimaldi, 31 ans, fruit de la liaison entre Albert et une ancienne serveuse américaine, 86 000 dollars tous les trois mois, il y a aussi les cadeaux d'anniversaire (5000 dollars pour son 18e anniversaire) puis, quelques années plus tard, le pied-à-terre à New York de 3 millions de dollars.
Même son de cloche du côté d'Alexandre Grimaldi, 20 ans, fils d'Albert et de Nicole Coste, ex-hôtesse de l'air franco-togolaise. Entre l'assurance antikidnapping du fiston et un soutien financier à la jeune entreprise de mode de la maman, «on est sur une tendance d'un million d’euros par an !!», s'étrangle Claude Palmero dans une note manuscrite, en 2015.
Entre deux exigences des anciennes amours du prince Albert, son gestionnaire doit aussi dealer avec celles de son entourage. De ses deux sœurs à ses neveux et nièces, en passant par sa femme ou encore certains «amis» très intéressés. Prenez les princesses Stéphanie et Caroline, par exemple. Lorsque Claude Palmero ne court pas après Ses Altesses, qui utilisent des joyaux de la couronne comme accessoires de mode personnels, ce serviteur dévoué affirme avoir dû leur servir de «prête-nom» pour l'achat de biens immobiliers luxueux en France. Selon lui, au nez et à la barbe du fisc, évidemment.
Du côté de Charlene, ce n'est pas plus simple. L'épouse du prince Albert, qui aurait officiellement perçu un total de 7,5 millions d'euros au cours des huit années qui ont suivi leur mariage en 2011, en aurait en fait dépensé... environ 15 millions. Sans parler des menues dépenses ici et là. 77 000 euros, 200 000 euros, 5000 euros en liquide... Sans oublier un petit million d'euros nécessaire pour redécorer le bureau de l'ancienne athlète olympique... ou les 300 euros par jour de salaire que demande son chef cuisinier personnel.
Comme si ces accusations d'irrégularité ne suffisaient pas, des immigrés clandestins, notamment en provenance des Philippines, auraient figuré parmi les nounous et les employés de maison du palais princier.
Ah, en fait, ça ne suffisait pas! Après Le Monde, au tour du journal Libération de publier, mardi, ses échanges avec l'ancien comptable déchu. L'intéressé jure à nos confrères que, sur une fortune princière estimée à 2 milliards d’euros, 258 millions auraient trouvé refuge dans des paradis fiscaux, à travers une centaine de coquilles offshore immatriculées au Panama, possédant in fine des comptes en Suisse. Vous voyez le bazar?
Cet exil offshore, toutefois, ne se justifierait pas tant pour des raisons fiscales (la famille princière paie déjà peu, voire pas du tout d'impôts), que par souci de discrétion. Gros propriétaire immobilier sur le Rocher, les Grimaldi n'apprécient guère de faire étalage de leurs dépenses devant leurs sujets, selon Libération.
Une affaire d'Etat
Depuis la publication des articles sur la délicate «affaire Palmero» dans la presse française, du côté du palais princier, c'est fermeté et démentis. La famille Grimaldi a intenté une action en justice contre son ancien employé, après la découverte des irrégularités dans les comptes du palais. L'avocat du prince Albert, Me Jean-Michel Darrois, a également pris soin de réfuter, point par point, les accusations de Claude Palmero.
L'intéressé, qui nie tout acte répréhensible, a porté plainte pour licenciement abusif et harcèlement. «Je n’ai jamais pris un centime», proteste-t-il dans les pages du Monde. C’est une dénégation à 100%».
Un audit au long cours est en route, mais le sujet est si sensible qu'il ne risque pas d’être publié prochainement. Dans l'intervalle, ce passionnant thriller politico-royal menace de se transformer en véritable affaire d’Etat.
