D'un côté, il y a des blindés ukrainiens qui traversent le Dniepr et tiennent la position de la ville âprement disputée d'Avdiïvka. De l'autre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui prépare son gouvernement aux négociations d'adhésion à l'UE.
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Tout va bien pour l'Ukraine, pourrait-on penser. Mais selon Nikita Gerasimov, observateur du conflit à l'Université libre de Berlin, cinq problèmes majeurs attendent Zelensky. Enjeux et perspectives.
Des kilomètres de tranchées, de la boue, du sang, une attente interminable jusqu'au prochain combat, les années qui passent. Ceux qui ont bien suivi en cours d'histoire se rappellent la guerre de position pendant la Première Guerre mondiale.
Selon lui, les deux camps remportent tout au plus de petits succès locaux. Mais au prix de pertes énormes, sans commune mesure avec les mètres carrés conquis.
«De nombreux endroits changent de main en permanence, car aucun des deux camps ne parvient à s'installer. L'impasse vient surtout d'une domination des moyens défensifs sur les capacités offensives», explique-t-il. En effet, de chaque côté, les lignes défensives sont échelonnées et massivement développées alors que les capacités offensives s'avèrent, elles, insuffisantes pour réaliser des percées importantes.
Et c'est là que la Russie et ses soldats plus nombreux prennent l'avantage. Mais l'armée ukrainienne ne s'avoue pas vaincue pour autant.
Selon l'expert, Kiev pourrait bénéficier d'un approvisionnement en matériel technique, car elle a en théorie tout le bloc militaire occidental derrière elle – à condition que la volonté politique demeure. Car c'est là que le bât blesse actuellement, surtout aux Etats-Unis.
«Les présidentielles américaines de 2024, qui approchent à grands pas, pourraient justement être décisives pour savoir si l'Occident peut et veut maintenir son soutien technique», explique Gerasimov. Selon lui, une longue guerre de position présente globalement de plus grands dangers pour l'Ukraine, dont la destruction du territoire s'accentue de semaine en semaine.
L'Ukraine est désormais considérée comme «le plus grand champ de mines» du monde. Aujourd'hui, environ 40% de la surface totale du pays serait minée, explique le premier ministre ukrainien Denys Schmyhal. «Les soldats des deux camps décrivent les champs de mines comme la plus grande des horreurs», estime Gerasimov.
Un endroit où la mort se cache sous nos pieds, invisible. Et l'observateur de conflits de mentionner des cas où des unités entières ont péri dans les champs de mines et où des soldats y sont tombés les uns après les autres.
Le problème principal serait l'étendue des champs de mines. Sur certains tronçons, ils atteindraient 20 kilomètres de large. Même les systèmes de déminage modernes ne parviennent à dégager des couloirs que sur quelques centaines de mètres à la fois, explique Gerasimov. Il est donc de facto impossible de franchir un champ de mines de façon efficace et rapide. Cela a aussi considérablement joué sur l'offensive ukrainienne.
Le début de la mauvaise saison est imminent. En Europe de l'Est, elle est connue sous le nom de «Raspoutitsa». Pour Gerasimov, elle accentue d'autant plus l'effet de la guerre de position. «Le matériel lourd s'enfonce dans la boue. Les colonnes de chars restent bloquées au milieu des champs détrempés et deviennent la cible de l'artillerie et des drones», poursuit-il. Les opérations offensives en profondeur deviennent ainsi encore plus difficiles, voire impossibles.
Les capacités de production militaires fonctionnent déjà à leur limite et n'arrivent pas à donner le change, tant en Russie qu'en Ukraine et en Occident, estime Gerasimov. Les stocks sont vides. Le réapprovisionnement ne suit pas.
Selon lui, une préparation suffisante de l'artillerie pour les grandes opérations n'est presque plus possible ou doit être soigneusement anticipée pour chaque action. Selon l'expert, les lignes de production pourraient théoriquement se multiplier, mais elles se heurteraient selon les pays à la volonté politique ou aux possibilités économiques.
Il affirme:
Les avions de transport américains sont déjà détournés vers Israël au lieu de voler vers l'Ukraine. Aux Etats-Unis, on craint en outre un éventuel conflit sino-taïwanais à moyen terme, qui accaparerait d'autres capacités militaires. En d'autres termes, le besoin de munitions ne devrait ni décroître ni être satisfait dans un avenir proche.
Depuis plus de 20 mois, l'Ukraine se défend contre la Russie. Jusqu'à présent, les dirigeants de Kiev ont toujours paru unis. Mais les rumeurs sur un possible conflit entre le gouvernement et l'état-major vont bon train.
«Au cours des dernières semaines, celles-ci ont nettement gagné en substance», explique Gerasimov. Ainsi, les interviews respectives de Zelensky et du chef de l'armée Valerii Zaloujny alimentent la polémique. Leur appréciation de la guerre est «diamétralement opposée», selon l'expert.
Autrement dit, l'idéaliste optimiste Zelensky doit composer avec le réaliste pragmatique Zaloujny. L'un croit sans broncher au succès de l'offensive. L'autre est clair: il ne faut plus compter sur une nouvelle avancée. Selon Zaloujny, la guerre au sol s'est enlisée.
«A cela s'ajoutent des démissions au sein de l'état-major, des "accidents" suspects de hauts dignitaires de l'entourage de Zaloujny – différentes pièces du puzzle qui, rassemblées, pourraient révéler de grandes divergences à Kiev», explique Gerasimov.
Des divergences qui s'accroissent avec l'échec de l'offensive estivale, car en interne, la recherche du coupable de ce revers a probablement commencé.
Récemment, un proche conseiller du commandant en chef Zaloujny est décédé alors que l'un de ses cadeaux d'anniversaire a explosé. Le malheureux aurait pris les grenades pour des armes factices, dit-on. L'enquête se poursuit.
Une chose est sûre: selon Gerasimov, il n'existe pas de solution toute prête pour une victoire militaire rapide. Zaloujny aurait parlé d'une offensive technologique appuyée pour rompre l'équilibre militaire et apporter la victoire. Il reste toutefois à savoir comment concrétiser cette idée et véritablement prendre de l'avance sur la Russie, ajoute l'expert.
Pour lui, de nombreuses armes qualifiées de «game changers», qu'il s'agisse des lance-roquettes multiples Himars, des chars Leopard ou des missiles ATACMS, n'ont pas apporté la grande percée escomptée. «Les avions de combat F-16 occidentaux n'y parviendront pas non plus», prédit-il.
La conclusion de Gerasimov est la suivante: les circonstances mèneront inévitablement à des discussions préliminaires pour d'éventuelles négociations de paix. Selon les médias, ces négociations ont commencé en coulisses.
D'autres experts abondent dans ce sens en répétant que le soutien militaire actuel de l'Occident n'est pas suffisant pour une victoire. Ils reconnaissent aussi que l'Ukraine se trouve donc dans une «impasse».
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker