Versailles. Ses lumières. Ses jardins. Sa Galerie des Glaces. Ses rois. Ses reines. Ses bals. Un nom qui suffit à lui seul à évoquer le pouvoir, la richesse et la gloire. Un emblème de la monarchie tout désigné pour sortir petits plats et grandes assiettes en porcelaine en l'honneur de Charles III.
De passage par la France pour un voyage officiel, le roi d'Angleterre est-il seulement conscient des légendes qui entourent le château dans lequel il a été invité à dîner? Car il a beau regorger de moulures et de chandeliers, ce palais est aussi rempli d'anecdotes et de petits secrets nettement moins avouables, accumulés au fil de ses 400 ans d'existence.
Ça commençait fort. C’est en 1623 que le jeune roi Louis XIII envisage de se trouver une retraite pas loin de Paris, pour aller chasser cerfs, lièvres et sangliers. Un pavillon de chasse où Sa Majesté a le droit, lui aussi, d'être un peu cracra et de garder ses bottes à l'intérieur, sans une bonne femme (Anne d'Autriche) pour lui casser les pieds.
Le lieu est tout trouvé: ce sera Versailles, un village paumé au milieu des marécages à 2 heures de carrosse. «Le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux», résume en toute sobriété son contemporain, le mémorialiste Saint-Simon. Reste que Louis XIII restera, toute sa vie, très attaché à son modeste château.
A sa mort, à son fils, Louis XIV, d'hériter du refuge paternel. Sauf que le Roi ne serait pas «Soleil» s'il ne nourrissait pas quelques rêves de splendeur. Désireux d'étaler l'ampleur de sa magnificence à la face de l'Europe, le jeune souverain ambitieux et un brin mégalo se lance à son tour dans des travaux. De grande ampleur, ceux-ci. Exit la garçonnière de papa au fond des marais, bonjour le plus «beau palais royal du monde».
Les travaux vont vite. Très vite. Quitte à être un peu bâclés. Tant pis pour les finitions et la solidité, Son Altesse Royale réclame du rapide et du clinquant. Vingt ans après le début du chantier, à sa grande satisfaction, Louis XIV peut installer les milliers de personnes que compte sa Cour dans son nouvel écrin doré.
Un bijou rutilant, et surtout gigantesque. Une ville en soi. Jusqu'à 7000 personnes, nobles et domestiques confondus, grouillent toute la journée dans ses couloirs. Sauf que, entre deux festins et trois cérémonies officielles, ce beau monde s'ennuie royal. On comble les heures en mijotant son prochain coup politique, en ronronnant auprès de Sa Majesté ou en pariant à des jeux de hasard - la reine Marie-Antoinette, par exemple, aurait prolongé une partie plus de 36 heures.
On passe aussi le temps en s'adonnant à des activités physiques. A la cour, société très permissive où le libertinage est en vogue, la peau, les seins, les fesses fondantes et les bourrelets appétissants font partie du paysage visuel. Que ce soit en sculpture ou peinture, le sexe est partout.
Et le château ne manque pas de recoins propices à l'intimité. Chambres, boudoirs, bibliothèques, cabinets de billard, passages secrets et jardins. Même les bosquets d'arbustes imaginés par le jardinier du roi, André Le Nôtre, sont surnommés les «chambres vertes».
Dans le parc ou dans les bois environnants, la prostitution va bon train. Et ça ne plaît pas du tout au monarque absolu. Irrité à l’idée que ses jardins se transforment en lupanar naturel, Louis finit par faire interdire le racolage. Les contrevenantes s'exposent au fouet sur la place publique, leurs clients à voir leur nez et leurs oreilles tranchés.
Au milieu de ce joyeux «bordel à ciel ouvert», l'homosexualité n'est plus taboue. «La cour est devenue une petite Sodome», raconte le marquis de Sourches dans une lettre, en 1682. L'aristocrate ne croit pas si bien dire. Un club secret très particulier vient de voir le jour à la cour: la «confrérie italienne», société homosexuelle secrète qui rassemble parmi les plus grands seigneurs de l'entourage du souverain. Le scandale éclate. Louis XIV, évidemment, est furieux.
Dommage pour Son Altesse, mais son propre fils en est. Louis XIV est bien obligé de chasser cette progéniture indigne loin de Versailles. Le pauvre comte, pour tenter de se racheter aux yeux de son père, part au combat. Il mourra sur le front, sans jamais l'avoir revu.
Louis XIV aurait peut-être mieux fait de garder ses leçons de morale pour lui. Après tout, lui non plus n'est pas en odeur de sainteté, avec plus d'une douzaine de maîtresses connues à son actif. N'adore-t-il pas aller se «relaxer» en compagnie sa favorite, la marquise de Montespan, dans son spa personnel?
En effet. Jamais à court d'idées fantasques, Louis XIV s'est fait construire, pour son bon plaisir, son propre «appartement des bains». Une enfilade de pièces où l'on trouve tout à la fois sources d'eau froide et d’eau chaude, jets d'eau, et même une énorme baignoire de 1,2 mètre de profondeur. De quoi batifoler gaiement des heures avec la marquise!
Toutefois, n'allez pas croire que le Roi-Soleil sent bon pour autant. A l'époque, l'eau chaude fout les jetons et on évite de se mouiller. Pour se laver, on pratique la «toilette sèche»: on frotte les parties odorantes de son anatomie au moyen d’un linge imbibé d’alcool. Quant aux cheveux, on se contente de les dégraisser à l’aide de poudre parfumée.
Pas étonnant que Versailles traîne toujours sa légende crasse de puanteur. Sans oublier les effluves d'urine que peuvent humer les courtisans sous un escalier. Voire cet excrément «oublié» au détour d'un buisson... Ces incivilités ont même un nom: les «commissions occultes».
Le château a beau être pourvu de latrines publiques (des pots de chambre en argent dissimulés ici et là derrière un rideau), les toilettes sont tellement éloignées les unes des autres qu'elles ne suffisent pas toujours à répondre à temps un besoin urgent. Ce sont surtout les visiteurs occasionnels qui se retrouvent pris au dépourvu. Il faudra attendre le règne de Louis XV pour voir les appartements les plus chics équipés de toilettes «à l'anglaise», les fameuses chaises percées.
Justement, en parlant de ce bon vieux Louis XV! Avec une addiction pour le sexe qui n'a rien à envier à celle de son successeur, le souverain «viandard» et légèrement libidineux verra son surnom de «Bien-Aimé» remodelé pour celui «Mal-Aimé». Aujourd'hui, on va même parler de «sinistre individu qui serait sûrement en prison de nos jours» (les mots sont de l'historien Alain Dag'Naud).
La faute, sans doute, au penchant du roi pour les adolescentes. Plus commodes pour s'épargner les maladies vénériennes. Sa favorite, Madame de Pompadour, y est sans doute aussi pour quelque chose. Plus portée par le pouvoir que par le sexe, et pour s'épargner la peine d’une énième partie de jambes en l’air, la marquise a constitué un véritable harem de jeunes vierges, à quelques rues du château de Versailles, dans la maison de sinistre réputation du Parc-aux-cerfs.
Et ce serait oublier la toute dernière maîtresse officielle de Louis XV, cette chère Madame du Barry! La comtesse qui, pour sa part, est passée à la postérité pour les soupers très coquins organisés dans ses appartements. Le concept est simple: à chaque nouveau plat, les convives sont priés de retirer un vêtement et d’intervertir leurs partenaires. Un soir, la du Barry elle-même aurait été honorée par une «dizaine de gentilshommes».
Ce mercredi soir, alors qu'il est en train de mâchouiller sa volaille de Bresse aux cèpes dans la Galerie des Glaces, Charles III a-t-il conscience de ce sulfureux héritage? Au vu de la vie amoureuse trépidante du roi d'Angleterre, les anecdotes graveleuses dont recèle Versailles n'ont sans doute pas de quoi lui couper l'appétit.