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Un couple lesbien suisse fait deux enfants et l'idylle dégénère

Don de sperme, faux-semblants, adoption: les déboires d'un couple lesbien
Un bébé, deux mamans, et beaucoup de questions juridiques (image d'illustration).Image: Getty / Imago

Un couple lesbien suisse recourt au don de sperme et ça finit au tribunal

Deux femmes voulaient fonder ensemble la famille idéale. Mais leur amour a échoué. Elles se disputent désormais devant le Tribunal fédéral la garde des enfants. Une affaire qui fait jurisprudence.
25.06.2025, 16:5625.06.2025, 16:57
Andreas Maurer / ch media
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Leur fils n'est pas arrivé avec la cigogne, mais par FedEx. C'est ainsi qu'un couple de femmes de Lausanne racontait autrefois son histoire d'amour, lorsqu'elles s'exprimaient encore ensemble. Plus tard, une fille est venue agrandir la famille. Elles s'étaient rencontrées en 2013 via une application de rencontres. Ce qui les unissait avant tout, c'était leur désir d'enfant. Pour le reste, tout les opposait.

  • Gabriela, née en 1985, a suivi une formation commerciale. Elle est chanteuse d'un groupe de rock au son proche de celui de Nirvana. Selon un rapport des autorités, elle se laisse parfois emporter par ses émotions.
  • Sofia, née en 1986, est psychologue. D'après les documents judiciaires, elle serait facilement influençable. Son nom a été modifié, car, à la différence de son ex-compagne, elle ne souhaite plus apparaître publiquement.

Le Danemark, terre promise de la procréation

Dès l'année suivant leur première rencontre, les deux femmes ont commandé un don de sperme auprès de l'entreprise danoise Cryos, qui gère la plus grande banque de sperme au monde, et dont un tiers de la clientèle est composé de couples lesbiens. Le Danemark dispose de l'une des législations les plus libérales en la matière: même les femmes célibataires y ont accès au don de sperme. Le pays est ainsi devenu une destination de premier plan pour la procréation médicalement assistée.

La banque de sperme se trouve à proximité de l'université d'Aarhus, et de nombreux étudiants y arrondissent leurs fins de mois. Pour un échantillon de sperme de bonne qualité, ils reçoivent l'équivalent de 60 francs. Les acheteuses, elles, paient plusieurs centaines de francs pour le même échantillon.

De l'IA pour mieux choisir son donneur

Dans la base de données, de nombreux filtres les aident à trouver le donneur idéal: couleur des yeux, couleur des cheveux, taille, pointure, poids, niveau de formation, centres d'intérêt, enregistrement vocal, profil psychologique, photos d'enfance. L'intelligence artificielle permet aujourd'hui même de rechercher un donneur dont les traits du visage ressemblent à ceux de la receveuse. Il existe des donneurs anonymes, et d'autres qui acceptent de révéler leur identité, moyennant un supplément, bien sûr.

Voici à quoi ressemble un profil de donneur de sperme chez Cryos.
Voici à quoi ressemble un profil de donneur.Image: Cryos

En Suisse, les couples homosexuels ont accès à la procréation médicalement assistée seulement depuis l'introduction du mariage pour tous en 2022. Les dons de sperme anonymes restent toutefois interdits. De plus, ce sont les cliniques de fertilité qui choisissent le donneur, et non les receveuses. La majorité des patientes sont des couples de femmes.

La méthode «Do it yourself»

Gabriela et Sofia se sont fait inséminer avant cette période en choisissant un donneur anonyme. Pour contourner la loi suisse, elles ont fait livrer le colis FedEx chez des amis en France. Elles considéraient cet acte comme une forme de désobéissance civile dans leur lutte pour l'égalité des droits pour tous.

Outre le tube à essai, l'envoi en provenance du Danemark comprenait le matériel nécessaire à l'insémination à domicile. Le premier essai fut un succès: Gabriela est tombée enceinte et a donné naissance à un garçon en 2015 à Lausanne.

Les problèmes ont commencé à la naissance, car le bébé est arrivé prématurément et a dû être opéré puis suivi médicalement. Par la suite, Gabriela n'a pas réussi à allaiter. A l'hôpital, le couple a opté pour une solution peu commune: Sofia a déclenché sa production de lait grâce à un médicament. A leur grande surprise, cela a fonctionné.

Le début des ennuis

Très vite, Sofia a développé un lien plus étroit avec le fils biologique de sa partenaire, et l'enfant a commencé à présenter des troubles du comportement. En bas âge, il rejetait sa mère biologique et manifestait contre elle des excès de colère.

Gabriela a entamé par la suite des études de droit et y a consacré beaucoup de temps, raison pour laquelle c'est Sofia qui s'occupait principalement de leur enfant. La période difficile qui a suivi la naissance a conduit à leur rupture la même année, et elles ont continué à vivre sous le même toit, mais chacune dormait dans une chambre séparée.

Elles ont tenu à préserver leur famille, convaincues qu'elles étaient que leur amour pour les enfants serait suffisant pour sauver leur couple. Elles sont restées ensemble dans l'idée de fonder une famille nombreuse, et c'est dans cette optique qu'elles avaient acheté l'ensemble des six tubes à essai disponibles auprès de leur donneur. Ce stock était conservé dans un congélateur au Danemark, destiné à leur grand projet familial.

Un bonheur et une unité de façade

«Famille»: ce mot figurait toujours à l'entrée de leur maison, même après leur séparation. En public, elles souhaitaient continuer à incarner cette idée de la famille unie et idéale. Dans un article publié sur Swissinfo, elles avaient même mis en scène leur bonheur familial. Elles cachaient toutefois qu'elles s'étaient déjà éloignées l'une de l'autre. Elles affirmaient au contraire être une famille heureuse et comme les autres:

«Notre fils a deux mères et beaucoup d'amour. Et c'est l'amour qui fait la famille, peu importe sa composition»

Sur une photo, elles tenaient leur jeune enfant. Les mères étaient de profil, et leur fils, placé entre elles, regardait droit l'objectif en riant. Gabriela et Sofia fermaient les yeux et l'embrassaient chacune sur une joue, créant une image symbolique de la famille parfaite.

Elles ont dissimulé le fait que leur idéal familial s'était progressivement délité. A l'époque, toutes deux apparaissaient publiquement sous leur vrai nom. Depuis, Sofia a fait retirer les photos et son nom de la trame narrative de cette histoire d’amour.

Maintenir l'illusion du couple parfait à tout prix

Les deux femmes avaient jusque-là entretenu cette façade idyllique afin de pouvoir adopter mutuellement leurs enfants par la suite. Depuis 2018, les couples de même sexe ont en Suisse le droit à l'adoption, ce qui leur permet de devenir conjointement parents de l'enfant conçu avec le sperme du donneur. Dans leur demande d'adoption, Gabriela et Sofia ont faussement affirmé que leur relation était toujours intacte. En 2019, cela est devenu officiel: les deux femmes ont été reconnues légalement comme les mères de leur fils.

Elles avaient initialement prévu de procéder de la même manière avec leur deuxième enfant. Cette fois, c'était au tour de Sofia de se faire inséminer. Elle a commandé l'un des tubes à essai réservés au Danemark auprès de leur donneur, avec l'accord de Gabriela. Elle n'aimait certes plus Sofia, mais voulait avoir un autre enfant avec elle pour mener à bien leur projet familial.

Elles ont de nouveau fait livrer le colis en France. Gabriela a réalisé elle-même l'insémination de sa partenaire, un détail qui lui servira plus tard pour souligner son rôle dans la conception. L'opération a encore une fois réussi, et lors de l'accouchement, elle a tenu la main de son ex-partenaire en se tenant à son chevet à l'hôpital. En 2018, Sofia a donné naissance à une fille à Lausanne. Il était prévu que Gabriela procède ensuite à son adoption.

Jusqu'à ce stade, Gabriela et Sofia parvenaient à gérer leurs difficultés. Leur projet familial les maintenait unies, tant bien que mal.

Quand le projet de vie vole en éclat

Pendant la pandémie du Covid-19 en 2020, la situation a dégénéré. Source de la discorde: elles étaient en désaccord sur la manière de protéger leurs enfants contre le virus.

Sofia souhaitait passer les vacances d'été en Italie avec les deux enfants, alors que le nombre de cas y explosait. Gabriela s'y est opposée, mais craignait que Sofia parte malgré tout, en dépit des risques. Elle a donc saisi l'autorité vaudoise de protection de l'enfance, tout en révélant qu'elles avaient toutes deux menti dans leur demande d'adoption.

Finalement, Sofia est partie en Italie uniquement avec sa fille biologique. Par la suite, elle n'est plus retournée dans leur logement commun et a emménagé avec une nouvelle compagne. Depuis, chaque mère vit séparément avec son enfant biologique.

Tout cela s'est passé alors que la demande d'adoption pour le deuxième enfant était en cours. Sofia a retiré son consentement, ce qui a conduit les autorités à rejeter la demande. La première adoption, elle, est restée valable. Sofia bénéficie d'un droit de visite pour leur fils commun, mais Gabriela n'en a aucun pour «sa» fille. Cela fait des années qu'elles ne se sont pas vues.

Sofia refuse à Gabriela tout contact avec sa fille, craignant qu'elle ait une influence négative sur elle. Elle reproche à son ex-partenaire de ne jamais s'être réellement occupée des deux enfants. Selon elle, Gabriela a certes manifesté une forme d'amour, mais sans engagement parental. Devant le tribunal, Sofia a argué:

«Un droit de visite sert à entretenir une relation existante, mais pas à en créer une nouvelle»

Un sentiment de discrimination

Gabriela rétorque que sa fille l'appelait «Maman» durant ses premières années, tandis qu'elle appelait Sofia «Mama». Lorsque Gabriela croisait sa fille par hasard, que ce soit au parc ou en faisant des courses, l'enfant courait vers elle en l'appelant à nouveau «Maman». Lorsqu'elles ont dû se séparer, la fillette a pleuré.

Il est vrai que Sofia a pris en charge la majeure partie des soins, mais Gabriela a également passé des moments importants avec les enfants: elle les a baignés, a joué avec eux au parc ou les a emmenés en sorties. Elle affirme:

«Nos enfants ont toujours su que leurs mères n'étaient pas un couple amoureux, mais cela ne les empêchait pas de s'aimer mutuellement, et nous de les aimer, et de former une famille unie.»

Gabriela se sent discriminée. Elle estime que, si elles avaient été un couple hétérosexuel, elle serait aujourd'hui reconnue comme mère. Elle doit désormais se battre pour voir l'enfant qu'elle a elle-même conçu. Mais il ne s'agit pas seulement d'elle: sa fille devrait avoir la possibilité de construire une relation avec son demi-frère et de vivre leur histoire familiale. Les demi-frères et demi-sœurs peuvent toutefois parfois se voir, grâce au droit de visite que Sofia a pour son fils.

L'affaire fait débat au Tribunal fédéral

Le 26 juin, le Tribunal fédéral examinera l'affaire lors d'une audience publique. Dans 99% des cas, les juges se mettent d'accord par procédure écrite. En cas de divergence, ils débattent publiquement avant de voter. Dans le cas de ce couple lesbien, de nouvelles questions seront soulevées, qui occuperont de plus en plus la justice à l'avenir.

Qu'est-ce qui définit un rôle de mère ou de père lorsqu'il n'est pas fondé biologiquement? Et quelles en sont les implications pour le droit de garde?

Dons de sperme: nombre de naissances enregistrées dans le registre suisse des dons

Le don de sperme: les naissances enregistrées dans le registre suisse des dons.
Image: let

Le mariage pour tous soulève de nombreuses questions juridiques inédites. Les couples de même sexe devraient-ils avoir accès à la procréation médicalement assistée à l'étranger ou pouvoir utiliser des dons de sperme privés en Suisse? Dans ces situations, la parentalité du couple n'est pas automatiquement reconnue aujourd'hui. Le Parlement fédéral souhaite modifier cette situation, mais le Conseil fédéral reste sceptique. Selon lui, cela ne serait envisageable que si les registres des donneurs étrangers respectaient les règles suisses.

Par ailleurs, le Parlement souhaite simplifier la procédure d'adoption pour les beaux-enfants des couples de même sexe. Le Conseil fédéral y est favorable et travaille actuellement à une réglementation en ce sens. Si les procédures étaient plus courtes, la deuxième adoption de Gabriela et Sofia aurait peut-être pu être finalisée avant que le conflit n'éclate. L'une des mères pourrait aujourd'hui s'en réjouir, tandis que l'autre le regretterait.

Les grands-parents peuvent obtenir un droit de visite

La relation avec la fille reste incertaine, car les femmes n'ont jamais officialisé leur partenariat. Le litige devant le Tribunal fédéral porte sur l'article 274a du Code civil: d'autres personnes que les parents peuvent obtenir un droit de contact personnel avec un enfant, sous deux conditions.

  • Premièrement, les circonstances doivent être exceptionnelles.
  • Deuxièmement, cela doit être dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Cet article de loi a principalement été conçu pour les proches. Il s'agit par exemple des grands-parents, qui peuvent jouer un rôle important dans la vie d'un enfant et négocier un droit de visite après un conflit. Gabriela se considère comme la mère sociale de sa fille. Elle déplore que, dans un couple hétérosexuel, un grand-père ait davantage de droits qu'elle.

Gabriela considère comme circonstance exceptionnelle le fait que la naissance du deuxième enfant ait été un projet commun des deux femmes. Sofia conteste cette vision. Pour elle, cette naissance était un projet personnel. Aujourd'hui, elle regrette d'avoir utilisé les dons de sperme déjà payés pour cela et aurait préféré choisir un autre donneur.

Suite (et fin) de l'affaire?

Les tribunaux ont refusé à Gabriela le droit de visite, estimant que le vif conflit avec Sofia compromet sa capacité parentale. L'intérêt des enfants passait alors au second plan. Une reprise du contact ne serait envisageable que si la situation se calmait, sous peine que Gabriela n'entraîne sa fille dans ce conflit.

Le litige juridique a déjà connu un long parcours. Il a débuté devant un juge de paix et a déjà été porté une première fois devant le Tribunal fédéral, qui avait rejeté les mesures provisoires demandées. Dans toutes les décisions rendues jusqu'à présent, Gabriela a vu ses recours rejetés.

Avec cette issue, elle doit s'attendre à un verdict similaire lors du jugement à venir. Pourtant, elle garde un espoir: la convocation d'une audience publique signifie qu'au moins un juge a été convaincu par ses arguments.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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