Dis Rafa... On te quitte à Roland-Garros en ne sachant pas si on t'y reverra un jour, tu nous dis que tu souffres, que tu ne peux plus continuer comme ça, que les records ne sont pas importants et que tu échangerais ton argenterie (22e trophée du Grand Chelem) contre un pied gauche tout neuf.
On te croit parce que, quand tu sors de la conférence de presse, tu boites bas, tu ondules comme un vieux pur-sang «arthrosé». Ta tête est basse, elle aussi. Si tu étais un cheval de course et que ton propriétaire avait un semblant de pitié, il t'abattrait.
Pendant deux semaines à Roland-Garros, tu nous as répété que c'était grave, que tu nous expliquerais «tout après», que tu prendrais une décision importante pour la suite (s'il en est) de ta carrière. Or, voilà que tu nous as surtout parlé de tes infiltrations. Ton pied à moitié shooté. Ton médecin à portée de main. Tes frémissements de compétiteur névrosé face au manque de perspectives.
Personne ne doute que ce soit légal. Personne ne doute que tu aies si mal. Mais as-tu bien mesuré la portée de tes actes, à tout le moins de tes aveux, au-delà du cercle de tes dévoués? Tu as raconté tes piqures et la moitié des gens te les as pardonnées, mais as-tu pensé à l'autre moitié? A l'exemple? Aux ambiguïtés? Aux cyclistes accusés de tricher quand ils prennent un bonbon Ricola? A la bonne éducation sportive dont tu te poses en parangon? Au principe d'équité (toi qui est un homme de grands principes)?
Ceux qui te suivent de près savent ta sincérité et admirent ton authenticité, ta résistance à la douleur, même la manière dont tu as tourné ce Roland-Garros au tragique. Tout le monde t'aime bien alors personne ne dit rien (encore que...) Mais tu ne peux pas nier que tes piqures t'ont aidé à gagner, et qu'en cela, tes aveux auraient nécessité un petit post-scriptum, quelque chose qui ressemble à un acte de contrition - ce qui n'a rien à voir avec la culpabilité. Tu as juré que tu ne le referais plus mais tu as oublié (?) de préciser que tu n'étais pas fier de l'avoir fait.
Tu ne pourras pas ignorer les voix qui, au loin, comme celle du Dr Adrian Roux dans «Ouest France», soulèvent la question fondamentale du mérite.
Quand Djokovic gare son camion sur le parking de l'US Open, pour le confort de ses siestes dans un caisson hyperbare, l'opinion l'amende sans attendre. Et toi?
Bien sûr, les suspicions ne t'ont pas épargné. Les rumeurs de dopage t'ont poursuivi depuis tes premières cavalcades sur le circuit et elles se sont essoufflées bien avant toi. A chaque passing «long de ligne» que tu tirais en bout de course, c'est un peu Popeye que l'on voyait, avec ses bras noueux et ses boites d'épinard. C'est vrai que les sous-entendus étaient intolérables et qu'ils n'ont jamais trouvé la moindre justification scientifique.
Mais ici, on ne parle pas de dopage. On parle de langage. Tu nous as expliqué que tu avais tenu debout grâce aux piqures et nous étions censé compatir, voire applaudir. Mais imagine que Djokovic ait tenu le même discours?
Tu as dit que c'était fini, que tu prendrais le temps de soigner ce pied gauche qui te fait lever de mauvaise humeur depuis 18 ans. Et voilà qu'une semaine après, ton oncle t'annonce à Wimbledon...
Tu semblais partir sinon à la retraite, du moins à l'hôpital, avec ta paire de béquilles et tes doutes en bandoulière. On t'a regardé t'éloigner avec tristesse. Mais quand Djoko part aux toilettes, lui, ce sont des sifflets qui l'escortent vers la sortie. D'accord, il exagère toujours, il appelle le kiné comme d'autres demandent l'extrême onction, mais d'une posture de grabataire à une «guérison» éclair, tu n'as pas lésiné, toi non plus.
Certes, l'époque est à la confession publique et aux réflexes victimaires. On adore les colosses au pied d'argile; d'autant plus si ce pied reçoit des injections. On adore les géants qui vacillent sur leurs certitudes, ça nous rend moins cruche.
Certes encore, l'aveu a chez toi quelques vertus thérapeutiques, tu balances tes problèmes aux journalistes dans de grands élans spontanés, c'est ta façon à toi de t'en débarrasser. Quand tes collègues convoquent les forces du mâle, tu exprimes tes faiblesses (avec la même illusion de les conjurer). Tu répands l'odeur de sang mais c'est toi qui, en définitive, les dévore tous.
Certes enfin, on aime presque tout chez toi, ta ténacité, ta franchise, ta courtoisie, ton goût de l'épopée et ta soif d'apprendre, ton apologie de l'instant présent. On te sait gré de tous les doutes et de toutes les peurs que tu partages depuis vingt ans, avec cet anglais de première nécessité qui ne tolère aucune finasserie.
Mais dis Rafa: entre la chronique d'une fin que tu feignais d'annoncer, et ton éventuel retour comme une fleur dans les jardins de Wimbledon, n'aurais-tu pas exagéré? Un peu, beaucoup, inutilement?