On pourrait croire que rien ne ressemble plus à un vélo qu'un autre vélo. Après tout, ils ont chacun un guidon, une selle et deux roues.
Pourtant, les différences entre deux marques peuvent être énormes. «Le cadre, les roues, les pneumatiques... Tout additionné, tu peux passer d'un truc de coiffeur à une fusée. En fait, le vélo, c'est devenu de la Formule 1», lâche le coureur Anthony Perez (Cofidis) à l'Agence France-presse (AFP). Comme en F1, où les pilotes choisissent leur écurie en fonction de la monoplace, les cyclistes regardent désormais la marque du vélo avant la proposition de salaire quand ils cherchent une nouvelle équipe. Et si le fournisseur ne leur convient pas, alors ils ne viennent pas.
Peter Sagan, lui, est venu chez Total Direct Energie en 2022. Mais à la condition que l'équipe change de vélo et signe un partenariat avec son sponsor de longue date, Specialized. C'est ce qui a été fait, au grand bonheur du Slovaque et des coureurs de la formation française, qui étaient jusque-là équipés de montures moins performantes.
Lors de tests réalisés au Vélodrome National de Saint-Quentin en Yvelines, Pierre Latour s'est aussitôt rendu compte que son nouveau vélo de chrono lui permettait de gagner quinze watts de puissance moyenne.
Cette différence de performance s'expliquait par plusieurs facteurs, au premier rang desquels le poids: les vélos pouvaient descendre à 6,8 kg contre un peu moins de 7,5 kg pour le modèle précédent de la marque Wilier Triestina. Or un écart de 700 grammes est précieux en cyclisme.
Le cadre en carbone haut de gamme ou encore l'aérodynamisme permettent aussi d'expliquer les différences de performance entre deux modèles. La chaîne RMC rapportait que le gain de stabilité sur Specialized était accru de 25% par rapport à son concurrent Wilier Triestina «grâce aux roues "Roval" fabriquées par l’équipementier. En conséquence, les coureurs parviendraient plus facilement à garder leur trajectoire lorsque des rafales latérales viennent les titiller, avec là aussi, une certaine économie d’énergie et des gains sur la performance globale».
Peter Sagan n'est pas le seul à avoir déménagé avec son propre équipementier. Quand il a été approché par la formation AG2R, Greg Van Avermaet a accepté de s'engager uniquement s'il pouvait poursuivre sa carrière sur un vélo de la marque BMC, ce qui a été accepté. Tous les coureurs de l'équipe française ont ainsi dû se plier aux exigences de leur nouveau leader et délaisser leur matériel estampillé «Eddy Merckx».
Olivier Naesen n'a pas eu besoin de se forcer. Le coureur, très courtisé sur le marché des transferts, souhaitait savoir sur quelle marque roulerait l'équipe en 2021. Quand il a appris que c'était BMC, il a accepté de prolonger pour trois années supplémentaires.
D'autres n'ont pas eu besoin de poser leurs conditions, puisque leur nouvelle équipe possédait déjà des bicyclettes meilleures que celles qu'ils avaient connues par le passé. C'est le cas de Christophe Laporte, passé cette année de Cofidis à la formation néerlandaise Jumbo Visma, dont les vélos de la firme canadienne Cervélo sont des bijoux de technologie.
C'est aussi le cas d'Axel Laurance. Le nouveau coureur d'Alpecin a l'impression que sa nouvelle monture «avance toute seule» par rapport à celle qu'il avait chez B&B Hotels.
Certains champions, jusque-là très performants, semblent soudain méconnaissables lorsqu'ils changent de vélo. C'est la mésaventure que connaîtrait actuellement Marc Hirschi. Le Bernois, révélé chez Sunweb, n'aurait jamais réussi à apprivoiser complètement le Colnago de sa formation UAE. Un vélo que Tom Boonen a vertement critiqué début mars, estimant carrément que Tadej Pogacar (UAE) roulerait «plus vite et mieux de quelques watts» s’il utilisait un autre modèle. Il y a une différence de 2 km/h entre Colnago et ses concurrents, a même affirmé l'ancien directeur sportif Dirk De Wolf.
En réponse aux attaques, la marque italienne a publié un long communiqué sur les réseaux sociaux, qualifiant les commentaires de Boonen d'infondés et invitant De Wolf à une conversation publique sur les données lui ayant permis d'obtenir ses calculs.
Cette réaction dit toute l'importance de la réputation pour des marques qui pèsent de plus en plus sur le résultat final. C'est d'ailleurs (aussi) parce que les vélos sont devenus tellement performants que les moyennes en course augmentent sans cesse.
Confrontés aux chiffres et aux ressentis des cadors du peloton, certains observateurs pointent avec inquiétude l'émergence d'un cyclisme à deux vitesses. Les inégalités auraient tendance à se creuser entre les équipes qui bénéficient de vélos ultra-performants et les autres, moins richement dotées, et donc fatalement désavantagées.