Plusieurs vedettes du football ont récemment menacé de faire grève à cause du calendrier surchargé et des conséquences négatives sur la santé. Le syndicat mondial des joueurs, Fifpro, a également promis à la Fifa des poursuites judiciaires.
Mais les footballeurs sont-ils vraiment surmenés? Si oui, d'où vient le danger? Et quels sont les risques réels pour leurs corps? Roman Gähwiler, médecin du sport qui a notamment travaillé pour le FC Aarau entre 2018 et 2022, répond à ces questions.
Des footballeurs et des entraîneurs célèbres se plaignent du calendrier surchargé, certains envisagent même de faire grève. Comprenez-vous cela?
ROMAN GÄHWILER: En tant que fan, mais aussi et surtout en tant que médecin du sport, je comprends tout à fait. Cependant, il est important de considérer de manière différenciée la charge physique et mentale des joueurs des meilleures équipes des cinq ligues européennes.
C'est-à-dire?
Ils font face à une triple charge physique: celle du championnat, de la Coupe d'Europe et de l'équipe nationale. Mais les préparateurs physiques, les médecins de clubs ainsi que l'UEFA et la Fifa font beaucoup pour la surveillance et la prévention des blessures. Par exemple, l'élaboration d'un programme d'échauffement spécifique au football.
Et l'aspect mental?
La pression du succès sur les athlètes de haut niveau dans plusieurs compétitions, tout au long de l'année, est une charge permanente. De plus, le temps de récupération des stars diminue. En raison de la commercialisation mondiale du football, leur omniprésence est requise. Ainsi, en été, elles doivent se produire lors d'événements-spectacles en Asie ou en Amérique au lieu de se reposer.
Beaucoup de fans peuvent penser qu'un match tous les deux ou trois jours, c'est possible pour ces athlètes de pointe. Votre avis?
Si l'on ne prend que la charge physique d'un match, je peux comprendre cette façon de penser. Mais la vie d'un footballeur de haut niveau ne se résume pas à jouer 90 minutes tous les deux jours. Elle comprend des entraînements quotidiens, une récupération qui prend du temps, des rendez-vous avec les médias et les sponsors et, surtout, des voyages en avion avec des décalages horaires.
Des mesures de prévention sont nécessaires, car tous ces moments hors du terrain ont une influence négative sur la régénération. Dans une prise en charge moderne des athlètes, la régénération est une partie aussi importante que les matchs eux-mêmes.
La charge de travail des footballeurs professionnels en Suisse est-elle aussi trop forte?
Un joueur titulaire avec plus de 70 minutes de temps de jeu par match court en moyenne 10,3 kilomètres. Dont une médiane de 159 mètres en sprint (plus de 25 km/h), près de 700 mètres sous forme de courses à haute intensité (jusqu'à 20 km/h) et environ 1360 mètres à un rythme de course normal (15-20 km/h). Ces chiffres correspondent à peu près aux distances de course de la Ligue 1 française et semblent acceptables en termes d'effort physique.
Quel est le temps nécessaire entre deux matchs pour que les footballeurs puissent rester performants toute une saison?
C'est une question difficile. La résilience des joueurs est très variable, tout comme le risque de blessure selon le poste occupé.
Si les équipes de pointe maintiennent le nombre de matchs à son niveau actuel ou l'augmentent, elles devront probablement élargir leur effectif et introduire un principe de rotation. Et puis, d'autres facteurs influencent le risque de blessures.
Lesquels?
Certains profils de personnalité comportent un risque de blessures liées à la surcharge supérieur de plus de 20%. Par exemple, les personnes perfectionnistes ou celles qui ont une faible résistance au stress émotionnel. De plus, une étude de 2018 montre que le style de management de l'entraîneur principal influence de manière significative le risque de blessure au sein d'une équipe.
Quelles parties du corps sont menacées par l'augmentation de la charge de travail?
Les muscles, les genoux et les chevilles sont les plus souvent touchés. Un joueur subit en moyenne 0,6 blessure musculaire par saison. Autrement dit: huit blessures chaque mille heures de football. D'un point de vue médical, le problème le plus important est l'absence de guérison complète d'une blessure à cause de la pression du temps. Cela augmente le risque de blessures ultérieures, et le cercle vicieux commence.
L'entraîneur du FC Bâle, Fabio Celestini, trouve que le calendrier est trop chargé, mais estime que c'est le prix à payer si les fédérations, clubs et joueurs veulent plus d'argent. Gagner plus en prenant un plus gros risque pour la santé, c'est moralement défendable?
Oui, tant que les athlètes sont informés des conséquences médicales à long terme. Mais dans la réalité, une décision vraiment réfléchie de leur part est difficile à obtenir. Nous, les médecins, sommes les avocats des sportifs.
Des athlètes m'ont déjà dit en consultation: «Si j'avais su, j'aurais pris une autre décision». Alors oui, en théorie, je suis d'accord avec Fabio Celestini...
Mais?
Les médecins devraient protéger les footballeurs. Il ne faut pas oublier que ceux-ci sont de plus en plus jeunes. Un Lamine Yamal, par exemple, est déjà une star mondiale et un grand joueur, mais il est encore mineur. En ce qui concerne les blessures dans la zone de croissance des os ou les blessures de surcharge, une surveillance médicale généralisée est nécessaire dès les juniors. Ces derniers devraient pouvoir révéler leurs blessures, sans crainte d'être pénalisés. Il y a beaucoup de retard à rattraper dans ce domaine.
L'utilisation d'antidouleurs pour jouer est controversée. Quel est votre avis?
Nous voilà face aux conséquences négatives d'un calendrier surchargé, qu'il faut juger d'un point de vue éthique. Les analgésiques, et surtout les anti-inflammatoires, sont principalement utilisés en cas de blessures dues au surmenage. Cela peut entraîner des dommages à long terme pour la santé.
C'est là que les joueurs doivent s'organiser et se faire entendre. Sinon, on risque d'assister à des situations de «Far West» comme dans le cyclisme à la fin des années 1990, lorsque le système obligeait presque les athlètes à améliorer leurs performances à l'aide de médicaments, histoire de «survivre» dans le sport de haut niveau.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber