Vous êtes devenu directeur sportif du FC Sion il y a dix ans. En quoi avez-vous évolué?
BARTHELEMY CONSTANTIN: Dans tout travail, on fait des expériences. Il faut en tirer profit, qu'elles soient positives ou négatives. Adolescent, j'étais déjà responsable d'équipe au FC Sion, j'ai eu affaire à des agents, des joueurs et des supérieurs, et c'est comme ça que j'ai appris le business. Mais bien sûr, il y a dix ans, je n'étais pas le directeur sportif ni la personne que je suis aujourd'hui.
Vous vous souvenez du moment où votre père, Christian, vous a dit: «Maintenant, Barth, tu es mon directeur sportif»?
Bien sûr! C'était à notre hôtel La Porte d'Octodure, où se trouvent les bureaux du FC Sion. C'était juste avant Noël 2014. Sion était dernier, papa avait renvoyé l'entraîneur et il m'a dit: «Maintenant, tu vas nous chercher un nouvel entraîneur et trois joueurs!»
Vous avez alors fait venir l'entraîneur Didier Tholot et les joueurs expérimentés Reto Ziegler, Veroljub Salatic et Elsad Zverotic. Au final, Sion s'est maintenu et a remporté la Coupe.
Pas mal, non?
Votre père vous a temporairement mis à la porte lors de la saison 2012-2013, quand vous étiez manager, à cause de divergences d'opinion autour de l'entraîneur-joueur Gennaro Gattuso.
On peut dire ça comme ça. Je ne voulais pas qu'il renvoie Gattuso. Ça a dégénéré et j'ai été démis de mes fonctions de manager. C'est une erreur dont j'ai beaucoup appris.
Parce que vous avez eu, dans la foulée, un travail à la commune de Martigny pour lequel vous trimiez pour dix francs par jour.
Déblayer les rues, nettoyer, monter des lampes... Cette expérience m'a aidé à trouver ma voie.
Et celle-ci a failli vous conduire en Italie.
C'est vrai. J'étais en contact avec Novara, qui jouait à l'époque en Série B. J'aurais pu y devenir directeur sportif en l'espace de trois ans, il me suffisait de signer. Mais mon père m'a dit que c'était trop compliqué, que je devais rester à Sion et redevenir manager d'équipe.
Vous avez arrêté l'école à l'âge de 15 ans. Vous aviez un plan B?
Je dois clarifier les choses sur ce sujet. La séparation de mes parents m'a beaucoup affecté à l'époque. Je n'étais pas un mauvais élève, mais pendant l'adolescence, je ne voyais pas l'intérêt de rester assis en classe et d'écouter.
Mais sans argent et en tant que mineur, ce n'était pas si simple. Du coup, j'ai travaillé pour les remontées mécaniques de Verbier.
Vous avez aussi commencé un apprentissage de maçon, jusqu'à ce qu'un médecin vous délivre un faux certificat médical.
(Rires) Voilà comment ça s'est passé: après que la saison de ski à Verbier se soit terminée prématurément à cause des températures élevées, mon père m'a dit que je devais aider à remettre en état les sentiers de randonnée de mars à mai et gagner de l'argent, puis prendre des vacances et commencer un apprentissage en août. Mais entre-temps, Gennaro Gattuso a été engagé en été 2012, il y avait beaucoup à faire et j'ai donné un coup de main au club.
Et ensuite?
Alors que les vacances d'été touchaient à leur fin, je devais trouver une solution. J'avais peur de me blesser comme maçon. Alors pour éviter de faire ce travail, je me suis volontairement égratigné le poignet, il était légèrement rouge et j'ai prétendu être tombé dans la douche. Ma mère n'avait jamais été aussi en colère contre moi, j'ai passé un mauvais week-end. Le lundi, elle m'a tiré du lit à 5h00 et m'a envoyé sur le chantier.
Mais vous n'avez pas poursuivi longtemps votre apprentissage.
Non, effectivement. J'ai trouvé un médecin qui aimait boire du vin et qui était sur le point de prendre sa retraite. Je lui ai apporté six bouteilles et il m'a donné un certificat, sans examen, qui certifiait que je ne pouvais pas travailler comme maçon avec mon poignet blessé.
Est-ce qu'on peut dire que votre père vous a sauvé en vous donnant un emploi au FC Sion?
Toute personne qui aide quelqu'un à trouver du travail est, d'une manière ou d'une autre, un sauveur. A ce moment-là, ça m'a fait du bien d'être proche de mon père, au moins pour le travail. Car après la séparation de mes parents, j'ai vécu avec maman. Aujourd'hui, je suis reconnaissant envers tous les patrons que j'ai eus de m'avoir donné une chance.
Il y a souvent des frictions entre votre père et vous au travail?
Nous avons chacun notre tête et sommes issus de générations différentes. Il n'a donc pas toujours été facile, surtout au début, de trouver un dénominateur commun. Je voulais tout faire à ma façon, lui à la sienne.
Au FC Sion, c'est la famille Constantin qui décide. Quels sont les avantages par rapport aux clubs «normaux», qui ont des conseils d'administration?
Nous pouvons prendre des décisions plus rapidement et le chemin entre la direction, les collaborateurs et les joueurs est plus court.
Par contre, ce sont des décisions davantage émotionnelles.
Oui, mais nous aussi, nous réfléchissons bien à chaque étape avant de prendre une décision.
Mais à la fin, c'est Christian Constantin qui a le dernier mot.
C'est lui qui paie. C'est pourquoi je respecte le fait qu'il ait le dernier mot.
Comment se sont déroulées les négociations du contrat de directeur sportif entre le père et le fils?
Ça s'est fait très rapidement. Et même après dix ans, c'est toujours le même contrat. Je devrais peut-être renégocier... (rires)
Avez-vous l'intention de quitter un jour le FC Sion et de travailler pour un autre club? Ou reprendrez-vous la présidence de votre père?
Un autre club est tout à fait une option. J'ai déjà reçu une offre de Serie A (réd: la première division italienne) en 2017. Ce que je ne peux assurément pas faire, c'est diriger le club comme mon père. Je n'ai pas les moyens financiers pour ça.
Vous vivez seul à Martigny depuis onze ans. Entre-temps, beaucoup de vos amis sont devenus parents. Vous souhaitez aussi fonder une famille un jour?
Ma femme, c'est le FC Sion! (rires) A l'heure actuelle, ce n'est pas un objectif de vie pour moi. Le football me procure simplement tellement d'émotions. Aucune personne dans ma vie ne peut déclencher autant d'émotions que ce sport. Et j'ai besoin de ces émotions.
Ça ressemble fortement à une dépendance.
Le football est ma drogue. Mais je ne pourrais jamais être agent de joueurs, car il me manquerait les émotions des matchs du week-end. Et mon talent de footballeur ne me permet d'évoluer qu'en quatrième ligue.
Vous avez déjà essayé de vous calmer?
Non. Je dirai toujours ce que je pense, et les nombreuses émotions que j'ai doivent sortir de temps en temps. Je peux vivre avec tout ce qui s'est passé jusqu'à présent à ce sujet, je n'ai pas de remords.
Sion est actuellement 7e du classement, en tant que promu. Satisfait?
Dans l'ensemble, oui. Nous sommes le promu et nous voulons nous sauver souverainement dans l'élite et nous y stabiliser. D'un autre côté, j'étais aussi frustré après quelques matchs, parce qu'on aurait pu faire mieux.
Quand avez-vous compris que quand un entraîneur a du temps, il a davantage de succès? Le quatrième mandat de Didier Tholot à Sion dure déjà depuis un an et demi.
Didier est comme un grand frère pour moi. Il m'a vu grandir et nous avons des liens très forts. En tant que joueur, il a marqué le 1-0 contre Bulle lors du premier match que j'ai vu à Tourbillon, nous avons gagné la Coupe avec Sion à Bâle en 2015, et nous travaillons à nouveau très bien côte à côte depuis un an et demi.
Comme votre père, vous aimez voir grand: à quel point le rêve de jouer la Ligue des champions dans le nouveau stade est-il réaliste?
On peut toujours rêver. Le nouveau stade devrait être terminé en 2030. J'y crois vraiment. La Ligue des champions est un rêve un peu plus lointain. Mais avec du bon travail, beaucoup de choses sont possibles.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber