Le hockey sur glace a pleinement intégré l'industrie du divertissement. Surtout parce qu'il fournit aux télévisions la matière première dont elles ont besoin de toute urgence pour leurs directs. Dans le même temps, cette évolution nécessite l'extension et la reconversion des infrastructures, en relation avec un nouvel environnement social et économique. La baisse globale de la fréquentation dans les patinoires est un signal d'alarme. L'inauguration d'un nouveau temple du hockey à Zurich, avec une offre particulièrement restreinte de places debout, marque le début d'une nouvelle ère.
Dans l'ensemble, le taux d'occupation des patinoires de National League a baissé de 89 à 79 % après le Covid. C'est à Berne que cette baisse est la plus nette (de 96 à 84 %). C'est aussi à Berne qu'elle est la plus inquiétante: aucun autre club ne dépend autant de la fidélité de son public. Il manque environ 2000 supporters par match. Si la tendance se poursuit, il manquera 50 000 spectateurs payants à la fin de la saison, soit plus de quatre millions de francs de recettes.
Aujourd'hui, ceux qui dépensent beaucoup d'argent pour assister à un match de hockey ou qui souhaitent inviter leurs clients exigent en contrepartie du confort. C'est aussi pour cette raison que les patinoires sont rénovées de fond en comble ou même, comme récemment à Zurich, entièrement reconstruites.
Les nouvelles enceintes sont davantage axées sur les besoins de la classe moyenne et des entreprises, et non plus en premier lieu sur les places debout moins chères. Parce que les recettes des places assises et des places VIP sont tout simplement plus élevées que celles des places debout.
La formule magique du succès? Un bon rapport entre places assises et debout et entre la valeur de l'expérience et le confort. Si ce dernier diminue, les recettes chutent.
A Berne, cette gigantesque tribune debout ne sera plus remplie qu'exceptionnellement. Le confort est trop faible, la valeur d'expérience trop faible par rapport aux attentes d'aujourd'hui. Dans les patinoires rénovées ou neuves, le ratio entre places assises et places debout est meilleur qu'à Berne. A Zurich, par exemple, il y a 12 000 places assises et 1900 places debout. A Berne, plus de la moitié des spectateurs – 9778 sur 17'031 – suivent les matchs debout.
Cela signifie qu'à moyen terme déjà, la concurrence pourra tirer des revenus plus élevés du hockey business (qui iront directement dans les salaires des joueurs). Le CP Berne, qui était un Crésus depuis les années 1970 grâce à son immense mur et qui pouvait se passer de mécène, chute de plus en plus au classement économique des clubs suisses. Il est passé de leader à milieu de tableau.
Contrairement à Bienne ou Zurich, aucun investisseur privé n'est prêt à financer la construction d'une nouvelle arène dans la capitale fédérale. Il ne reste donc que la rénovation de l'actuelle enceinte. Plus vite le CP Berne transformera ses places debout en places assises, du moins en partie, plus grandes seront ses chances de redevenir durablement un titan économique et sportif.
Klaus Zaugg, spécialiste de hockey sur glace à watson
Ce n’est pas qu’une vieille tribune mal pratique, peuplée de soutiens à quatre sous et de petits chanteurs à la gueule de bois. La rampe du CP Berne est un monument du sport suisse, comme peuvent l’être le tunnel du Lauberhorn ou la piste de bob de St-Moritz. La rampe du CP Berne est à l’inconscient populaire helvétique ce que le mur jaune est au Borussia Dortmund et l’instabilité à la Tour de Pise. La rampe du CP Berne est un lieu unique du hockey européen.
Détruire cette originalité pour payer encore plus cher des hockeyeurs quelconques est d’un conformisme achevé, une idée de rond-de-cuir sourcilleux. Balayer cet engouement pour y poser des tables et des nappes ne serait pas seulement une hérésie mais une erreur stratégique majeure. Pourquoi tant de gens vont-ils voir le CP Berne, depuis tout le pays? Pourquoi y emmène-t-on sans hésiter, confiant, l’oncle australien qui visite la Suisse pour la première fois ou l’ami(e) qui n’a jamais mis les pieds dans une patinoire?
Il ne s’agit pas ici d’être romantique mais, au contraire, de thésauriser sur la force d’une marque. La modernité n’a pas toujours des odeurs de peinture fraîche. «L’expérience SCB», pour reprendre l’idiome du vil âge, ne tient pas à la propreté des sièges ni à la notoriété d’une équipe moyenne, bien moins entraînante que la rampe dévouée à son allant. Si la patinoire de Berne fut longtemps la plus fréquentée en Europe, c’est pour ses excès, ses choeurs de supporters et ce gradin abrupt qui la transforme en fosse aux ours. Phénomène unique en Suisse, un club fascine pour son ambiance, sa ferveur et ses délires. Et il devrait maintenant ressembler à tout le monde…
Certes, les publics populaires sont moins présents depuis la rentrée post-Covid mais rien ne garantit que des VIP soient prêts à les remplacer en nombre et à grands frais. On avait cru comprendre également que le business-model du SCB était paradigmatique, qu’il se nourrissait des flux de supporters, orientés vers une vingtaine de restaurants et de bars dans toute la ville. Et la solution serait maintenant de monter en gamme…
De nombreux clubs en Suisse ont trouvé le juste équilibre, le parfait amalgame du chahut et du cossu. Mais cet équilibre reste précaire, soumis à la fluctuation permanente des goûts et des habitudes. Quand les patinoires ne seront plus que des lieux de convivialité et d’apéritif, sans l’ivresse des grands soirs, sans le vertige des grandes rampes, tous debout contre la vie sage, plus personne n’y viendra, car on s’y ennuiera autant que dans les séminaires. Même un VIP bernois.
Christian Despont, chef des sports à watson actu