Olivier Senn, trois semaines se sont écoulées depuis le décès de Gino Mäder. Comment vous sentez-vous maintenant quand vous repensez à cette période?
Je me rends compte que je suis complètement brisé. Pendant les jours intenses qui ont suivi l'accident, je n'ai même pas remarqué à quel point j'étais fatigué ou affamé. Aujourd'hui, le manque de sommeil me rattrape. Et quand je suis fatigué, je suis d'autant plus émotif. C'est pourquoi les larmes me viennent parfois.
Comment avez-vous vécu le moment où vous êtes rentré chez vous après avoir terminé le Tour de Suisse, et où vous avez fermé la porte derrière vous?
Ce n'était pas un moment si spécial. Je pense qu'il aurait été très difficile de gérer la mort de Gino si nous avions simplement arrêté la course ce vendredi-là et que nous avions tous dû rentrer chez nous. Mais en continuant et en organisant le Tour de Suisse des femmes, tous les participants ont pu rester plus longtemps ensemble et surmonter la première étape de la phase de deuil. Cela a été extrêmement utile.
Quand avez-vous réalisé qu'il fallait s'attendre au pire?
Je suis une personne qui pense fondamentalement de manière positive. Tant qu'il y a de l'espoir, il y a de l'espoir. Mais le vendredi matin, la probabilité d'une nouvelle positive était déjà relativement faible pour moi. Le père de Gino Mäder m'avait appelé pour me dire que la situation était mauvaise. Après cette conversation, j'ai commencé à réfléchir sérieusement à la manière dont nous allions agir dans le pire des cas. Peu avant que nous ne commencions à discuter en équipe, nous avons été informés du décès.
Que se passe-t-il psychologiquement quand on apprend une nouvelle aussi terrible?
En fait, pas grand-chose. Dans un premier temps, je ne voulais tout simplement pas l'admettre et je ressentais surtout un grand vide. C'était une situation surréaliste.
Mais vous deviez communiquer immédiatement la nouvelle et donner des informations.
Oui, mais nous n'avions pas le droit de diffuser la nouvelle avant que l'équipe de Gino Mäder ne communique. Et Bahreïn devait pour sa part attendre le feu vert de la famille. Nous ne voulions mentir à personne entre-temps et nous sommes donc cachés derrière un camion à Coire pendant 20 minutes. C'est là que les premières larmes ont coulé.
Vous avez rapidement été confronté à des questions critiques, notamment sur le tracé.
J'ai pu gérer ces questions et les mettre de côté, car nous ne savions tout simplement pas comment l'accident s'était produit. D'autant que les spéculations étaient la dernière chose que nous souhaitions dans cette situation.
Avec un peu de recul, auriez-vous pu et dû faire quelque chose de différent pour éviter l'accident de Gino Mäder?
Je ne pense pas. Logiquement, on aurait pu sécuriser ce virage. Mais il aurait alors fallu en sécuriser une centaine d'autres avant. Je pense que de nombreux organisateurs essaient de faire le maximum en matière de sécurité. Mais en fin de compte, la responsabilité n'incombe pas seulement à l'organisateur, car c'est l'athlète qui a les freins en main et qui doit décider quand et comment les utiliser ou non. Selon une étude de l'Union cycliste internationale, 80% des accidents sont causés par les coureurs eux-mêmes.
Mais il est dans la nature des choses d'exiger des solutions après de tels accidents.
J'en suis conscient. Mais je suis opposé à toute mesure choc qui serait prise uniquement pour faire quelque chose. Si nous trouvons un début d'amélioration réalisable, alors nous l'étudierons bien entendu sérieusement.
Les statistiques d'accidents de la police pourraient être une piste. Le virage dans lequel Gino Mäder a eu son accident est apparemment assez accidentogène.
Exactement. Si nous disposions de ces informations, cela nous aiderait vraiment. Nous pourrions alors placer un panneau d'avertissement supplémentaire ou un collaborateur aux endroits critiques pour avertir les coureurs. A l'avenir, nous devrons donc discuter avec la police non seulement des chantiers et des fermetures, mais aussi des éventuels passages dangereux présentant un plus grand potentiel d'accidents. Nous tiendrons compte de ces conclusions pour la planification du prochain Tour de Suisse. Je rappelle toutefois que nous ne savons pas encore ce qui s'est passé exactement lors de l'accident de Gino. Dès que nous aurons reçu des informations plus précises de la part de la police et du procureur, nous analyserons la situation avec le recul nécessaire.
Collaboration: Annica Frey
Adaptation en français: Julien Caloz